La Chronique Agora

A l’origine du mal, la facilité

oeufs d'or et billets dans un nid

Cette chronique débute un cycle un peu particulier : elle fait partie des cinq dernières que j’écris car je prendrai ma retraite le 30 avril.

Depuis 1999, j’ai le plaisir d’écrire à La Chronique, d’abord occasionnellement en free-lance puis plus régulièrement et finalement à plein temps pour les Publications Agora. C’était la glorieuse époque du nimportequoi.com, stimulant l’ironie de Bill Bonner qui prévoyait la chute prochaine des valeurs internet.

J’écrivais alors sur l’or dont le cours exprimé en dollar chutait depuis 20 ans. Plus précisément depuis 1980, année durant laquelle Paul Volcker dompta l’inflation en mettant les taux courts à 20%…

L’inflation chutait, les bons du Trésor montaient, les valeurs internet s’envolaient. S’intéresser à l’or était « contrarien ».

Contrarien ne veut pas dire qu’on aime le rebrousse-poil et qu’on s’acharne à penser à revers de tout le monde. Simplement, les investisseurs contrariens s’intéressent aux actifs injustement délaissés. Le mot-clé est « injustement »…

Par exemple, le Dow Jones de 1884 comportait 11 valeurs dont 9 étaient des actions de sociétés de chemins de fer qui ont été justement délaissées par la suite. Pour investir fructueusement à l’époque, il fallait s’intéresser à d’autres valeurs.

En 1999, l’or cotait 250 $ l’once. Participer à une Chronique tenant des propos critiques sur les valeurs internet si recherchées et des propos positifs sur l’or en tant que monnaie était aussi ridicule que contrarien. Le genre de choses que vous n’avouez jamais dans les dîners en ville. Vous préférez bafouiller que vous écrivez sur les matières premières, le changement climatique, les biocarburants…

J’ai souvent l’impression que 2019 ressemble à 1999. Une saison 2, dirait-on de nos jours. Bill Bonner se moque d’Amazon, la grande rivière sans retour (sur investissement), de Tesla… des mêmes choses qu’en 1999. Les GAFA ne sont-elles pas des valeurs internet ?

Mais 20 ans ont laissé quelques traces. L’or cote 1 300 $ l’once, il a cependant bien chuté depuis son sommet de l’été 2011. L’inflation est officiellement morte et enterrée depuis belle lurette, selon les gens. Pourtant, tout augmente substantiellement (l’immobilier, les assurances, les soins de santé, l’essence, l’électricité…). Tout sauf les salaires dans les pays développés, qui sont en retard.

Les taux d’intérêt sont négatifs et tout le monde trouve ça normal. Ce qui avant 2007 déclenchait une ruée vers l’or n’affole plus personne.

Il paraît que ce serait dû à un excès d’épargne, selon les uns, tandis que d’autres dénoncent un excès de dettes. Ce serait à la rigueur possible si la dette était l’exacte contrepartie d’une épargne déjà existante mais ce n’est pas le cas depuis presqu’un demi-siècle. Nous vivons dans un autre monde, un monde magique.

Le problème avec l’industrie financière actuelle est que les questions les plus simples ont des réponses très compliquées, tellement alambiquées qu’elles sont en fait incompréhensibles.

Pour tenter de comprendre pourquoi des gens sains d’esprit payent pour avoir le privilège de prêter et donc d’être privés de leur argent, il faut en revenir à la monnaie et ce qu’elle est devenue.

L’or est une monnaie marchandise. Une marchandise obéit aux lois économiques brutales. Il faut qu’il y ait une demande, que cette marchandise corresponde à un besoin, remplisse un service. Il faut aussi qu’il y ait une offre et pour cela, il faut en produire, dépenser de l’énergie et des ressources. Il faut se donner du mal.

Mais les grandes devises d’aujourd’hui ont rompu tout lien avec l’or depuis 1971. Avec la fin des accords de Bretton Woods, les monnaies sont simplement des bons d’achat, des promesses de payer émises par des « autorités » : banques centrales, gouvernements.

Créer de ces monnaies ne donne aucun mal, n’exige aucune ressource, aucune dépense. Les portes d’un monde magique s’ouvrent à vous pour peu que les gens acceptent cet argent.

Et ils l’acceptent, car beaucoup de gouvernements ont pris l’habitude de donner quelque chose contre rien, pour « relancer l’économie », « lutter contre la pauvreté », « soutenir la demande », etc.

Il faudrait être idiot pour refuser de l’argent gratuit. Si vous obtenez de l’argent contre rien, pourquoi payer un intérêt pour en obtenir en contractant un prêt ? Il n’y a pas excès d’épargne, l’épargne est devenue inutile. C’est cela le message qu’envoient des taux d’intérêt négatifs sans que l’or réagisse à la hausse.

Nous vivons donc dans un monde d’argent gratuit où certains obtiennent quelque chose contre rien. La monnaie se crée sans se donner aucun mal, elle se décrète. Pourquoi critiquer ce monde merveilleux, où est le danger ?

 

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