La Chronique Agora

OPA à la gomme, bulles et malabars !

** La séance d’hier était placée sous le signe de la hausse, comme nous l’anticipions dès vendredi, et nous a surpris à bien des égards : absence de volatilité (40 points d’écart entre les extrêmes du jour) et absence de volumes. Avec moins de 3,6 milliards d’euros échangés, nous avons tout simplement assisté à la journée la moins active de l’année à Paris.

Le CAC 40 s’est maintenu pendant près de six heures d’horloge au sein d’un étroit canal délimité par 5 013 points (zénith de vendredi dernier) et 5 029 points (zénith du 4 février dernier) sans jamais donner l’impression qu’il pourrait en ressortir. Nous avons assisté à une sorte de mise sous pilote automatique qui corrigerait automatiquement le cap dès qu’une dérive supérieure à 0,2 se matérialise.

Si Paris se maintient dans son canal ascendant et aligne une troisième hausse consécutive aujourd’hui, le CAC 40 se retrouvera en position favorable pour refermer le gap des 5 081 points du 18 janvier dernier.

Cependant, une progression vers ce niveau clé pourrait ne pas s’avérer décisive, dans la mesure où les principaux indices paneuropéens évoluaient encore lundi soir à 2% de leurs résistances moyen terme testées fin janvier puis du 4 au 27 février derniers.

Une version optimiste du scénario actuel confèrerait au CAC 40 (qui déborde les 5 013 points) ou au Nasdaq (qui a franchi les 2 413 points) un statut de précurseurs de la tendance. Méfiance cependant car, le 17 mars dernier, la chute du CAC 40 sous les 4 500 points et celle du Nasdaq sous les 2 200 points ont laissé un souvenir cuisant aux amateurs de signaux baissiers — lesquels, pris isolément, ne souffraient d’aucune contestation possible.

Les détenteurs de métaux précieux se réjouissaient simultanément de voir l’once d’or franchir la barre des 1 000 $ tandis que le dollar s’effondrait sous les 96 yens. Avec deux réacteurs en feu et des commandes de gouvernail de profondeur qui ne répondaient plus, les intrépides pilotes du CAC 40 avaient vraiment de bons motifs d’actionner le siège éjectable… en espérant — vu la série noire — que le parachute ne se mette pas en torche.

** Depuis la mi-mars, les indices boursiers se sont partiellement décorrélés du billet vert et du pétrole. Le CAC 40 tutoyait les 4 950 points dès le 21 avril dernier et, le 25 avril, le dollar s’apprêtait à inscrire un nouveau plancher historique de 1,6005/euro, les 5 000 points étaient dépassés et le baril établissait simultanément un nouveau record absolu à 119,6 $.

Cependant, le lien ne semble pas totalement rompu entre les indices boursiers européens et le dollar. Sa consolidation sous les 1,5650/euro semble être la principale cause du plafonnement intervenu à Paris hier vers 13h. Les plus hauts du jour ont, en revanche, été inscrits alors que le baril de pétrole repassait sous le seuil des 119 $ (à 118,85 $) après avoir oscillé depuis vendredi soir entre 119,4 $ et 119,6 $ (nouveau record historique).

Les seuls éléments de réflexion macroéconomique du jour — alors qu’aucune statistique officielle n’était au menu — ont été communiqués par la Commission européenne qui relève à 3,2% ses anticipations inflationnistes en 2008 (après 2,1% en 2007) face à la poussée inexorable des prix énergétiques et alimentaires au premier trimestre. La dérive s’établit donc à +3,6% en glissement annuel au mois d’avril, même si quelques signes de modération émergent en Allemagne.

Nos sherpas de Bruxelles se rangent à l’avis des marchés financiers, qui ont déjà intégré l’impact négatif de la hausse du fuel, des carburants et des produits alimentaires de première nécessité sur le pouvoir d’achat des ménages. Les prévisions de croissance pour l’année 2008 sont ainsi revues à la baisse, de +1,8% à +1,7%.

Face à de tels projections, la logique de hausse du CAC 40 apparaît une nouvelle fois paradoxale mais les gérants invoquent un phénomène de « fait accompli » qui autorise toutes les audaces. Ceci d’autant plus que J.P. Morgan a publié hier matin une note qui minore le montant des dépréciations d’actifs auxquelles les banques de financement et d’investissement européennes devraient procéder en 2008 — 6,8 milliards d’euros avant impôt, contre 8,3 milliards lors d’une précédente estimation.

** Hier soir, Wall Street ne se passionnait que pour le projet d’OPA de Mars sur Wrigley. Le géant historique de la confiserie — basé à McLean en Virginie — a annoncé hier son intention de lancer, avec l’appui de Warren Buffett — via sa holding Berkshire Hathaway –, une offre de 23 milliards de dollars sur Wrigley, le numéro un américain des chewing-gums.

Le titre convoité bondissait de 24% à la mi-séance… de quoi justifier la fabrication d’une série limitée de tablettes destinée aux principaux actionnaires à l’arôme « champagne ».

D’autre part, Tracinda Corporation, la holding du milliardaire Kirk Kerkorian, déclarait son intention de lancer une offre d’achat en cash portant sur 20 millions d’actions Ford, soit l’équivalent de 1% du capital du constructeur, à un prix unitaire de 8,50 $. Tracinda en détenait déjà 100 millions et porterait ainsi sa participation à 6% du capital.

Ford s’adjugeait hier 10% à 8,3 $, entraînant dans son sillage General Motors (+5,5%) qui devenait le principal moteur de la hausse du Dow Jones. L’indice phare américain s’est alors retrouvé propulsé au-delà des 12 920 points.

Avouez tout de même que l’actualité d’hier avait de vagues relents de gomme (arabique) aux Etats-Unis. Elle nous rappelle que l’économie américaine jouit en toutes circonstances d’une réjouissante capacité à faire des bulles, encourageant les stratèges qui gèrent l’épargne des ménages américains à se prendre pour des malabars !

Philippe Béchade,
Paris

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