Les agences de notation sont fidèles à elles-mêmes depuis 30 ans : procycliques et en général très en retard sur la mise à jour de leurs évaluations.
J’écrivais tout récemment à propos de l’actualité stressante entourant des banques régionales américaine et la désormais ex-SIFI (pour systematically important financial institution, ou institution financière d’importance systémique) Credit Suisse, en disant qu’il ne fallait surtout pas se tromper d’époque et de crise quant à l’évaluation de ce qu’il est convenu d’appeler le risque systémique bancaire. Nous sommes bien en mars 2023 et non en février 2007, août 2007, mars 2008 ou septembre 2008.
Par contre, il est des situations et comportements qui font preuve d’une belle constance dans le temps. Je veux parler des agences de notation qui, malgré leur utilité et expertise qu’il n’est pas question de remettre en cause, affichent toujours les mêmes travers : trop en retard, donc ayant un pouvoir d’anticipation et de prédiction limité ; trop souvent pro-cycliques.
Surprise !
Standard & Poor’s, l’une des trois grandes agences de notation avec Fitch et Moody’s, a abaissé le 19 mars dernier la note de First Republic Bank de quatre notches (les niveaux dans l’échelle de notation), comme on dit dans le jargon des marchés financiers. Ce n’est pas rien quand on sait qu’une dégradation d’un seul cran d’un émetteur est déjà un fait significatif quant à la perception du risque de solvabilité de la contrepartie.
Il y aurait donc là un vrai problème de solvabilité, puisque le plan de sauvetage de 30 Mds$ engagé par la Fed et 11 banques américaines, destiné à acheter du temps pour résoudre des problèmes de liquidité, ne semblerait pas suffisant.
On comprend que des analystes ou investisseurs petits, moyens ou gros puissent être pris à contrepied par un choc brutal et spécifique de liquidité d’une institution financière. Il est toujours possible que des postes volatils au passif de la banque ou un scandale impossible à anticiper viennent ébranler la réputation de l’établissement et sa capacité à conserver les dépôts des clients.
On comprend moins par contre qu’un analyste se réveille un beau matin et « découvre » les problèmes de solvabilité d’une banque… Sauf à imaginer des modèles d’évaluation des risques trop complaisants et à imaginer que les différentes missions d’audits y compris celles des autorités de tutelle n’aient rien eu à y redire (franchement peu vraisemblable aujourd’hui).
Déjà, car les éléments de bilan qui composent les fonds propres sont par définition plus stables. Mais aussi parce que les déductions réglementaires de fonds propres sont connues, tandis que les perspectives bénéficiaires, qui permettront de mesurer la capacité de mettre en réserves et d’augmenter le niveau de fonds propres, ne sont en général pas réajustées du jour au lendemain. De même, les prévisions de consommation de fonds propres à travers les actifs pondérés en risques (les fameux RWA pour risk weighted assets) doivent être globalement maîtrisées.
D’où viennent les risques ?
On se rappelle qu’il fut déjà difficile pour les agences de notation de prévoir l’effondrement des grandes « investment banks » américaines en 2008, tant la faillite pour Lehman que le sauvetage/absorption pour Bear Stearns et Merrill Lynch.
Le risque de crédit des banques est toujours difficile à appréhender pour les analystes crédit car le risque de liquidité n’est pas suffisamment intégré dans l’appréciation du risque de solvabilité.
Or, quand un établissement bancaire se retrouve en difficulté pour refinancer ses activités courantes, il peut-être souvent contraint de vendre des actifs en perte, ce qui soulage à court terme sa situation de liquidité mais dégrade fortement sa solvabilité (les pertes impactent négativement le niveau des fonds propres). En revanche, si l’établissement ne vend pas pour ne pas extérioriser de pertes et donc pour ne pas diminuer ses ratios de solvabilité, il devra alors chercher à tout prix de la liquidité sur les marchés.
En somme, il est stupéfiant, comme toujours, de constater que beaucoup de médias se sont étonnés de phénomènes somme toute classiques. Comme la spirale classique et infernale de la faillite bancaire dans le cas de SVB. Ou comme, toujours dans le cas de SVB, les dégâts que provoquent un portefeuille d’obligations à taux fixe non immunisé contre le risque de taux en période de fortes tensions sur les taux longs (ce qui est le cas depuis 12 mois).
Couvrir le risque de taux d’un portefeuille est une des premières choses qu’un jeune trésorier de banque ou jeune asset manager pratique. Cela fait aussi partie des temps forts de cours de finance de marché et de gestion actif-passif (petit clin d’œil à mes étudiants passés). Ne pas le faire n’est pas forcément de l’incompétence, mais traduit souvent ce sentiment d’invincibilité que l’on rencontre sur les marchés financiers.
Au-delà de l’appréciation de la solvabilité d’une banque (qui nécessite un expertise particulière compte tenu de la spécificité du secteur bancaire confronté à un risque de liquidité structurel inhérent à son activité de transformation), les agences n’ont pas été meilleures pour prévenir les défauts d’autres types d’émetteurs.
Alors nous allons dans une prochaine chronique revenir sur le passé récent de l’histoire des marchés financiers, et notamment sur les quelques grands stress financiers de ce premier quart de siècle, lorsque les agences ont quasiment toujours été prises en défaut (pour faire un vilain jeu de mots).