La Chronique Agora

On ira jusqu’au bout

Aujourd’hui, on ne corrige plus rien, on laisse les hausses s’auto-alimenter, on pousse le système jusqu’à ses extrêmes – mais la bulle n’est pas celle qu’on croit…

Autrefois, les investisseurs idiots faisaient la performance des investisseurs intelligents. Aujourd’hui, c’est l’inverse : l’investisseur intelligent – celui qui étudie, celui qui critique, celui qui doute – fait la fortune des imbéciles.

On ne corrige plus rien, il n’y a plus de phases, on va allègrement jusqu’au bout. Quel bout ?

Le bout du chemin, le bout final, celui du précipice. Il n’y a plus de risque intermédiaire, il n’y a plus que l’énorme risque, l’Armageddon, celui dont on ne se relève pas. Le krach final, quoi !

J’ai souvent expliqué que les crises s’analysaient comme des ruptures d’un invariant. Ainsi, en 2008, le krach a eu lieu sur la rupture de l’invariant que constituait la croyance à la croissance éternelle et infinie des prix de l’immobilier. C’est quand un élément fixe du raisonnement s’effondre que surgit la crise.

J’ai longtemps cru que la prochaine vraie crise prendrait sa source dans le réel, c’est-à-dire dans quelque chose de concret – même si c’est une chose abstraite. J’ai longtemps considéré que le sous-jacent, l’invariant qui soutenait les Bourses, c’était la liquidité. Et donc que la crise s’originerait dans la question de la liquidité.

J’y crois toujours mais un peu moins.

Je m’explique : le risque de krach provoqué par la disparition des liquidités est réel mais il est connu des démiurges/illusionnistes. On l’a vu en mars 2020 : ils réagissent tout de suite, sans modération, sans scrupules – ils enfoncent un clou avec un marteau pilon.

Je ne pense plus que le danger puisse venir de ce côté. Toujours, les démiurges seront là… toujours, ils veilleront… et toujours, leurs complices des marchés joueront le jeu, ils saliveront à la Pavlov.

Aucune surprise ?

Pour qu’une crise, une vraie, se produise à notre époque, il faut qu’il y ait un élément de surprise, d’étonnement – or nous sommes préparés à cette crise du reflux des liquidités et de la liquidité.

Mon hypothèse et mes réflexions s’orientent maintenant vers quelque chose de beaucoup plus abstrait, presque imaginaire, qui soutient les bulles des marchés. Ce quelque chose, c’est la théorie, la théorie de la volatilité, la théorie de la mesure du risque. Cette théorie produira une crise d’un type nouveau, endogène à elle-même par les stratégies mortifères qu’elle génère.

Je sais, c’est audacieux. Mais l’équivalence « risque = volatilité » est fausse ; un jour, elle ne résistera pas à l’épreuve du réel. Le réel est toujours le plus fort, quoi que l’on fasse et dise, toujours on aura 2+2=4 et non pas 2+2=5.

Je précise mon hypothèse : la théorie de l’équivalence du risque et de la volatilité, c’est cela qui est l’invariant sous-jacent à tous les marchés d’actifs, c’est cela qui finalement… fait bulle. La bulle, c’est la bulle intellectuelle du concept de volatilité.

Une bulle de fausse connaissance

Il y a une bulle de certitude, une bulle de fausse connaissance, comme il y en avait une en 1929. C’est à l’intérieur de cet univers de la volatilité, du VIX, de la « value at risk », que des engrenages, des enchaînements fatals peuvent se produire.

C’est là qu’est le virus qui de proche en proche peut tout détruire.

Ce qui me renforce dans cette idée est l’alerte, l’exemple de ce qu’il s’est passé en février 2018 : il n’y avait pas développement extérieur pour justifier la chute des valeurs – ce qui ce qui a été mis en cause à l’époque, ce sont des stratégies fondées sur le VIX, la volatilité, la risk parity.

Je soutiens souvent que l’on est toujours puni par où l’on pèche. Ici, cela veut dire que je soutiens que l’on pèche par trop peu d’assurance face à beaucoup trop de risque réel. Les modèles qui utilisent la notion de volatilité mettent des certitudes sur du radicalement incertain.

Comme je le dis souvent, c’est prométhéen – puisque cela consiste à voler le feu du « certain » de « l’avenir » aux dieux. C’est un défi à notre condition de pauvres humains et donc un défi aux dieux.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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