La Chronique Agora

On est toujours en retard d’une crise

crise

On persiste à traiter les crises en les comparant aux précédentes… ce qui conduit inévitablement à leur appliquer des solutions datées et inefficaces. La crise de dette actuelle ne fait pas exception.

Nous avons vu hier que tenter prédire l’évolution des taux d’intérêt était futile, voire nuisible. Pour y parvenir, il faudrait maîtriser les deux compréhensions les plus essentielles, à savoir :

1) comment fonctionnent l’argent, le crédit et l’économie, et ;

2) comment fonctionnent les politiques nationales et internationales.

Autant dire qu’il faudrait être capable de résoudre l’équation universelle, disposer d’une connaissance totale du système mondial.

L’une de mes idées est que le système fonctionne comme étant non-su, inconnu aussi bien des peuples que des intellectuels ou des autorités qui prétendent le conduire.

Le système fonctionne de façon mystifiante, c’est-à-dire à partir d’idées élaborées dans le passé et qui ont donné l’apparence/illusion de faire leurs preuves. Ce faisant, cependant, elles s’auto-modifient par l’apprentissage, par boucles de rétroaction, et par mutations internes, ce qui fait que la connaissance est toujours en retard.

On peut formuler cela de la façon suivante : on est toujours en retard d’une crise. Ou encore, on traite nos crises depuis 2008 comme si elles étaient comparables à celle de 1929 alors que, par définition, elles ne peuvent l’être puisque 1929 a déjà eu lieu.

Présenté autrement, les crises sont toujours une crise de l’intelligence, une crise de la pensée. Pensez-y quand les zozos prétendent conduire le monde ! Ils font partie du problème, ils n’en sont jamais la solution, l’Histoire le dira clairement en son temps. Ben Bernanke, par exemple, a été un des éléments déterminants de la ruine future.

Les soi-disant sujets « sachants » sont dans la bouteille, dans la névrose, dans l’imaginaire qui produit les crises.

Dette et décalage

Contrairement à ce que la plupart des gens pensent intuitivement, il n’existe pas de montant fixe d’argent et de crédit. L’argent et le crédit peuvent facilement être créés par les gouvernements. Leur création est appréciée/souhaitée car elle donne aux personnes, aux entreprises, aux organisations à but non lucratif et aux gouvernements plus de pouvoir d’achat. « On rase gratis », cela plaît à tout le monde.

Le fait de prendre du crédit et de le dépenser pour des biens, des services et des actifs d’investissement fait augmenter le prix de presque tout ce que la plupart des gens acquièrent.

Le problème est que cela crée beaucoup de dettes et qu’il est difficile, voire impossible, de les rembourser. Peu à peu se construit un déséquilibre entre la masse de dettes et la capacité à honorer cette masse de dettes. C’est pourquoi l’argent, le crédit, la dette et l’activité économique sont intrinsèquement cycliques.

Mon idée est que l’on ne peut prédire l’évolution des taux, mais que l’on peut observer, analyser, les cycles longs du crédit – et surtout se situer dans ce cycle, savoir si on est au début, au milieu ou à la fin.

Pour aller plus loin je prétends que l’on est à la fin du cycle long du crédit quand :

– d’une part le crédit est instable ;

– d’autre part quasi impossible à rembourser, et enfin ;

– quand, pour continuer à en produire plus, il faut tricher.

Qu’est-ce que tricher ?

Tricher c’est :

– rendre le crédit gratuit soit en nominal, soit en réel déflaté de la hausse des prix ;

– résoudre chaque problème de solvabilité par la création de liquidités ;

– acheter les dettes des plus gros émetteurs pour en soutenir la valeur/le prix de marché ;

– spolier les épargnants et les créanciers par ce que l’on appelle la répression financière ;

– fusionner les rôles monétaire et budgétaire du gouvernement et monétiser ses dépenses.

Dans la phase de création/production de crédit, la demande de biens, de services et d’actifs d’investissement est forte, et dans la phase de remboursement de la dette, elle est faible.

La phase de production de crédit est expansionniste/inflationniste ; la phase de remboursement de la dette est récessionniste/déflationniste. Lutter contre la déflation, c’est toujours lutter contre les excès antérieurs de crédit.

Mais que se passerait-il si les dettes ne devaient jamais être remboursées ?

Il n’y aurait alors ni compression de la dette, ni période de remboursement douloureuse. En revanche, ce serait terrible pour ceux qui leur ont prêté parce qu’ils perdraient leur argent.

Sauf à maintenir la fiction du remboursement par la création d’une fausse liquidité sur le marché boursier, nous sommes dans cette phase où on nie que le crédit ne puisse être honoré, mais où on fait croire aux créanciers qu’ils ne sont pas spoliés puisqu’ils peuvent vendre leur créance sur le marché.

La liquidité remplace la solvabilité et la solidité de la créance, grâce à la création de monnaie de la banque centrale, grâce à ses achats et grâce à la loterie qui est branchée sur le prix des actifs financiers.

Donner la liquidité aux détenteurs de créances – ce que font les QE –, c’est leur faire croire que leurs créances sont bonnes et donc… les inciter à les garder même si elles ne rapportent rien… en les appâtant avec l’espoir d’une plus-value si les taux baissent encore ou deviennent négatifs !

Le complément de la tricherie qui permet de prolonger le cycle du crédit, c’est la mise en place d’une loterie financière, autrement dit la mise en place d’une gigantesque entreprise de spéculation.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile