Qui peut assurer sur un horizon aussi long que le risque est correctement rémunéré ?
A l’époque des taux nuls, il n’y avait pas beaucoup de monde pour constater l’absurdité dans l’absolu d’un investissement à 100 ans.
Dans son style absolument politiquement incorrect mais ô combien nécessaire pour analyser les absurdités de la finance, Simone Wapler fustigeait avec beaucoup de bon sens, de clairvoyance et d’anticipation l’investissement à 100 ans. C’était en 2016.
« Pour acheter de la dette à 100 ans, il faut à la fois être incompétent et irresponsable. Incompétent pour ne pas prévoir le retournement des taux et irresponsable car ces gens-là ne risquent pas leur propre argent. Aucun bipède sain d’esprit n’irait mettre son épargne retraite dans une dette à 100 ans et une monnaie fiduciaire dont personne ne sait si elle survivra à la prochaine crise. Tous les gérants ne sont pas incompétents et irresponsables, toutefois. Certains ont démissionné, estimant que les politiques monétaires conduites par les banques centrales les empêchaient de faire honnêtement leur métier. »
Au-delà de ces constats de bon sens, il n’est pas possible de justifier objectivement la rationalité d’engagements sur des durées aussi longues. Et ce quel que soient les contextes de marché et macroéconomique.
Tout d’abord, il est impossible de se prononcer sur la rémunération du risque. Franchement, qui peut assurer sur un horizon aussi long que ce risque est correctement rémunéré ? Certes, la probabilité de défaut à 1 an d’une signature notée AA comme l’Autriche est de 0,02%, soit une probabilité de 2% à 100 ans, de 0,02 défaut tous les 100 ans et, en poussant le raisonnement à l’extrême, de 2 défauts tous les 10 000 ans.
Mais quand bien même le risque de crédit serait correctement rémunéré, personne ne savait et ne sait si la rentabilité financière d’un investissement à 2,10% sur 100 ans à l’époque, même s’il couvre un passif qui coûte 0%, est assurée (sauf à ce que l’inflation moyenne sur les 100 ans qui viennent reste inférieure à 2,10%).
Or en la matière, qui peut se prononcer, sauf à être sacrément visionnaire sur l’évolution des prix des matières premières, le coût de la transition énergétique, du développement économique de la Chine, de la démographie, des instabilités géopolitiques ? En tout cas, cela représente pas mal d’incertitudes et de paris, et témoigne du caractère hautement « spéculatif » d’un tel investissement.
Il est également impossible de se prononcer sur la justification économique et financière.
L’investissement à très long terme se justifie-t-il ? Certains vous répondront oui, en mettant en avant que certaines institutions disposent d’un passif (ressources) très long ou très stable. Cet argument est-il si solide que cela ? Pas si sûr, pour au moins deux raisons.
- Il faut, dans le cadre d’une gestion de bilan raisonnable et sécurisée, considérer que les éléments de passif non-échéancé du bilan de l’institution (y compris les ressources considérées comme les plus stables, et les plus pérennes) suivent des lois d’écoulement strictes, de façon à ne pas sous-estimer les risques de liquidité.
- Certes, les institutions sont « immortelles » (à la faillite et à la restructuration près), et donc le besoin d’investissement à 50 ans, 80 ans ou plus peut se concevoir (sous réserve que l’on démontre que le passif est vraiment stable, ce qui peut être discuté comme nous le décrivions plus haut). Mais les responsables des institutions qui investissent sont « mortels ». C’est un peu comme si le responsable en exercice achetait des produits financiers structurés, avec un rendement assuré et bonifié, sur une période de court terme – celle où l’investisseur qui a acheté aura des comptes à rendre – tandis que la période de risques est transférée dans le futur : à la collectivité avec bail-out, ou aux investisseurs qui remplaceront l’investisseur initial, ou à un établissement qui reprendrait les actifs en cas de scénario catastrophe.