** Les séances de repli s’enchaînent, les planchers annuels sont désormais directement menacés ; il ne s’est pas dessiné l’ébauche d’une reprise technique digne de ce nom depuis le 3 juin dernier — le CAC 40 avait gagné 0,98% ce jour là, +0,6% le 17 juin. En juin 2007, les vendeurs n’auraient pas attendu que leurs gains commencent à fondre pour se racheter alors que l’environnement macroéconomique et bancaire semblait à l’époque tout aussi porteur de lourds nuages.
Mais ces derniers étaient synonymes de baisse de taux à venir… du pain béni pour le compartiment actions alors les créances immobilières étaient en disgrâce depuis la fin février 2007. L’Allemagne battait tous ses records en matière d’exportations (notamment vers la Chine), le yen était au plus bas face au dollar… et surtout, de grands fonds d’investissements paraissaient encore en mesure de racheter la planète entière via d’audacieuses OPA à effet de levier.
Un an plus tard, il ne se passe pas une semaine sans que des rumeurs de fermeture de fonds ou de reprises d’actifs dans les bilans — comprenez, le remboursement d’une partie de leur argent à de gros clients qui sans cela auraient tout perdu — ne circulent dans les salles de marché.
** Aujourd’hui, ce sont les fonds souverains qui détiennent les cordons de la bourse planétaire. Et eux, ils n’ont pas besoin de s’endetter pour prendre possession — comme on assemble patiemment un puzzle — des vaisseaux amiraux de la finance internationale et pour décider du destin de millions de clients probablement pour des décennies.
Il leur suffit d’attendre la prochaine vague de dépréciations d’actifs et surtout l’éclatement au grand jour de la bulle des CDS. A ce propos, selon le Financial Times, généralement bien informé, les monoliners Ambac, FGIC et MBIA seraient en train de négocier rien moins que l’annulation de 125 milliards de dollars de contrats d’assurance (CDS) couvrant des CDO (paquets de dettes synthétiques constitués de tous les dérivés de crédit à haut risque imaginables).
Pour rendre cette affaire plus parlante, imaginez qu’au lendemain du passage de l’ouragan Katrina fin août 2006, les principaux assureurs de la Nouvelle-Orléans aient demandé aux habitants des quartiers inondés de renoncer volontairement au versement des primes prévues en cas de rupture des digues, au motif que si chacun réclame son dû, les rehausseurs de crédit devront mettre la clé sous la porte… et si un tel cas de figure survenait, plus personne ne toucherait un seul centime dans tout le pays en cas d’accident de voiture, de vol ou d’incendie.
Les Etats-Unis — et de nombreux pays — disposent d’une parade pour sauver les réassureurs et, par ricochet, la confiance dans le système : elle consiste à décréter l’état de catastrophe naturelle dans les zones les plus gravement sinistrées.
C’est la solidarité nationale — le budget de la nation — qui se substitue aux entreprises privées… et personne n’y trouve rien à redire car il y va du salut de dizaines, voir de centaines de milliers d’individus.
Dans le cas de négociations visant à soulager les monoliners du fardeau des CDS, il s’agirait d’épargner à de richissimes institutions financières — ayant mal calculé leurs risques — la pénible obligation de verser des sommes colossales à leurs richissimes clients. Clients qui auraient abusé leur confiance avec la complicité des agences de rating qui notaient triple A des lingots de plomb recouverts d’une mince pellicule d’or fin.
** De nombreux observateurs s’étonnent que les monoliners n’aient pas eu la tentation de gratter un peu la surface alors que les masses d’or qu’ils s’engageaient à couvrir représentaient symboliquement plusieurs fois la quantité extraite sur la planète Terre depuis les premiers pharaons d’Egypte.
Ils ont assuré des pyramides de dettes plus imposantes que celle de Kheops alors que la totalité des stocks d’or connus représenterait l’équivalent des 15 derniers mètres de l’édifice !
Faut-il leur pardonner un tel aveuglement au nom de l’aléa moral sous prétexte que leur faillite entraînera celle d’une cascade d’autres institutions financières, dans le cadre d’une spirale qui ne serait pas sans rappeler la crise de 1929 ?
Pensez-vous que la Fed puisse sortir de son chapeau un nouveau décret de « catastrophe pas naturelle » sur le modèle de Bear Stearns ou de Northern Rock ? Pourra-t-elle faire jouer la solidarité, c’est-à-dire en appeler au contribuable ? N’oublions pas que nombre d’entre eux sont sous le coup d’une expulsion ou d’une saisie — sans état d’âme — ordonnée par ceux-là même qui les appelleraient maintenant à la rescousse…
Et tout ceci au nom de la sauvegarde du libéralisme et de la prétendue capacité des marchés à déterminer la juste valeur des actifs ainsi que la meilleure estimation des risques !
Beaucoup doutent à présent de la possibilité d’une telle issue… et il serait imprudent de miser sur l’altruisme des fonds souverains. Les choses pourraient donc rapidement mal tourner et cela se paye cash.
** Le marché parisien est en train de réaliser le pire mois de juin des 40 dernières années avec une perte de 10,8% qui dépasse largement les -8,85% de juin 2002.
Les 13,3% de perte du mois de janvier ne sont pas encore effacés des tablettes mais il suffirait que le CAC 40 chute de 2,5% supplémentaires d’ici le vendredi 27 pour que le gap des 4 348 points du 28 octobre 2005 soit enfin refermé… et que le score catastrophique de janvier soit égalé, voire dépassé.
Le CAC 40 a d’ailleurs retracé par deux fois au cours de la séance de mardi le plancher annuel de clôture des 4 430 points, avant de reprendre rapidement 1,5% sur ses plus bas. L’indice parisien a cependant été victime d’une rechute de 0,3% au cours des dernières secondes ; nombre de traders ne veulent plus repartir le soir avec du « papier » — si bien que le score final ressortait en négatif de 0,83%.
L’indice CAC s’était redressé jusque vers 4 500 points (aux environs de 17h) dans le sillage de Wall Street, avec un Dow Jones repassé de -100 points à +15 points et un S&P 500 qui retrouvait l’équilibre vers 18h après une entame de séance négative de 1%. Cette reprise n’a cependant pas tenu et les indices américains ont clôturé en recul de 0,3%.
Un score sans surprise car les statistiques du jour étaient très négatives aux Etats-Unis. Les prix de l’immobilier se sont de nouveau effondrés dans la totalité des régions — le recul le plus rapide affectant toujours Las Vegas et Miami — tandis que l’indice de confiance des consommateurs calculé par le Conference Board a connu une chute sans précédent, de 58 en mai vers 50,4 en juin.
La composante reflétant le sentiment concernant la situation actuelle est ressortie en baisse à 64,5 contre 74,2 ; celle traduisant les anticipations a atteint son plus bas niveau historique.
Nous anticipions que les marchés — ainsi que la BCE — en tiendraient compte un jour ou l’autre… mais nous avions sous-estimé la (prétendue) robustesse de la croissance en Europe — chacun peut en apprécier les fruits — en mai et l’appétit de consommation des ménages français avec des ventes de détail en hausse de 2% !
Il y a bien entendu, un piège… un biais qui fausse la statistique : le soudain rebond des ventes d’automobiles dopées par l’éco-pastille. Il masque la chute abyssale (-22%) des mises en chantier de logements dans l’Hexagone entre début mars et fin mai… mais quelle formidable excuse fournie à J.C. Trichet, qui va s’empresser de démontrer que notre économie peut sans dommage digérer un ou deux tours de vis monétaire d’ici l’automne.
Philippe Béchade,
Paris