La Chronique Agora

Nouveau luxe pour tous (1)

▪ Le luxe a existé à toutes les époques depuis l’Antiquité, en passant par les palais de Rome, de Pompéi, par la riche abbaye de Cluny ou le château de Vaux-le-Vicomte. Le luxe est évidemment associé à l’aisance financière. "Enrichissez-vous !", disait Guizot aux Français — c’est ce qu’ils ont fait au 19ème siècle avec l’essor de l’industrie et du commerce. La bourgeoisie était née.

Après la seconde guerre mondiale, la présence américaine en Europe porte à la connaissance de tous l’American way of life ; plus tard, l’explosion médiatique expose aux yeux de tous la vie idyllique des stars de cinéma ou de TV, des artistes, des cours royales comme des hommes politiques. De là est né le désir de paraître, et d’appartenir au cercle des gagnants ; le besoin de toujours satisfaire un ego démesuré au moyen de tout ce qui provoquera la distinction des autres.

"Le goût du luxe, plus que le luxe lui-même et beaucoup plus que le goût tout court, est devenu le nouveau ressort de l’hyper-consommation", écrit Benoit Duguay dans son livre Consommation et Luxe.

▪ La voie de l’excès et de l’illusion : le luxe
Bien évidemment la notion de luxe n’est pas la même pour tous. Comme le dit Duguay, il y a le luxe du mendiant et celui du despote, le luxe de l’aristocrate et celui du parvenu, celui du poète et celui du petit bourgeois. Il y a le vrai et le faux luxe, l’authentique et le kitch. Mais, pour beaucoup, le luxe c’est le rêve, ce qui dépasse l’utilité ordinaire en lui ajoutant un sentiment de plaisir, une impression de dépassement du commun des mortels. Votre valise, cher lecteur, n’est pas la même si elle est estampillée Louis Vuitton, pourtant elle assurera une fonctionnalité semblable. Dans votre sac à main Chanel, chère lectrice, vous rangerez vos objets habituels, mais vous ne manquerez pas de le poser bien en évidence sur la table de ce restaurant trois étoiles où l’on vous emmène dîner. Qu’est-ce donc qui nous pousse à payer ces accessoires 10 ou 20 fois plus cher, si ce n’est ce plaisir de posséder un objet hors du commun, beau, que votre voisin n’a pas ? Et si, en plus, vous êtes Chinois ou Brésilien, vous avez l’impression de vous identifier à ces Européens qui édictent la mode depuis des siècles…

Nous sommes là dans l’irrationnel le plus complet, dans le domaine de la sociologie et de la psychologie, et ce sont les moteurs fondamentaux de la clientèle du marché du luxe ; c’est pour cela que l’industrie du luxe marche pratiquement tout le temps… Crise ou pas crise ! Cette caractéristique, somme toute naturelle et générale, qui a longtemps été l’apanage d’une élite, s’est démocratisée au 20ème siècle jusqu’à devenir une manière d’être.

▪ Comment définir le luxe ?
Le luxe se niche partout. S’il fallait à tout prix en segmenter les produits, je vous proposerais de distinguer trois catégories :
• le luxe pour la maison (antiquités, équipements électroniques ou sanitaires, meubles et décoration) ;
• le luxe de la personne (mode, vêtements et accessoires, cosmétiques, joaillerie, montres, autos, vins et spiritueux) ;
• et le luxe d’expériences plaisirs (voyages, restaurants, distractions, hédonisme, services domestiques).

Vous pouvez le retrouver dans l’hôtellerie (les palaces anciens ou modernes sont nombreux dans le monde), dans les voitures (qui n’a pas rêvé de conduire une Ferrari ?), dans les bijoux, les montres, dans les yachts (pensez à la société Rodriguez cotée à la Bourse de Paris, avec ses bateaux construits à l’unité), dans les vêtements (la haute couture, la mode), les  accessoires (Hermès, ou Louis Vuitton, qui ont défrayé la chronique récemment), les parfums et articles de beauté, et même l’alimentation et les boissons.

Autrefois, les articles et services de luxe se définissaient par leur prix élevé. Cela reste vrai, mais de manière relative. En fait, tout se passe comme si le secteur du luxe s’était scindé en deux : un premier cercle de produits et de services extrêmement onéreux, réservé à une clientèle véritablement très riche. Et puis un deuxième cercle dont les produits, issus des mêmes entreprises et portant le même nom de marque, sont accessibles à la classe moyenne supérieure, infiniment plus nombreuse, et dont le pouvoir d’achat n’a cessé de croître depuis 40 ans.

Cette classe-là est satisfaite, se laissant conduire par l’illusion et la vanité d’accéder aux fournisseurs des princes, des stars, et des grands industriels, parfois au prix irresponsable d’un endettement sans retenue. Mais le résultat est là : le luxe est toujours en croissance.

▪ Le luxe surperforme, même dans les crises les plus sévères
Selon le cabinet Bain & Company, le marché du luxe devrait cette année être en croissance de 10% à 168 milliards de dollars en ne prenant en compte que ce qui est spécifique : habillement haut de gamme, maroquinerie, parfums et cosmétiques, accessoires, montres et joaillerie, faisant suite à une baisse de 8% l’an dernier à 153 milliards de dollars.

Nous verrons la suite demain…

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