La Chronique Agora

Nostalgiques de l’ère Greenspan ?

** S’il vous restait encore quelques bribes de « foi du charbonnier » dans l’aspect totalement aléatoire de l’évolution des indices boursiers, dans l’absence de tentative de manipulation des marchés par quelques très gros spécialistes des instruments dérivés (options, warrants, contrats à terme, swaps, etc.), les séances des vendredis 12 et 19 octobre ont de quoi faire chanceler vos convictions.

Rappelez-vous du rebond quasi-miraculeux du CAC 40 le 12 octobre à quelques secondes de la clôture : au lieu de perdre 0,5% d’un vendredi sur l’autre, l’indice phare clôturait au plus haut du jour et affichait in extremis un bilan hebdomadaire de +0,01% (c’est pas beau ça ?), histoire d’aligner symboliquement une cinquième semaine de hausse consécutive.

Et le vendredi 19, encore frais dans nos mémoires, nous assistions au sauvetage du support des 5 740 points durant le fixing de clôture, ce qui privait à la dernière minute les chartistes d’un splendide signal baissier. Ce dernier se matérialisera peu après 20h00 à Wall Street, avec la franche cassure des 13 850 par le Dow Jones et des 1 525 points par le S&P 500.

Le 12 octobre, si le CAC 40 n’avait pas été soutenu avec une farouche détermination durant la dernière demi-heure, les gains résiduels subsistant sur les contrats sur indice échéance octobre –soit une quarantaine de points–, se seraient évaporés en moins de temps qu’il vous en faudra pour parvenir à la conclusion (humoristique) de cette Chronique.

Les détenteurs de positions à terme n’allaient tout de même pas laisser un caprice du destin les priver d’une compensation positive sur des milliers de positions ouvertes… alors que l’achat de quelques dizaines de lots supplémentaires pouvait neutraliser la consolidation qui s’amorçait.

Les day-traders ont vraiment bien intégré les règles de ce bras de fer permanent entre l’actualité économique et des objectifs techniques court terme (qui triomphent toujours haut la main). Ils cherchent donc en toutes circonstances à accompagner le mouvement — même s’il s’avère fondamentalement absurde — sans se risquer à maintenir des positions contrariennes. Ils viennent grossir les rangs archi-majoritaires des adeptes de la gestion passive, dont la seule audace consiste, depuis quelques jours, à surpondérer les valeurs défensives au détriment des « cycliques » et des financières.

** Nous assumons notre analyse contrarienne parce que nous connaissons bien les marchés dont nous vous dépeignons les turpitudes. Nous ne vous invitons à prendre des initiatives allant à l’encontre de la tendance que lorsque nous percevons que ceux qui tordent le bras à l’évolution des cours sont résolus à lâcher prise, juste avant de se faire tailler en pièces.

C’est ce qu’ils ont décidé de faire vendredi soir à Wall Street, dès l’entame des opérations de compensation des options et autres dérivés sur actions .Nul besoin de patienter jusqu’à la mi-séance pour matérialiser les gains (comme en Allemagne ou jusqu’à 16h00 à Paris). Chaque troisième vendredi du mois, les jeux sont faits dès l’ouverture, ce qui laisse le temps aux gérants américains de courir se mettre à l’abri avant le week-end lorsque le ciel boursier se couvre.

Cela fait longtemps que les nuages s’accumulent et que les mauvaises nouvelles pleuvent. Mais avec les parapluies dont disposent les spécialistes des marchés à terme, il leur est possible de rester en bermuda et en chemise hawaïenne (malgré les bourrasques) alors que le tonnerre du subprime gronde et que les égouts débordent de créances douteuses.

Le raccourci peut vous paraître facile. Mais le 26 février dernier, jour de l’avènement officiel de l’éclatement de la bulle des « crédits pourris », le Dow Jones affichait un score de 12 795 points (1 000 points de moins qu’à l’ouverture le 19 octobre). Le dollar cotait 1,3150/euro, le baril de pétrole affichait 58 $, et le CAC 40 un score de 5 770 points — tiens, tiens, coïncidence, c’était exactement son cours de clôture jeudi dernier… Quant au Hang Seng à Hong Kong, il affichait 20 800 points, soit un score de 48% inférieur à celui des 30 025 points inscrit le 17 octobre à l’ouverture.

A l’époque — avec, au cours des huit mois qui suivraient, un dollar perdant 9%, un baril de pétrole s’envolant de 50%, une impressionnante série de faillites d’établissements de crédit aux Etats-Unis, un effondrement d’un tiers des mises en chantier et des ventes de logements neufs et des indices sectoriels immobiliers au plus bas depuis 14 ans — à l’époque, donc, si nous avions prétendu que le CAC 40 n’aurait pas perdu un pouce de terrain au moment de célébrer le 20 anniversaire du krach d’octobre 1987 tandis que le Nasdaq aurait pris +20% dans l’intervalle, vous nous auriez pris pour d’indécrottables nostalgiques de l’ère Greenspan !

Philippe Béchade,
Paris

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