▪ Nous ne comprenons toujours pas précisément comment l’évolution des indices boursiers est programmée (doutiez-vous qu’elle le soit de manière très précise ?). Toutefois, nous avons bien compris hier que le quota de volatilité hebdomadaire avait été épuisé mercredi, au lendemain de la publication du compte-rendu de la Fed.
Mais au fait, le communiqué de la dernière réunion contresigné par Ben Bernanke explique-t-il vraiment la bouffée d’euphorie qui a propulsé les indices européens au-delà de leurs résistances estivales ?
Nous sommes pris d’un doute. La veille de cet évènement tant attendu, les indices américains avaient varié de… +0,02% en moyenne — et le jour même, de +0,09% s’agissant du Dow Jones et +0,6% pour le Nasdaq.
Nous ne sommes pas certain que ce genre de variations mérite le qualificatif d’euphorie, pas plus que les 0,7% gagnés mercredi soir… et reperdus dès le lendemain par le S&P à la mi-séance dans le sillage des valeurs bancaires.
▪ Et nous continuons de nous débattre bêtement avec cette question : mais qu’est-ce qui a propulsé le CAC 40 au-delà des 3 800 et l’Euro-Stoxx 50 au-delà des 2 800 points ?
Ce n’est certainement pas la performance canon des indices américains depuis lundi : +0,8% en moyenne. Ce n’est pas non plus une consolidation bienvenue de l’euro qui redonne de l’oxygène à notre commerce extérieur. Pas plus qu’une rechute collective des matières premières (pétrole, métaux industriels) ou des soft commodities (blé, soja, cacao…) qui témoignerait d’un désintérêt pour des actifs refuges en proie à une véritable furia spéculative depuis le 20 septembre dernier.
Nous avons alors imaginé que certains opérateurs avaient eu vent de la hausse des profits de Google (+32% à 7,65 $ par titre) ou de bénéfices supérieurs de 250% par rapport aux prévisions médianes d’AMD — un grand bravo au passage aux analystes qui vont pouvoir se réjouir de « résultats meilleurs que… pas du tout prévu ».
Mais nous sommes complètement à côté de la plaque ! Ces deux titres sont cotés sur le Nasdaq, pas sur le CAC 40 !
Autre hypothèse : l’anticipation d’une prise de position ferme et résolue de la part des autorités monétaires européennes en faveur d’une stabilisation du marché des changes tandis que le dollar s’enfonce sous les 1,41/euro… Mais la BCE semble aux abonnés absents — sauf Axel Weber : il jette de l’huile sur le feu en réaffirmant que l’Europe doit cesser ses achats de dettes émises par des pays en difficulté comme l’Irlande où la Grèce.
Peut-être la hausse mystère des indices européens du 13 octobre allait-elle s’éclaircir avec une série de statistiques publiées aux Etats-Unis jeudi en début d’après-midi. Mais non : les marchés se sont transformés en meules de foin dès 14h30. Aucune réaction, mais ce qui s’appelle strictement aucune.
Ni à la hausse de 0,4% du PPI (+0,1% hors énergie) au mois de septembre… Ni à la hausse de 13 000 chômeurs (à 462 000)… Ni au net creusement (+9%) du déficit commercial, de 42,5 à 46,35 milliards de dollars au mois d’août.
Les futures du Dow Jones et du Nasdaq ont à peine tressailli, comme si des logiciels de trading avaient été programmés pour enrayer l’apparition du moindre mouvement directionnel sur les indices de part et d’autre de l’Atlantique.
▪ A Wall Street, le Dow Jones terminait inchangé (-0,01%) et le Nasdaq s’effritait de -0,25%. Ils faisaient ainsi jeu égal avec le CAC 40 ou l’Euro-Stoxx 50 — tous les indices semblaient cette fois-ci bien en phase après la saute de tension de mercredi.
Les opérateurs ont-ils estimé qu’il n’y avait plus d’enjeu depuis que la Fed a confirmé son intention de remettre en marche la planche à billets ?
A propos, la Fed présentait le prochain assouplissement quantitatif comme une solution récoltant une large adhésion de ses membres. Cependant, un quatrième président (sur 13) d’une Fed régionale (Jeffrey Lacker jeudi matin, après Thomas Hoenig 24 heures plus tôt) se désolidarise de ce projet de monétisation de la dette… dont nul ne maîtrise les effets à court terme, et encore moins à moyen terme.
Mais l’ampleur des déficits américains (1 200 milliards de dollars en 2011) rend cet expédient quasiment incontournable. En effet, à plus ou moins brève échéance, la Fed devra ravaler l’équivalent 100 milliards de dollars d’emprunts fédéraux par mois en l’échange de bons du Trésor US assortis de la garantie du contribuable… Cela même avant de songer à injecter le premier dollar destiné à lutter effectivement contre les pressions déflationnistes.
Il n’y a donc qu’une seule alternative : l’assouplissement quantitatif ou la faillite inéluctable de dizaines d’états de l’Union, avec la mise au chômage de millions de fonctionnaires supplémentaires (Obama n’a pas été élu pour cautionner cela).
S’il faut sacrifier le dollar (c’est totalement indolore pour l’instant) et une partie du pouvoir d’achat des pensions de retraite (si l’inflation ressurgit après 2012) pour éviter un tel désastre… croyez-vous que la Fed puisse hésiter un seul instant ?
▪ Nous avions dénoncé les subprime comme une fraude dès 2006 et démontré que l’éclatement de la bulle du crédit était déjà avérée dès mars 2007. Nous affirmons depuis fin 2008 que c’est l’Etat américain qui s’est transformé en un gigantesque AIG et la Réserve fédérale en « Feddie Mae » (contraction de Fed, Freddie Mac et Fannie Mae), selon l’astucieuse formule imaginée par Ed Yardeni.
Tout comme pour les subprime trois ans auparavant — alors que les indices américains battaient des records historiques — nous voyons se dresser, face à cette nouvelle crise sous-jacente, un formidable mur de mensonge et de manipulation de Wall Street.
Ceux qui avaient tiré les cours à Wall Street à l’automne 2007 l’avaient fait en toute connaissance de cause pour discréditer les quelques illuminés qui voyaient grossir à vue d’oeil l’iceberg des CDS au milieu d’un océan de dettes pourries.
Le marché « qui a toujours raison » (et qui synthétise toute l’information) tenta de démontrer par son envol que la crise n’existait pas, que les banques centrales sauraient quoi faire le cas échéant et que ceux qui s’alarmaient étaient des idiots.
Il est en train de nous refaire le même coup cette année alors qu’aux Etats-Unis, la faillite de 40 états sur 50 et de deux tiers des municipalités menace de nous exploser à la figure. Le quantitative easing n’a pas pour but de relancer l’économie ; c’est l’alibi de circonstance qui permet faire passer la monétisation de 1 000 milliards de dollars de dette pour une lutte légitime contre la déflation.
▪ La rechute du dollar sous 1,41/euro et la hausse symétrique de l’or par delà les 1 385 $ devraient nous alerter — tout comme le gel des transactions interbancaires début 2008 ou l’explosion symétrique du taux Euribor.
Mais qu’est-ce que le commun des mortels comprend à ces subtilités techniques ? Il ne faut surtout pas leur prendre la tête avec ça : dites-leur que tout va bien puisque c’est cela qu’ils veulent entendre ! Et remettez-nous le Dow Jones à 11 200 points !
Le temps que tous ces naïfs réalisent que c’était sa valeur au début du mois d’avril — quand tout le monde pensait que la croissance avoisinerait 3,6% fin 2010 (et non pas 1,2%) et 3,2% en 2011 (divisez par deux) — nous aurons eu le temps de couvrir nos arrières et de prendre plein de photos rigolotes d’investisseurs transportés de bonheur par le dernier colmatage de la Fed avant la faillite du système.