La Chronique Agora

Le Nikkei va bientôt pulvériser les scores du Dow Jones

▪ Aaaah, le Dow Jones à 15 000 points ! Tout le monde l’anticipe, la Fed va nous l’y envoyer au zénith d’ici ce vendredi soir, aussi sur que 15 + 000 font 15 000.

Ce score ne correspond évidemment au couronnement d’aucune croissance à 3% pas plus qu’à une embellie du marché du travail aux Etats-Unis… ni à l’amélioration des perspectives de profit des entreprises américaines à l’international : après l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, c’est au tour de la Russie d’abaisser son objectif de PIB de 3,6% à 2,4%, loin des 5% visés par Andrei Medvedev.

Pourquoi 15 000 ? Parce que Wall Street le veut, comme un enfant gâté qui n’a aucune notion de la disproportion de ses attentes mais qui a la certitude que tout lui est dû. Peu importe que les autres n’aient droit à aucune gratification réelle — les autres, ce sont les 98% d’Américains qui ne font pas partie de la sphère des très riches et très puissants qui règnent sans partage sur Wall Street.

Wall Street veut ses 15 000… « parce que c’est comme ça ». Parce qu’une fois franchi les 14 200, il n’y avait plus de limite à la hausse de valorisation des actifs cotés.

Pourquoi y en aurait-il une puisque l’économie réelle compte pour zéro et la fausse monnaie de la Fed pour 100% de la hausse des six derniers mois (les bénéfices des entreprises sont en effet en contraction depuis le quatrième trimestre 2012) ?

Wall Street veut toujours plus de tiercés truqués, où le seul cheval qui remporte le saladier est celui qui boîte des antérieurs et supporte un jockey de 95 kg. Wall Street veut toujours plus de roulette à une seule case — la Fed joue 85 milliards de dollars et les brasseurs d’argent gagnent 36 fois la mise.

Wall Street est insatiable : après le coup de reins (décisif ?) de mercredi, les indices américains n’ont mis que 15 minutes à repartir en « mode rally » jeudi avec une nouvelle pluie de records historiques (1 597 points sur le S&P 500 et 14 888 points sur le Dow Jones).

▪ Le Dow Jones Transport joue les trouble-fête
Les jeux seraient donc faits. Les derniers ayant sauté, le flux haussier peut se déverser sans entrave ? Pas si sûr si l’on en juge par l’évolution du Dow Transport qui se repliait de 0,1% hier au final après avoir ricoché sous les 6 200 points.

Le Russell 2000 et le DJT ne sont pas parvenus à inscrire de nouveaux records après leur envolée du 10 au 15 mars… Et toujours pas trace du rush massif de foules d’épargnants subjugués par la fantastique faculté de préscience des marchés.

La réalité de terrain reste trop sombre pour que les investisseurs particuliers confondent la lumière artificielle projetée sur Wall Street avec celle d’une aube économique radieuse.

Peut-être Ben Bernanke et les petits génies de la programmation algorithmique se voient-ils comme des chasseurs d’insectes dans les marais de Floride — de ceux qui allument à la nuit tombée un puissant projecteur derrière un drap blanc… en espérant qu’il se couvrira rapidement de milliers de créatures nocturnes, dans le but d’attirer à leur tour des prédateurs appartenant à des espèces plus évoluées, de celles auxquelles la Fed accorde ses faveurs.

Mais quelque chose ne fonctionne pas. Les papillons de nuit semblent avoir déserté la forêt, les éphémères — si nombreuses car promises à une mort rapide — semblent se détourner de la lumière.

Alors les faiseurs d’opinion, les stratèges avec pignon sur médias se mobilisent pour venir prêter main forte à la Fed. Ils agitent leurs torches frénétiquement en espérant faire se lever des nuages d’insectes… mais plus ils brassent de l’air, plus ils font fuir ce qu’ils recherchent.

▪ Migration vers Tokyo
Après un début d’année marqué par le réinvestissement des dizaines de milliards de dollars de dividendes généreusement distribués fin 2012, les intermédiaires financiers européens voient des milliards quitter la Zone euro depuis le début du mois de mars.

Une partie de l’argent s’est simplement déplacé vers Wall Street et Tokyo, où il alimente désormais la bulle voulue par la Bank of Japan.

Une bulle qui prend des dimensions historiques : +30% en trois mois et 10 jours, +63% en moins de 10 mois.

Qu’en pense la stratège en chef de Goldman Sachs Japon, Kathy Matsui ?

Tout simplement que le Nikkei se dirige vers 16 000 points (le Dow Jones fait petit joueur avec ses 15 000). Il dispose donc de 20% de marge de progression avant la fin de l’année fiscale 2013/2014, qui s’achèvera fin mars de l’an prochain.

Même diagnostic pour le marché obligataire nippon. Cela va prendre des semaines avant que l’appétit pour les émissions du Trésor retombe et qu’une éventuelle bulle se dégonfle (qui a dit « bulle » ?).

Certes, la stratégie de Shinzo Abe et de son allié de la Bank of Japan, Haruhiko Kuroda, est aussi audacieuse qu’inédite, mais elle est applaudie par Christine Lagarde.

Qu’est-ce qui pourrait mal tourner puisque les plus grands esprits du monde de la finance internationale s’extasient sur le recours hyper massif à la planche à billets ?

Que le plus petit client de Wells Fargo rédige un chèque sans provision de 12 $ et la colère céleste du système bancaire américain s’abat sur sa tête… Que la Bank of Japan décide d’imprimer 1 200 milliards de dollars — comme le malheureux épargnant à découvert de 10 $ — que le prix de l’encre et du papier, et toute la communauté financière la comble de louanges.

C’est tout naturel puisque tout cet argent surgi de nulle part se répand en quelques clics sur l’ensemble de la planète, en quête de rendement et de plus-values faciles.

Tout semble fonctionner à merveille, les bulles gonflent, les gouvernements trop endettés respirent, les investisseurs nippons ne se montrent pas trop regardants… tout vaut mieux que du yen.

C’est rageant pour les chypriotes : à 15 jours près, leur système financier aurait pu être sauvé. Mais non, nous plaisantons. Chypre est comme le petit client qui a signé un chèque sans provision… de 17 milliards d’euros en faveur de la Grèce il y a quatre ans.

C’est trop dérisoire pour que l’Europe lui fasse crédit. Si cela avait représenté un enjeu de 350 milliards d’euros comme les créances immobilières espagnoles, la BCE aurait sûrement consenti un geste. Alors Chypre fait une tentative désespérée et annonce avoir besoin de 23 milliards d’euros, non plus de 17 milliards.

Echec assuré : à moins d’un Madoff (50 milliards de dollars) de déficit, vous n’êtes pas systémique ! Personne ne vous prend au sérieux, ce qui vous laisse seul face à l’unique issue possible — la faillite et l’euthanasie de votre économie.

Ou la sortie de l’euro et la répudiation de la dette ?

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