La Chronique Agora

De la nature de l’argent

▪ Nous avons eu une grosse matinée au ranch. Les vaches s’étaient égarées dans l’avoine. Il a fallu les regrouper dans leur pré. Puis nous sommes allé là où nous construisons une petite bodeguita… un endroit où passer la nuit après une longue chevauchée… où se détendre pendant un week-end…

… loin du bruit et de l’agitation de la vie normale.

En fait, pour l’instant, il n’y a pas d’électricité… pas de téléphone… pas de télévision… pas de réseau… rien. Pas même un avion dans le ciel.

C’est parfait pour se détendre. On prend un livre, une chandelle. Une bouteille de vin. Un peu de fromage, des fruits secs. Tout est fait à la ferme, ce qui rend le tout charmant et intéressant. On regarde le soleil se coucher sur la montagne. On lit. On boit du vin. On s’endort.

Ricardo est passé à la maison hier. Il a travaillé à nos côtés pendant que nous construisions la bodeguita. Il avait des doutes concernant le fait que nous savions ce que nous faisions — monter une voûte et une coupole faite de briques d’adobe — et il avait raison. Nous ne savions pas ce que nous faisions. C’était une expérience. Nous sommes allé visiter l’endroit hier. Pour l’instant, tout va bien.

La fille de Ricardo a une forme rare d’épilepsie ; apparemment, son état empire. Elle a eu une attaque d’une telle ampleur la semaine dernière qu’elle s’est mordu la lèvre jusqu’à l’arracher. Ricardo va en ville (en réalité un petit carrefour poussiéreux à une heure de distance) une fois par semaine pour chercher des médicaments. Mais sa petite fille en a besoin deux fois par jour. Chaque dose coûte 50 pesos.

Nous savons combien Ricardo gagne. Parce c’est nous qui signons son bulletin de salaire. Il gagne 121 pesos par jour — qu’il ne touche que les jours où il travaille. Il utilise donc jusqu’au dernier sou de son salaire pour assurer le traitement de sa fille.

« Je pensais que le gouvernement fournissait des médicaments », avons-nous dit au régisseur de la ferme.

« Normalement oui, mais il n’a pas de médicaments. Alors Ricardo doit les acheter à la pharmacie ».

Ricardo ne demande pas d’aide. Mais il en a besoin. C’est en grande partie pour cette raison que nous continuons à perdre de l’argent… pour maintenir la ferme en activité et Ricardo au travail. Sinon, il n’y a pas de travail dans cette vallée. Il devrait quitter sa petite arrienda et déménager en ville.

Est-ce bien ou mal, nous n’en savons rien. Mais nous « investissons » dans la ferme pour qu’elle continue de tourner… pour que Ricardo et sept autres personnes aient un travail… et nous espérons qu’elle deviendra auto-suffisante avant que nous faisions faillite.

« Nous irons parler à un docteur en ville », lui avons-nous dit. « Peut-être pourra-t-il vous obtenir les médicaments pour moins cher ».

Nous avions envoyé la pelleteuse en avance afin de commencer à dégager une zone devant la petite maison (la bodeguita) ; nous voulons y planter un jardin. On est au début du printemps, ici. Les jours sont chauds. Les nuits sont fraîches. Il est temps de semer. A notre âge, nous ne voulons pas manquer une seule saison. Nous avons donc empaqueté des arbres fruitiers et quelques buissons dans la camionnette… et nous nous sommes mis en route.

▪ Et l’argent, dans tout ça ?
Oh… c’est vrai… nous sommes censé écrire au sujet de l’argent. Quel est l’angle d’investissement ?

D’accord, vous voulez parler d’argent ? Eh bien, voici les dernières nouvelles :

L’activité manufacturière est en hausse aux Etats-Unis.

Elle est en baisse au niveau mondial.

Toujours au niveau mondial, le commerce ralentit, dit le Wall Street Journal. Ce qui n’est pas une bonne chose. Les gens s’enrichissent quand ils échangent les uns avec les autres. Les tarifs douaniers… et « l’autarcie »… rendent toujours les gens plus pauvres. Adam Smith l’a expliqué il y a 250 ans.

Un petit chiffre supplémentaire : il y a plus de chômeurs que jamais en Europe. Ils sont 18 millions.

Mais revenons-en à la ferme. Voilà, nous parlons d’argent : nous avons acheté cet endroit comme un investissement ! Les prix étaient bas en Argentine à la suite de la crise de 2001-2002. Surtout dans ce coin oublié du pays. Le ranch était évalué à environ quatre dollars l’acre.

« Qu’avons-nous à perdre ? » avons-nous dit à notre vieil ami Rick Rule, venu visiter l’endroit.

« Environ quatre dollars l’acre », a-t-il répondu.

Il se trompait de 10 $. A mesure que le temps passe, les pertes s’accumulent. C’est une ferme en fonctionnement, avec des salaires à payer… des tracteurs à réparer… des réservoirs à creuser. Tout ça coûte de l’argent. On peut se dire qu’on « investit ». On peut même faire des calculs montrant quand on rentrera dans ses frais.

Peut-être que tout ça finira par fonctionner. Mais les vétérans — les propriétaires terriens qui sont là depuis des générations — et les fermiers professionnels ne sont pas dupes. Ils lèvent les yeux au ciel et vous regardent avec un mélange de pitié et de mépris.

Une récolte est détruite par les abeilles. Une autre par la sécheresse. Il y a du bétail, mais les bêtes n’ont rien à manger. « Du boeuf nourri au sable », comme nous l’appelons. Les gens rient. « Faible taux de cholestérol. Faible teneur en lipides. Très faible teneur en lipides ».

Et on envisage donc l’année suivante. On investit dans un plus grand réservoir et dans plus d’insecticides contre les abeilles. On diversifie. Ici, en plus de la vigne et du bétail, nous plantons du quinoa, des câpres et des noix.

« Essayons… peut-être que nous réussirons à faire fonctionner quelque chose », avons-nous dit au régisseur. « Si ces noix produisent comme prévu, nous rentrerons dans nos frais d’ici 2017 ».

Ou pas…

Mais qu’importe si nous perdons de l’argent ? C’est ainsi que le monde est fait. Personne ne garde son argent. Il circule. De la personne qui l’a gagné vers le gouvernement… et les zombies. Ou vers la personne qui vend des montres de luxe, des vêtements de marque ou des vacances bon marché. L’argent bouge. Il a toujours bougé. Tout ce qu’on peut faire, c’est le pousser un peu dans la direction où l’on souhaite qu’il aille.

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