La Chronique Agora

Le mythe de l’homme providentiel

politique et idéologie

Le personnel politique français a très largement adopté l’axiome selon lequel la politique est « l’art du possible ».

La pusillanimité est érigée en principe d’action suprême et le volontarisme n’a plus cours une fois les élections arrivées à leur terme.

Ce constat est proprement stupéfiant, tant les candidats semblent se métamorphoser à l’approche de chaque échéance électorale.

Mais c’est un grand classique : révolutionnaire pendant sa campagne, le candidat victorieux se transforme en grand une fois au pouvoir ; et en vue de mieux conserver ce dernier, il s’agit de prendre un minimum de risques.

Un homme providentiel sans programme ne dure que le temps d’une campagne

Pendant les semaines qui ont précédé son élection, Emmanuel Macron ne s’est pas caché de faire primer la forme sur le fond. « La politique, c’est un style » ; « la politique, c’est mystique » ; « La dimension christique, je ne la renie pas, je ne la revendique pas », déclarait-il dans le JDD. « C’est une erreur de penser que le programme est le coeur d’une campagne électorale », renchérissait-il.

Le résultat des élections a montré qu’il avait 100 fois raison. Suffisamment d’électeurs, bien souvent dégoûtés par des tombereaux de promesses politiques non tenues, ont été sensibles à l’énergie et au volontarisme d’un candidat qui a savamment entretenu le flou sur son programme. Et vu la brochette de bras cassés qui lui servait d’adversaires, leur choix se conçoit. Se voulant rassembleur et moderne, Emmanuel Macron a par ailleurs réveillé bien des consciences parmi les plus opportunistes de nos politiciens :

Lors de l’investiture du 14 mai 2017, les commentateurs ont failli manquer de superlatifs pour décrire la cérémonie, et seriner à l’attention de ceux qui ne l’avait pas encore compris que ça n’était pas un homme qui allait devenir président, mais un héros.

Mais plus qu’à De Gaulle, c’est à Napoléon qu’Emmanuel Macron aime se comparer. En tout cas à en croire les propos de l’écrivain Philippe Besson qui l’a accompagné pendant sa campagne et ses premières semaines à l’Elysée.

Le nouveau président, qui a demandé à son gouvernement d’axer sa communication sur le terme de « transformation » plutôt que sur celui de « réforme », s’engluera-t-il progressivement dans l’immobilisme, à l’image de ses prédécesseurs ?

Après seulement six mois de mandat, il est trop tôt pour en juger. Mais les premières mesures mises en oeuvre et la Loi de finances n’augurent pas d’une volonté farouche de revoir les choses en profondeur.

L’état de grâce du nouveau président étant déjà terminé, les Français commencent à se rendre compte que la fable de l’homme providentiel n’est agréable à écouter que le temps d’une campagne électorale.

Une fois l’état de grâce retombé, seul le programme compte

Nombre d’adversaires politiques et de commentateurs ont critiqué Emmanuel Macron pour son absence assumée de colonne vertébrale idéologique.

On voudrait faire passer Emmanuel Macron pour un pur pragmatique dépourvu d’idéologie. Cette prétendue carence serait le meilleur moyen d’avancer sur le plan de l’action politique, en cela qu’elle permettrait de sortir du « tout ou rien » permanent du spectacle partisan et de mieux réformer en privilégiant le consensus. On notera que l’économiste Daniel Villey soulignait déjà ce travers il y a plus d’un demi-siècle :

Cette analyse me semble être doublement fausse.

Tout d’abord, la recherche permanente du consensus ne permet de réformer qu’à la marge et n’autorise aucunement le changement de modèle.

Emmanuel Macron n’est nullement dépourvu d’idéologie ni de doctrine. Tout au plus peut-on parler de « souplesse idéologique », pour cet homme qui déclamait en décembre 2014 « pourquoi [il était] socialiste » et qu’il « l’assum[ait] » car « c’est utile d’être socialiste aujourd’hui », c’est même « une nécessité de bâtisseur », avant de se récuser 20 mois plus tard.

« Socialiste » ou pas, Emmanuel Macron reste pour le moment aussi enfermé que ses prédécesseurs, en prenant soin de remettre en cause non pas le cadre actuel mais seulement ses marges. Ce choix politique par défaut valide les fondamentaux que sont le dirigisme technocratique ou encore le capitalisme de connivence, face auxquels il n’y aurait pas d’alternative.

Chez Macron, il semble donc bien y avoir une idéologie qui prévaut, la même que chez ses prédécesseurs. Au centre de celle-ci, la conviction qu’il faut redoubler d’efforts sur le plan de la communication pour masquer ses renoncements, avec pour objectif de voir son nom rentrer dans les livres d’Histoire au gré de quelques réformettes économiques, mais surtout de réformes sociétales.

Les idéologues constructivistes ont toujours la voie libre

Emmanuel Macron, comme ses prédécesseurs, est convaincu du rôle majeur que l’Etat doit jouer sur tous les pans de la société. Vouloir réglementer jusqu’au menu de la cantine est une lubie d’idéologue constructiviste. Qualifier de « libéral » un tel individu est un non-sens.

Le libéralisme s’oppose au constructivisme. Il ne fonctionne pas par la contrainte, ce n’est pas une idéologie. Il repose au contraire sur la spontanéité de l’action humaine. N’entendant changer ni l’homme ni le monde en vue d’atteindre quelque conception idéaliste que ce soit, le libéralisme est une philosophie politique anti-idéologique, comme l’expliquait Raymond Aron. Contrairement au dirigisme étatique, il prétend faire confiance à des individus libres d’user de leur capacité d’initiative et responsables de leurs actes dans une société où tous sont égaux en droit.

Un système politique où la Loi est la même pour tous, Etat y compris.

Il fut un temps où la France était à l’avant-garde du développement et de la mise en pratique de ces idées libérales… et figurez-vous que ce fut une de nos époques les plus prospères.

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