▪ Des manifestants se sont rassemblés sur la place Syntagma pour protester contre la cruauté de la vie en général et de l’accord passé par le gouvernement grec avec ses créditeurs en particulier.
« Les travailleurs grecs passés à la lessiveuse alors que Tsipras est forcé de revenir sur ses promesses », déclare un gros titre du Financial Times, qui n’a pas pu résister.
« L’austérité », l’appellent les journaux. En réalité, c’est uniquement une question de « narration publique », comme nous l’expliquons ci-dessous. Dans les faits, la Grèce ne fait que réduire ses extravagants pots-de-vin et subventions aux zombies ; c’est le prix à payer pour que la partie continue. Si les Grecs veulent plus d’argent, ils doivent faire semblant de l’utiliser prudemment. Si les compères prêteurs veulent continuer à prêter, ils doivent faire semblant qu’ils récupéreront leur argent.
Comme les guerres zombies au Proche-Orient, le plus important n’est pas de gagner. Ou de résoudre des problèmes. Le plus important est juste de faire en sorte que l’argent continue de couler.
Mais les zombies d’Athènes étaient généralement calmes et apathiques, hier. Ils savaient que grâce à l’accord, la viande rouge continuerait de leur arriver… même si c’est en quantité moindre qu’ils l’espéraient. Quelle est l’alternative, après tout ? Faire défaut — et se voir contraints de vivre réellement selon leurs moyens ?
« Nous espérons que Syriza s’occupera de nous », a déclaré un concierge. « Tant que je suis en vie, au moins ».
Pendant ce temps, à Washington, Janet Yellen faisait semblant de s’occuper elle aussi des concierges. « Si l’on regarde en avant, les perspectives sont favorables à une amélioration du marché de la main-d’oeuvre et de l’économie plus largement », a-t-elle dit. Comme si elle en savait quelque chose ! Elle a continué en suggérant que la Fed agirait peut-être pour « normaliser » les taux d’intérêt plus tard dans l’année — si les choses évoluent comme attendu.
▪ Mythes et récits
« Les gens ont besoin de mythes », a déclaré notre collègue Simone Wapler lors d’un déjeuner mercredi. « Il leur faut une narration, un récit public assez simple pour qu’ils le comprennent ».
Le bien contre le mal, le noir contre le blanc, la gauche contre la droite… Cette narration doit être dépouillée de toute nuance, subtilité et contradictions. En d’autres termes, elle doit être dépouillée de tout ce qui pourrait ressembler à la vraie vie.
Le mythe de la crise de 2008-2009, c’est qu’elle a été causée par l’avidité et la déréglementation. Ensuite, les autorités sont intervenues pour sauver la situation. Depuis, elles ont soigneusement nourri une « reprise ». Et au moment opportun, Mme Yellen remettra l’économie entre les mains du marché.
« Les gens ont besoin de mythes » |
Dans ces lignes, nous avons un récit différent — en constante évolution, brut de décoffrage et forcément plein de paradoxes et de confusion. Ce qui se passe vraiment dans une Guerre zombie : les tire-au-flanc, les manipulateurs et les profiteurs luttent pour maintenir leur mainmise sur l’économie productive. Et ils ont de plus en plus de mal. D’abord parce qu’ils sont si nombreux. Ensuite parce qu’ils ont imposé tant de réglementations et de distorsions que l’économie est devenue de moins en moins productive.
Bon nombre des batailles qu’on voit dans les nouvelles sont en fait des batailles entre différents groupes de zombies, chacun luttant pour une part plus grande du butin. Les enseignants veulent une augmentation de salaire. Le Pentagone veut plus d’avions, ou de chars, ou de retraites. La finance veut plus de financement bon marché.
Bien entendu, les zombies seront toujours parmi nous. Et ils voudront toujours plus de chair fraîche. Ce qui rend cette Guerre zombie unique dans l’histoire, c’est qu’il n’y a encore jamais eu tant de zombies… et jamais encore ils n’ont si lourdement dépendu du crédit. Généralement, les parties improductives d’une société sont limitées au surplus de production qui leur est disponible. Lorsque le surplus disparaît, il en va de même des zombies.
Apparemment, lorsque la nourriture venait à manquer, les tribus esquimaudes abandonnaient les personnes âgées sur la glace, où elles se perdaient et disparaissaient. Et dans quasiment toutes les cultures — pour autant que nous en sachions — la paresse et le parasitisme sont découragés.
Les tire-au-flanc, les manipulateurs et les profiteurs luttent pour maintenir leur mainmise sur l’économie productive |
En Suisse, par exemple, l’éthique du travail était si forte qu’un jeune homme assis sur un banc en pleine journée était susceptible de se voir accosté par une personne âgée brandissant une cane : « jeune homme, pourquoi n’êtes-vous pas au travail ? »
▪ Et puis tout a changé…
Est arrivé le système monétaire post-1971 — avec son offre de crédit quasi-illimitée. Tout à coup, il n’y avait quasiment plus de limites pour les zombies. Les pompiers voulaient prendre leur retraite à 45 ans ? Pas de problème. Besoin d’un nouveau stade ? Bien sûr. Plus de subventions pour les cultivateurs de betteraves ? Pourquoi pas !
L’argent facile a engendré un relâchement général. Les gens ne tardèrent pas à ne plus être perturbés par les zombies qui les entouraient… et ne rechignèrent pas à devenir eux-mêmes des zombies. Autrefois, toucher des allocations était perçu comme une marque d’échec et de honte. Le « handicap » était réservé aux gens ayant de vrais problèmes. Les bonus de millions de dollars étaient considérés comme indécents ou vulgaires. Ce n’est plus le cas. Mettez la main sur le magot tant qu’il est temps ! Et pourquoi pas ? Le nouvel argent — le crédit — éclaboussait les rues comme une vanne incendie ouverte. Enfilez votre maillot de bain et allez vous amuser ! Il semblait que la société pouvait entretenir autant de zombies qu’elle le souhaitait — sans perte visible pour quiconque.
Mais attendez… et la dette, alors ?
Au milieu des années 80, le parti républicain américain a oublié son dégoût habituel pour le financement par le déficit. De manière assez commode, il a découvert que les déficits n’avaient vraiment pas d’importance — pour les électeurs. Il y avait abondance de crédit. Les électeurs étaient ravis de toucher de plus grosses allocations. Ils étaient tout à fait prêts à supporter une agence fédérale de plus pour soutenir l’éducation… ou la santé… ou quoi que ce soit — tant qu’on n’augmentait pas les impôts pour la financer. Le coût serait endossé par quelqu’un, quelque part, un jour — qui savait ? Et surtout, qui s’en souciait ?
Les ménages et les entreprises ont eux aussi réalisé que les déficits n’avaient pas d’importance. Les gens en sont venus à penser qu’un gros prêt immobilier était en fait une bonne chose. Les prix des maisons grimpaient. Les actions grimpaient. Si on voulait devenir riche, il suffisait de « grimper sur l’escalator ». Plus le prêt était lourd, plus la maison était immense, plus le portefeuille action était vaste — plus gros était le gain lorsqu’on vendait.
Ainsi, la dette a augmenté. D’environ 150% du PIB US dans les années 50, 60 et 70, elle est passée à 350% du PIB après 2000. Et les zombies se sont déchaînés de Wall Street à la place Syntagma, siphonnant des milliers de milliards de dollars d’actifs réels dans l’économie productive.
C’est là le monde que les zombies et leurs compères cherchent si désespérément à protéger.