Gare aux « cocos » et aux AT1… ou comment les petits seront dévorés par les gros.
Si nous avions prétendu il y a quinze jours qu’un bank run affectant une banque « de niche » de la Silicon Valley allait entraîner l‘effondrement boursier de la plupart des banques régionales américaines cotées sur le Nasdaq, la désintégration suivie du rachat du Credit Suisse, et le plongeon de la Deutsche Bank, vous vous seriez demandé : qu’est-ce que nous ne sommes pas prêts à inventer pour faire paniquer l’épargnant, et pousser en avant notre thèse que les banques centrales ont un agenda – qui n’est même plus secret – visant à imposer une monnaie numérique d’ici deux ans.
L’histoire du système financier vient de connaître une accélération que nous parvenons à peine à suivre, tant une potentielle catastrophe bancaire chasse l’autre !
Nous n’allons pas revenir sur le feuilleton dément du Credit Suisse (que nous avons déjà décrypté), mais nous ne pouvons pas non plus sauter à l’étape suivante – la mise en œuvre des monnaies numériques de banque centrale (MNBC) – sans avoir bien expliqué l’enjeu crucial que constitue l’appétence ou le rejet pour des véhicules obligataires hybrides baptisés « AT1 » (Additionnal Tier One) ou « coco bonds » (dettes non sécurisées convertibles en actions).
Sans aucun risque !
Ces obligataires hybrides, de maturité généralement courte, présentent évidemment un risque supérieur aux émissions « senior », c’est-à-dire donc le détenteur est considéré comme créancier prioritaire en cas de difficultés rencontrées par l’emprunteur. Ce risque, bien que jugé très faible depuis 10 ans – en l’absence de toute faillite bancaire retentissante, les dernières s’étant produites en mars 2013 à Chypre –, permet au détenteur de ces obligations d‘être bien mieux rémunéré que celui détenant une dette « senior ».
Depuis 10 ans, les « AT1 » ou « coco bonds » font ainsi figure de placement rémunérateurs avec quasiment zéro risque. Sans aucun sinistre répertorié pour les utilisateurs de part et d’autre de l’Atlantique, il y a de quoi se sentir en sécurité… d’autant plus que des maturités courtes limitent l’exposition au risque lié à des accidents ponctuels (plus le temps passe, plus la probabilité augmente).
Voilà encore un avantage de taille par rapport – et oui, vous avez certainement fait le lien – aux prêts subprime. Ces derniers affichaient en effet de gros rendements, mais représentaient un vrai pari sur l’avenir compte tenu de maturités très longues, s’agissant de dettes immobilières.
Les « cocos », c’était de copieux revenus et de l’argent vite gagné… mais voilà qu’avec le Credit Suisse, cela se transforme en argent vite perdu ! Les détenteurs s’aperçoivent que le risque qu’ils pensaient apparemment nul depuis 10 ans – même en étant extrêmement malchanceux – est en réalité général, voire quasi universel.
Les banques centrales réaffirment qu’en dehors des banques systémiques qu’elles supervisent et qu’elles promettent de sauver « quoi qu’il en coûte », les autres établissements de crédit ne peuvent compter que sur eux-mêmes.
C’est-à-dire sur leurs fonds propres et, à défaut, sur les fameux « cocos », pour se procurer rapidement de la liquidité lorsque la demande de crédit est forte.
Qui veut des cocos ?
Ou, comme les marchés viennent d’en prendre conscience, lorsque la banque devient « un peu juste » en terme de ratio « Tier 1 » (selon les critères de Bâle), du fait de la dépréciation de certains actifs figurant à son bilan. Comme par exemple les bons du Trésor, parmi les actifs les plus solides de ce Tier 1, qui ont subi un krach de 15 à 20% suivant les maturités, en 2022.
En rappelant que la plupart des banques ne bénéficient pas d’un « put banque centrale » (ce qui entretient un aléa moral difficilement défendable), Janet Yellen aux Etats-Unis puis les autorités suisses viennent soudain de leur accrocher une cible dans le dos. En effet, si les clients fuient une banque non systémique, seuls leurs avoirs sont intégralement garantis (et encore, seulement dans les faits et pas encore dans les textes, car il faudrait modifier la législation), mais pas la mise de leurs créanciers, et encore moins celles de leurs actionnaires.
Qui va encore vouloir participer à des émissions de « cocos » dans ces conditions ?
Comment les banques concernées vont-elles se refinancer si les gérants de portefeuilles « high yield », les fonds de « private equity » et les assureurs cessent d’en acheter ?
Il ne leur reste plus qu’à se tourner vers la banque centrale elle-même, en espérant qu’elle déroge à ses propres règles de non intervention pour éviter un désastre systémique. Ou alors vers ses concurrents systémiques, qui se verraient offrir un droit de vie ou de mort, en l’échange d’une coopération largement à leur avantage, que ce soit un financement – généreusement rémunéré – contre le partage, ou bien la cession d’activités s’avérant complémentaires.
Mais, au bout du chemin, c’est une vampirisation des « petits » par les « gros », avec la complicité assumée de la banque centrale, qui se profile.
Et la logique de concentration qui en découle ne va pas s’arrêter là : la Fed vient de tracer la route qui mènera inexorablement à l’instauration des MNBC. Ceci fera l’objet de notre prochaine chronique…