La Chronique Agora

Le monde d’avant la financiarisation

Silicon Valley, Facebook, Wall Street

Deux secteurs dominent de plus en plus l’économie américaine depuis quelques décennies, la finance et les nouvelles technologies. Deux secteurs qui se différencient du « monde d’avant » par le genre de choses qu’ils produisent…

« Personne ne veut plus faire ce type de travail. »

Mick, notre maçon « de la vieille école » va avoir 65 ans, cette année, et va bientôt prendre sa retraite.

« C’est un métier génial. On est dehors toute la journée. Et c’est sain. On fait énormément d’exercice. Mais c’est un métier dur et physique, que je pratique depuis plus de 50 ans, et que j’ai toujours aimé. Mais il laisse des traces. Et quand je prendrai ma retraite, [mon patron] n’aura plus de maçon dans ses effectifs. 

Les jeunes veulent aller à Dublin. Ils veulent tous travailler dans la finance. Ou dans l’informatique. A Dublin, il y a ce quartier, qu’ils appellent Silicon Docklands. C’est là que sont installées toutes ces entreprises high-tech. Et c’est là que les jeunes veulent aller. »

Je vais communiquer ici quelques réflexions sur ces lieux où les jeunes veulent aller…

Mick a raison.

L’énigme Silicon Valley

Les deux secteurs qui ont généré beaucoup d’argent, ces 25 dernières années, sont Wall Street et la Silicon Valley. Pour nous, cela reste une énigme. Une économie réelle est basée sur le donnant-donnant. Et, en général, plus vous donnez, plus vous recevez.

On peut se procurer du pain chez le boulanger… des véhicules chez les constructeurs automobiles…

Des gens charmants, en Indonésie, se piquent les doigts pour que l’on puisse porter des vêtements… John Deere fabrique notre tracteur… Ford fabrique notre pick-up…

Des bûcherons canadiens nous envoient du bois… des charpentiers construisent nos maisons…

Certaines personnes extraient du pétrole… que des routiers acheminent… et que des employés vendent.

Quand nous allons dans un bon restaurant, nous complimentons le chef et laissons un pourboire au serveur.

La nuit dernière, nous avons ouvert une bouteille de vin qui avait fait tout le voyage depuis le Chili. Des vendangeurs ont cueilli le raisin. Un vigneron l’a mis en bouteille. Un commandant a piloté son navire, avec le vin à son bord, jusque dans le port de Dublin. Et le supermarché local l’a mis en rayon pour que nous l’achetions. Et tout cela pour environ 10 €.

Tous ces gens travaillent dur pour rendre notre vie plus agréable. Mais qu’ont fait Wall Street et la Silicon Valley ?

Quoi que fasse Facebook, les investisseurs ont découvert début février que cela valait moins qu’ils ne le pensaient. En l’espace de quelques heures, 250 Mds$ de capitalisation boursière se sont envolés. La cause immédiate du plongeon, c’était des résultats trimestriels communiqués aux investisseurs et révélant que son chiffre d’affaires était en baisse, de même que le nombre de ses clients (utilisateurs).

Cela a donné l’impression qu’un sommet avait été atteint. Désormais, il est clair que même les « techs » qui réussissent le mieux ne peuvent grimper éternellement.

Certains salaires augmentent beaucoup

Parallèlement, les chiffres grimpent et grimpent, pour Wall Street.

Bloomberg nous offre ces dernières nouvelles :

« Golman Sachs Group Inc. vient de dépenser 23% de plus, en moyenne, par employé, au cours de l’année écoulée, soit la plus forte hausse sur plus d’une décennie. Et ce chiffre est faible, comparé à la flambée spectaculaire des bonus versés aux ‘dealmakers’ [NDLR : banquiers spécialisés dans les fusions/acquisitions], dans un contexte où Morgan Stanley, JPMorgan Chase & Co. et Goldman les ont augmentés de 30%, 40% et 50%.

Après des années de restrictions, les dirigeants des banques tablent à nouveau sur une approche de la rémunération de type « tout ce qu’il faudra », jurant de surenchérir sur les éléments les plus performants, de peur de perdre l’avantage sur un marché du trading et des fusions/acquisitions très dynamique. Du coup, à Manhattan, leurs employés débouchent des bouteilles de vin à 2 000 $ à un rythme jamais constaté depuis des années, achètent des appartements plus grands dans les quartiers recherchés de TriBeCa, et font main-basse sur les yachts. »

Une discipline mineure regroupant des économistes et historiens tente de découvrir pourquoi les sociétés se mettent à décliner. Les hypothèses sont nombreuses : le changement climatique, la guerre, la maladie, la surpopulation, etc.

Voici l’une d’elles : dans toute société, certaines personnes gouvernent et d’autres sont gouvernées. Au fil du temps, de plus en plus de gens veulent rejoindre la classe dirigeante. De nos jours, les parents encouragent les enfants à aller à l’université… à porter des costumes et des tailleurs, plutôt que des bleus de travail, et à rejoindre l’élite.

La chaise à porteurs du sultan

Mais il y a un problème : la classe dirigeante n’apporte pas beaucoup de valeur. Elle régule, contrôle, administre, supervise, conseille. Dans une société honnête, il faut que certaines personnes – l’élite – fournissent ces services. Mais ce poids supplémentaire au sein des classes supérieures constitue un fardeau. Une élite improductive est parasitaire. Elle ne produit aucun dur labeur. Elle est portée à bout de bras par les gens ordinaires, à l’image d’un sultan turc dans sa chaise à porteurs.

Wall Sreet est un régulateur… un facilitateur. Son rôle consiste à mettre en relation des entreprises et les investisseurs, à allouer de précieux capitaux aux entreprises qui auront le plus de chances de le faire fructifier. C’est un service utile. Mais, dans un monde honnête, le capital est limité, de même que les opportunités de l’utiliser avec sagesse.

En général, les investisseurs gagnent de l’argent en investissant dans des entreprises qui génèrent de l’argent, et non en pariant sur des innovations farfelues. Et, pour l’intermédiaire – Wall Street – l’opportunité de gagner de l’argent est également limitée.

Voilà pourquoi, si l’on remonte au monde d’avant la financiarisation, en 1982, le secteur de la finance ne représentait qu’environ 10% des profits réalisés par les entreprises.

Et maintenant que les gros bonus sont de retour, il ne faut pas s’étonner que les jeunes maçons veuillent abandonner la truelle.

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