La Chronique Agora

De moins en moins de terres agricoles (2/2)

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Des décennies de subventions ont complètement faussé les marchés des produits agricoles. Quand l’illusion disparaît, ce sont les agriculteurs qui paient les pots cassés…

Comme nous l’avons vu hier, le site Our World In Data s’est récemment réjoui d’une tendance pourtant plutôt inquiétante. La superficie des terres agricoles dans le monde a atteint un pic, et diminue même depuis plusieurs décennies. Ce n’est pas un déclin important, et les données ne sont pas forcément très précises, mais personne ne conteste que c’est la direction dans laquelle nous nous dirigeons.

Les auteurs de cette étude saluent un progrès, la possibilité à l’avenir de « rendre des terres » à la nature tout en produisant toujours autant de nourriture. Mais c’est plutôt le signe d’une mauvaise allocation de capitaux.

En effet, la quantité de terres cultivées a fortement augmenté depuis plusieurs siècles, mais cette hausse a ralenti après la Seconde Guerre mondiale. Notamment à cause de facteurs politiques, mais aussi à cause de facteurs économiques. Des programmes gouvernementaux de subventions sont par exemple apparus, incitant les agriculteurs à maximiser leur volume de production avec des prix fixés à l’avance.

Etant donné que les prix à l’unité versés aux agriculteurs n’ont pas diminué à mesure que les quantités produites ont augmenté, les agriculteurs des pays occidentaux ont investi massivement dans des méthodes de culture intensive de toutes les denrées subventionnées.

Cela a conduit à submerger le monde des productions excédentaires issues de l’agriculture occidentale et à faire chuter les prix sur le marché mondial, compte tenu du fait que la hausse de la production agricole excédait la croissance démographique.

L’inflation joue aussi ici

Un autre facteur moins évident a amplifié cette transition vers une agriculture de plus en plus intensive : l’avènement du système monétaire inflationniste d’après-guerre.

L’inflation a aussi conduit à modifier les modèles de production dans l’agriculture. Globalement, cela a conduit à une agriculture beaucoup plus intensive en capital, car le système monétaire inflationniste a favorisé le financement bancaire des investissements en capital dans l’agriculture, des investissements également encouragés par les responsables gouvernementaux désireux de « moderniser » l’agriculture selon leur propre vision de l’avenir.

Cependant, ces investissements étaient à courte vue : ils étaient axés sur l’augmentation de la productivité en volume plutôt que sur le développement à long terme d’une production à plus forte valeur ajoutée. Par exemple, il est devenu possible d’employer de plus grandes quantités d’engrais de synthèse dont l’utilisation paraît rentable, ce qui a entraîné une augmentation des rendements agricoles en volume.

Cependant, comme nous l’avons déjà noté, la production alimentaire de base devrait normalement se contenter de suivre la croissance démographique. Toute expansion de la production au-delà de ce niveau est nécessairement non rentable. Historiquement les agriculteurs en ont été dissuadés par ce que l’on appelle la loi d’Engel : à mesure que les revenus augmentent, le pourcentage consacré à la nourriture diminue. Autrement dit, du point de vue des agriculteurs, dès lors que les besoins alimentaires de base sont satisfaits, la demande de nourriture devient inélastique.

Toute expansion de la production entraînera donc une baisse des revenus des agriculteurs, à moins que la population n’augmente et que la demande s’accroisse en conséquence. L’investissement agricole devrait donc tendre à favoriser le développement des productions à plus forte valeur ajoutée plutôt qu’une augmentation de la productivité en volume, par exemple en développant la production laitière ou bovine plutôt que la production céréalière. Et l’essentiel des investissements en capital devrait s’orienter vers d’autres secteurs de l’économie.

C’est précisément ce qui s’est produit avant le XXe siècle : diverses branches industrielles se sont développées beaucoup plus rapidement que le secteur agricole et la production de denrées alimentaires à plus forte valeur ajoutée s’est développée. Après la Seconde Guerre mondiale, ce modèle a changé avec la « modernisation » de l’agriculture, favorisée par de nouvelles subventions et un accès privilégié au crédit bancaire. Les rendements agricoles ont alors augmenté à pas de géant grâce au déploiement de nouvelles techniques à forte intensité capitalistique.

Cependant, plutôt qu’un véritable progrès, il s’agit simplement du résultat inévitable de flux de capitaux poussés artificiellement vers des investissements en intrants agricoles tels que les engrais et les pesticides, ainsi que dans la mécanisation. Les surfaces exploitées sont vouées à décliner, lorsqu’une utilisation plus intensive des terres conduit à un accroissement considérable des rendements et donc à une augmentation conséquente de l’offre de céréales.

L’utilisation des terres est une bonne chose

Pour finir, l’utilisation des terres n’est pas une mauvaise chose. Peut-être que certains animaux seront chassés de leur habitat à mesure que la nature sera cultivée, mais d’autres systèmes écologiques apparaîtront en lien avec l’agriculture et autres modes d’utilisation des terres.

Il peut y avoir une part de vérité dans les critiques à l’encontre de l’agriculture moderne et de la façon dont l’utilisation agressive d’engrais de synthèse et de pesticides provoque une détérioration de l’environnement dans les zones agricoles. Cependant, si cela est vrai dans une certaine mesure, on peut voir que c’est le résultat de la volonté de modernisation de l’agriculture depuis les années 1940. Une évolution encore une fois totalement artificielle, qui a conduit à une utilisation beaucoup plus intensive des terres et qui est le résultat des programmes de subventions agricoles ainsi que de l’expansion du crédit bancaire.

S’il existe des niches ou des systèmes écologiques totalement incompatibles avec l’utilisation humaine des terres, alors il n’y a que deux options : soit ces systèmes disparaîtront parce que personne ne s’en préoccupe, soit des organisations écologistes s’en soucieront suffisamment pour mettre en œuvre des actions afin de les préserver.

Aujourd’hui, malheureusement, cela prend souvent la forme d’un lobbying auprès des gouvernements afin qu’ils utilisent la coercition contre des individus pacifiques, mais cela peut aussi (et c’est parfois déjà le cas) être mis en œuvre au travers de l’acquisition de terres afin d’y protéger les espèces en voie de disparition ou les niches écologiques dont les écologistes se soucient. Ce n’est que si les surfaces exploitées pour l’agriculture devaient globalement diminuer en raison de tels achats volontaires de terres à des fins environnementales que nous pourrons véritablement affirmer qu’une moindre utilisation des terres arables est en fait une bonne chose.


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici

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