La Chronique Agora

Mobilité du futur ou voyage dans le passé ?

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L’objectif des décideurs politiques en Europe serait-il que les citoyens cessent complètement de voyager ?

De façon régulière, de nouvelles lignes de trains de nuit sont annoncées avec tambours et trompettes. La dernière en date est la compagnie « European Sleeper », qui a inauguré fin mai sa ligne entre Bruxelles et Berlin, en passant par Anvers, Rotterdam, Amsterdam et Deventer. À partir de l’année prochaine, la compagnie prévoit d’étendre cette ligne de Berlin à Dresde puis à Prague.

Lorsque j’ai choisi une date au hasard pour ce mois-ci pour programmer un trajet, j’ai eu le choix entre des sièges « Budget » sans même un lit pour 80 €, et des compartiments « Confort » partagés avec cinq autres personnes pour 130 €. La réduction de la taille du compartiment par deux personnes entraîne un coût supplémentaire de 50 €, et la privatisation du compartiment coûte la bagatelle de 500 €.

Ces offres seront certainement en concurrence avec la combinaison entre des billets d’avion et des chambres d’hôtel bon marché, qui offrent certainement plus de confort aux consommateurs qu’un train couchette dans lequel l’option économique n’offre même pas de lit.

Je n’essaie pas de critiquer cette entreprise pour avoir essayé de proposer une alternative. Après tout, il y aura des étudiants disposant d’un budget limité pour qui certaines de ces attractions seront attrayantes. Ce que je conteste, c’est la façon dont les gouvernements européens présentent cette initiative comme une sorte de victoire pour le marché européen de la mobilité.

Un vieux modèle qui renaît

2021 a été l’« année européenne du rail » – une déclaration symbolique qui souligne l’ambition de la Commission européenne de stimuler les connexions ferroviaires à travers le continent. Dans sa communication, Bruxelles nous dit :

« Le rail est largement électrifié et émet beaucoup moins de CO2 que des déplacements équivalents par la route ou l’avion. Il ne représente que 0,4 % des émissions de gaz à effet de serre des transports de l’UE, alors que l’ensemble des transports de l’UE représente 25% des émissions totales de l’UE. En outre, c’est le seul moyen de transport qui, entre 1990 et 2017, a constamment réduit ses émissions et sa consommation d’énergie, tout en utilisant de plus en plus de sources d’énergie renouvelables. »

Le problème sous-jacent est que les trains-couchettes n’améliorent pas la commodité pour les consommateurs, en particulier parce que leurs prix ne sont guère compétitifs par rapport à ceux de l’aviation, même avec l’augmentation des prix de ce secteur. Par ailleurs, les trains utilisés sont vieux et donnent à l’Europe un air poussiéreux et nostalgique par rapport aux pays d’Asie. Alors que les Sud-Coréens traversent tout leur pays dans des trains à grande vitesse modernes en seulement deux heures et demie pour l’équivalent de 60 €, les Européens célèbrent leurs concitoyens coincés dans un train du XXe siècle pendant plus de 11 heures, pour une distance seulement deux fois plus longue, de Bruxelles à Berlin.

On peut se demander si nous avons perdu notre avantage concurrentiel. Ou plutôt : l’objectif discret des décideurs politiques en Europe est-il que les citoyens cessent complètement de voyager ?

Priorité au consommateur

La France a récemment interdit les vols court-courriers, dans la mesure où ils peuvent être remplacés par un voyage en train. Quiconque utilise régulièrement le train pourra vous dire que le réseau ferroviaire européen est loin d’être fiable. La France, la Belgique, les Pays-Bas et surtout l’Allemagne souffrent de grèves et de la dégradation de l’infrastructure ferroviaire. Le prix des billets explose alors que le service se détériore.

La suppression des contrôles de sécurité des années 2010 sur la plupart des réseaux ferroviaires à grande vitesse est une bonne chose et rend l’utilisation du train plus confortable, mais la fiabilité des voyages en train laisse à désirer. Trop souvent, les voyageurs sont laissés en rade sans aucune information, les touristes reçoivent des informations dans une langue qu’ils ne comprennent pas et les procédures de remboursement sont longues et bureaucratiques.

Certes, le transport aérien n’est pas exempt de défauts, et cet été ne fera probablement pas exception à la règle. Mais le secteur de l’aviation a au moins accumulé de l’expérience. Des agences aident à l’indemnisation, et des voyageurs peuvent être replacés pour atteindre leur destination finale. De plus, le transport aérien reste beaucoup plus sûr que le train.

Nous sommes loin d’un réseau ferroviaire qui nous permettrait de remplacer notre réseau aérien existant par des trains. Cependant, les politiciens imposent déjà des restrictions et des taxes aux avions, comme si nous disposions d’un train fiable à notre porte.

Les trains-couchettes peuvent être amusants. Ils feront très certainement l’objet de vidéos Instagram passionnantes, d’enterrements de vie de garçon arrosés et probablement d’une série de rapports de police divertissants. Mais ils ne correspondent pas aux besoins professionnels des entreprises de ce continent.

Le réseau à grande vitesse reste limité dans toute l’Europe : seules la France, l’Espagne et l’Italie disposent de réseaux modérément fiables. La Deutsche Bahn allemande a du mal à répondre aux exigences de son réseau ICE, tandis que les réseaux ferroviaires d’Europe de l’Est sont encore… eh bien, d’Europe de l’Est.

Les trains de nuit sont souvent des entreprises subventionnées, et je pense que c’est là que les consommateurs ont le droit de se plaindre. Ce n’est pas que ces trains de nuit soient de facto médiocres. Mais, peu importe leur qualité, et peu importe que nous les utilisions ou non, nous payons déjà pour eux.

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