La Chronique Agora

Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde

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« Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ». Ces mots prononcés par l’ancien premier ministre Michel Rocard servent de refrain chaque fois que la question migratoire revient au premier plan de la scène politique.

Bien sûr, on oublie de rappeler que la citation est tronquée. Il faudrait rajouter « … mais nous devons prendre notre part » pour obtenir les propos complets.

Peu importe.

Car malheureusement pour les quelques minorités bien-pensantes qui osent compléter ce refrain, il ne s’agit pas de philanthropie. Au contraire, se demander s’il faut accueillir « la misère du monde » est révélateur du mépris, peut-être inconscient, que nous témoignons vis-à-vis de ceux qui fuient la guerre ou la pauvreté. Que les philanthropes bien intentionnés ne s’y trompent donc pas : leurs discours misérabilistes teintés de paternalisme participent également à la marginalisation des immigrés.

Envisager la migration sans brandir l’assistanat

Suggérer qu’il faille « prendre notre part » de « misère du monde » montre avant tout que l’on n’arrive pas à concevoir les questions migratoires autrement qu’à travers l’assistanat. À croire que le réfugié qui émigre aspire à exporter sa seule condition misérable en se contentant de vivre aux crochets de la société sans chercher à améliorer sa situation personnelle.

Le réfugié est dépeint comme un être voué à demeurer un simple fardeau, incapable de faire preuve d’initiative quand bien même ses péripéties migratoires feraient pâlir les plus aventuriers d’entre nous.

Cette représentation infantilisante de l’immigré « parasite » n’est pas seulement insultante pour celui-ci. Elle ternit son image auprès des locaux, ce qui compromet ses chances d’être acceptés par ces derniers.

Les État-providence les plus généreux sont les plus fermés

La réputation des réfugiés est déjà bien entamée par les préjugés entretenus auprès des contribuables peu enclins à ajouter à la « solidarité publique ».

C’est pourquoi les électeurs tendent à demander une plus grande répression des réfugiés si cela permet d’éviter de nouvelles concessions budgétaires.

À la différence du capitalisme libéral, la social-démocratie ne peut en effet que fonctionner que dans le cadre étroit et primitif de la tribu nationale, sans quoi elle s’effondrerait.

Ceci explique pourquoi les État-providence les plus généreux sont également les plus fermés. Le Danemark est un cas emblématique. Notons que cette fraternité exclusive n’est pas sans contradiction avec les valeurs égalitaires prétendument incarnées par l’État social.

Le mythe de l’immigré parasite se heurte à toutes les données disponibles en la matière. Les informations dont on dispose suggèrent que les immigrés sont en moyenne plus entreprenants que les populations locales, pour peu qu’on les laisse travailler librement.

Mais cette option est rarement débattue dans les pays développés où sévit l’illettrisme économique qui conduit à considérer le marché de l’emploi comme un gâteau fixe. Selon cette vision, l’emploi de l’étranger se traduit par le chômage d’un autochtone.

À ceci s’ajoute la prédominance culturelle des idées socialistes qui considèrent toute immigration comme l’armée de réserve du capital.

Ces biais conduisent les populations à considérer que l’immigration économique appauvrit tout le monde. Sensibles aux pressions des masses, les gouvernements se contentent d’ouvrir des centres d’accueil et des camps de réfugiés.

Le marché noir préférable aux centres d’accueil

Mis à part peut-être les quelques technocrates qui vivent de la mise en œuvre de ces programmes, chacun sait qu’ils ne sont pas durables. Ceux qui « bénéficient » de ces mesures en sont eux-mêmes conscients. Selon les chercheurs Alexander Betts et Paul Colliers, dans des pays comme la Turquie et la Jordanie, 85% à 90% des réfugiés boudent les camps administrés par l’ONU pour s’employer sur le marché noir à défaut d’être autorisés à travailler légalement.

Certains gouvernements ont entrepris quelques réformes pour faciliter l’insertion professionnelle des réfugiés. L’Ouganda est à cet égard réputé avoir la législation la plus libérale en Afrique – à tel point que dans Kampala, la capitale du pays, 21% des réfugiés possèdent leur propre entreprise et emploient des autochtones.

En Europe, l’insertion professionnelle des réfugiés ne figure pas parmi les priorités des dirigeants. Même un pays comme l’Allemagne, qui a fait le choix d’accueillir sur son sol un million de réfugiés syriens, n’a pas pris la peine d’ouvrir son marché de l’emploi. Résultat : l’écrasante majorité des réfugiés – y compris les plus qualifiés – se retrouvent au chômage et sont condamnés à vivre de l’assistance publique ou privée.

Si nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, la première chose à faire est alors d’arrêter de la fabriquer en multipliant les restrictions sur le marché de l’emploi.

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