▪ Celui qui prétend que le dernier tour de planche à billets de Ben Bernanke n’a aucun impact matériel sur la croissance de l’emploi et/ou sur l’investissement est clairement aveugle… ou ne regarde pas dans la bonne direction.
Certes, les actions américaines, après deux semaines de montagnes russes, se sont repliées en deçà de leur niveau d’avant l’annonce du "QE2"… Et tandis que les perspectives de l’emploi aux Etats-Unis restent obstinément enracinées dans la réalité économique — à la grande déception des planificateurs/banquiers centraux mandatés pour atteindre le "plein" emploi — les dollars de M. Bernanke nouvellement créés commencent, en effet, à favoriser la formation d’un capital productif et un réinvestissement très attendu… à l’étranger.
"On assiste à une fuite des liquidités injectées par l’assouplissement quantitatif", a récemment déclaré à Bloomberg Stephen Wood, stratégiste de marché chez Russell Investments à New York. "Cet argent se retrouve sur les marchés émergents, dans les économies basées sur les matières premières, dans les matières premières elles-mêmes et dans les opportunités non-américaines."
"Le meilleur moyen de visualiser ce processus", écrit Marc Faber, rédacteur de l’excellent Gloom, Doom & Boom Report et éternel favori de notre symposium d’investissement annuel à Vancouver, "est d’imaginer une énorme machine à imprimer de l’argent basée aux Etats-Unis et qui produirait une quantité illimitée de dollars. La plupart de ces dollars se déversent dans le secteur des entreprises, les institutions financières et dans la poche des gens riches. Une grande proportion de ces dollars est ensuite transférée aux économies émergentes via le déficit commercial américain et les flux d’investissement ; cela booste l’activité économique et augmente la richesse dans les économies émergentes et non pas aux Etats-Unis".
"Une partie de ces dollars reviennent ensuite aux Etats-Unis et soutiennent le niveau des bons du Trésor", continue Marc Faber, avant d’ajouter : "mais puisque moins de dollars reviennent aux Etats-Unis qu’il n’en sort du pays, le dollar a tendance à s’infléchir par rapport aux monnaies des marchés émergents et, en particulier, par rapport aux actifs physiques dont l’offre est extrêmement limitée comparée à l’argent que la machine à imprimer ne cesse de cracher".
▪ Ainsi, lors du premier semestre de cette année, les chiffres publiés par le département du Commerce US montrent que les investissements par les entreprises américaines à l’étranger ont devancé le rythme auquel les entreprises étrangères ont investi aux Etats-Unis par un taux annuel d’environ 220 milliards de dollars. Pour rappel, au premier semestre 2006, alors que l’économie américaine bondissait — vers la catastrophe — et que le terme "assouplissement quantitatif" n’avait pas encore trouvé sa place dans le double langage politique fréquent d’aujourd’hui, les Etats-Unis étaient un destinataire final pour des fonds. Le flux annuel net s’élevait alors à près de 30 milliards de dollars.
Les responsables politiques ne sont pas (totalement) insensibles à de telles transformations à grande échelle. Comme l’a observé Richard Fisher, président de la Federal Reserve Bank of Dallas, dans un discours récent : "j’ai commencé à me demander si les emprunts monétaires que nous avons déjà mis en oeuvre pourrait aussi marcher aux mauvais endroits".
Naturellement, ce discours date du mois d’octobre… bien avant que le bateau QE2 de Bernanke ne prenne la mer.
▪ Selon les données établies par Bloomberg, les entreprises américaines ont émis plus de 1 000 milliards de dollars de dettes à ce jour. A première vue, cela peut sembler être un bon signe. L’acceptation de s’endetter est, d’une certaine façon, une mesure de confiance… ou de stupidité… ou, plus probablement, un mélange des deux. Peut-être, par conséquent, ces entreprises lèvent-elles des fonds pour des plans d’expansion, pour la recherche et le développement et pour embaucher de nouveaux salariés. Ne serait-ce pas une bonne chose pour l’économie américaine en général ? En effet… sauf qu’une grande partie de cet argent sera utilisée à l’étranger, où des taux de croissance plus élevés offrent un retour sur investissement plus attractif.
Mais rien de tout cela ne devrait être une réelle surprise. On ne peut pas injecter — et/ou promettre d’injecter — 600 milliards de dollars de liquidités sur le marché américain sans une certaine "fuite". Ceci est particulièrement vrai lorsque les opportunités de croissance aux Etats-Unis sont à ce point faibles, et que le potentiel sur les marchés émergents est à ce point énorme. C’est un peu comme essayer de remplir un dé à coudre avec un tuyau d’incendie : une grande partie de l’eau atterrit à côté de la cible.