La Chronique Agora

Mervyn King enfile le short de Maradona

** Un courant d’air glacial a soufflé lundi sur les bourses occidentales. Avec la canicule orageuse qui régnait sur pratiquement toute la façade ouest de l’Europe, un peu de fraîcheur pouvait sembler la bienvenue… mais le contraste thermique entre l’optimisme renaissant et la faillite de deux banques américaines ce week-end du 26/27 juillet a provoqué une méchante quinte de toux indicielle qui s’est soldée, à Wall Street, par une rechute de 5% du Dow Jones en moins de 72 heures de cotations.

Un certain abattement était perceptible dans les salles de marché mardi matin. Le CAC 40 n’a pas tardé à chuter de 50 puis 60 et même 75 points peu avant l’heure du déjeuner. La glissade a fini par s’interrompre avec le constat que le baril de pétrole était à son tour impacté par la noirceur des scénarios économiques découlant de la mauvaise santé des établissements de crédit américains. Paris est donc laborieusement parvenu à clôturer à l’équilibre.

Lundi, le pétrole avait servi de refuge face à la déconfiture des indices américains. Hier, en revanche, les opérateurs ont tourné casaque dès que l’hypothèse d’une embellie s’est dessinée à Wall Street grâce au redressement inattendu du moral des ménages américains au mois de juillet. Selon le Conference Board, l’indice du sentiment des consommateurs ressortait à 51,9 contre 51,0 au mois de juin — et 50 anticipé.

Le Nasdaq et le S&P 500 (+2,45% et +2,35% respectivement) se sont empressés d’effacer en quelques heures la moitié des pertes subies depuis jeudi dernier, aussi aisément que l’on retourne un journal pour dissimuler les gros titres en forme de questions qui fâchent.

** Parmi les plus dérangeants, mentionnons celui-ci : "Combien de banqueroutes allons-nous encore devoir affronter d’ici la fin de l’année 2008 ?"

Le total atteint déjà les sept aux Etats-Unis depuis le 1er janvier dernier. Le second semestre pourrait s’avérer bien plus sanglant, dans la mesure où l’effet domino va se trouver renforcé par une raréfaction des liquidités induite par les anticipations de resserrement monétaire après les présidentielles de novembre.

La Fed n’a guère d’autre choix que d’adopter un biais plus restrictif, puisque les marchés estiment désormais que ne rien faire serait pire. Le dollar ne survivrait pas longtemps à un différentiel de 225 points par rapport à l’euro, c’est pourquoi une hausse de 25 ou 50 points de base du Prime Rate est déjà "actée" dans la courbe des taux américains.

L’avantage de cette manoeuvre serait triple pour Ben Bernanke : ne pas prendre M. le Marché à contre-pied — il se trompe souvent mais il n’aime surtout pas qu’un banquier central le lui rappelle ; donner le sentiment de ne pas se montrer (trop) laxiste face à la menace inflationniste ; relancer le mécanisme du carry trade yen/dollar qui devrait réalimenter le système financier en liquidités.

Cela ne durera qu’un temps si la Banque du Japon estime à son tour qu’il est temps pour elle de réagir alors que la hausse des prix dans l’archipel atteint son plus haut niveau depuis 10 ans. Nous faisons cependant le pari qu’elle continuera de temporiser : ce qui est bon pour le dollar l’est aussi pour l’économie nippone.

** Le pays qui risque de se retrouver dans la situation la plus inconfortable est le Royaume-Uni. Avec une inflation à 5% et une chute symétrique des prix de l’immobilier d’ici la fin 2008, le citoyen/propriétaire britannique devrait donc voir sa richesse (patrimoine et pouvoir d’achat) fondre mécaniquement de 10% cette année.

Certes, ce calcul est terriblement simpliste et réducteur… mais c’est ainsi que le phénomène de stagflation commence à être ressenti outre-Manche. Le moral des ménages ne s’est pas encore effondré dans les proportions observées aux Etats-Unis ou en Allemagne, dans la mesure où la montée du chômage n’est pas considérée comme un danger imminent.

Le plombier polonais — qui avait terrorisé l’ouest de l’Europe deux ans auparavant avec sa sacoche et son chalumeau — se montre raisonnable. Le boulot se fait rare depuis l’hiver dernier sur les bords de la Tamise et il préfère sagement s’en retourner vers sa mère patrie afin d’y retrouver femme et enfants.

De toute façon, partir en Angleterre il y a trois ans n’était pas un très bon calcul, dans la mesure où Varsovie ou Cracovie sont en pleine rénovation et les banlieues résidentielles enregistrent un véritable boom immobilier.

La nostalgie de l’architecture stalinienne ne l’emporte que rarement sur la tentation de prendre un crédit pour emménager dans une construction moderne au design avenant, aux murs et fenêtres bien isolés et aux sols et plafonds bien insonorisés.

Le seul inconvénient, c’est que si les Rouges revenaient, les habitants des nouvelles résidences n’entendraient pas distinctement claquer les portières des véhicules de police ni le son des bottes des miliciens du régime résonner dans l’escalier — ce qui permettait parfois aux opposants de s’enfuir à temps par la fenêtre, en profitant de l’obscurité des rues, fort mal éclairées à cette époque.

Des amis londoniens sont formels : "on entend beaucoup moins parler polonais du côté d’Oxford Street ou de Trafalgar Square. En revanche les poupées russes qui dévalisent les boutiques de luxe du côté de Sloane Street sont de plus en plus court-vêtues !"

** La mode du short ultracourt — qui souligne la rondeur des fessiers — nous la devons peut-être à Mervyn King, le gouverneur de la Banque d’Angleterre.

Il s’ingénie à populariser depuis quelques mois la "Maradona Theory". Cette dernière sert à illustrer la capacité de la banque centrale, non pas à faire fantasmer sur des cuisses dénudées la gent masculine qui peuple la City (elle en aurait pourtant bien besoin, car chaque matinée qui démarre sans lettre de licenciement sur le bureau constitue une forme de victoire sur le destin), mais bien à influencer sans agir le comportement des agents économiques — et plus précisément des spéculateurs — dans le sens qui convient au bon fonctionnement de l’économie… ou tout du moins, celui souhaité par les grands argentiers du pays.

Un petit rappel historique s’impose. A Mexico, un certain 22 juin 1986 — une date qui reste gravée dans la mémoire de tout véritable supporter britannique –, Diego Maradona illumina le quart de finale de la Coupe du monde qui opposait l’Argentine à l’Angleterre en inscrivant à la cinquante-quatrième minute de la rencontre un but entré dans la légende. Le prodige argentin, parti balle au pied de sa moitié de terrain, dribbla une demi-douzaine d’adversaires anglais, puis crocheta le gardien de but avant de pousser tranquillement le ballon au fond des filets.

Quel rapport entre un petit bonhomme survolté en short noir et maillot bleu ciel et blanc, et un flegmatique lord anglais fréquentant les meilleurs tailleurs du Royaume-Uni et qui veille sur le glorieux destin de la livre sterling, un rôle que le monde entier lui envie ?

Mervyn King adore raconter lui-même l’histoire. Il suffit de repasser au ralenti les 10 secondes du match qui ont rendu Maradona célèbre pour l’éternité — dans l’imaginaire des supporters.

Le jeune Diego n’a fait que pousser le ballon droit devant lui durant 50 mètres ; c’est par ses feintes de corps qu’il déstabilisa un à un tous ses adversaires — certains terminant même sur les fesses –, sans jamais changer de direction. Il fila tout droit vers le but… jusqu’au bout.

Chacun des défenseurs imagina qu’après une série de passements de jambes, il allait effectivement tenter un crochet à droite ou à gauche pour mettre le ballon sur son bon pied et se mettre en position de tir favorable : tous tentèrent d’anticiper cette manoeuvre… tous furent mystifiés !

Et Mervyn King s’imagine à son tour allant marquer le but décisif contre l’inflation en ne changeant jamais de direction — c’est-à-dire en laissant le taux directeur inchangé à 5% — mais en jouant sur les anticipations du marché. Il s’agit en quelque sorte d’une stratégie de "contre ancrage" permanent. Tout l’inverse de la méthode Bernanke, qui court dans tous les sens, ou de J.C. Trichet, qui ne se donne pas la peine de feinter et sait qu’il peut passer en force, en misant sur les tacles mal ajustés de quelques personnalités politiques issues de son propre pays d’origine.

Mais personne non plus n’a oublié que le second but de Maradona face à l’Angleterre à la fin du même mythique quart de finale fut marqué de la main. Et là, c’est l’arbitre qui n’y vit que du feu. Les marchés feront-ils preuve de la même naïveté après le relèvement bien réel des taux de la BCE puis de la Fed ?

Peuvent-ils faire comme s’ils n’avaient rien remarqué… ou sortiront-ils le carton rouge ?

Philippe Béchade,
Paris

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