▪ Lorsque les discours officiels évoquant le sauvetage des grands idéaux européens sonnent creux… lorsque les avis des agences de notation trahissent des stratégies que les médias hésitent à décrypter de peur que nos populations comprennent que les Etats-Unis nous livrent une guerre sans merci… il est évident que les vérités qui dérangent ne sauraient être écrites noir sur blanc.
Elles le seront quand il n’y aura plus aucune apparence à sauver.
La vérité cachée se devine pourtant dans une foule de petits détails non verbaux. On la retrouve aussi dans certaines tournures de phrases à double sens, dans certains glissements sémantiques, dans de minuscules lapsus vite rattrapés lors des conférences de presse.
Souvenez-vous des traits du visage de M. Papandréou se creusant au fil des semaines lors de ses allocutions devant le Parlement grec ou européen cet automne. Ses discours étaient d’abord prononcés avec conviction puis récités avec une gestuelle de plus en plus rigide, les yeux se perdant dans le vide.
Repassez-vous les dernières interviews de M. Tim Geithner lorsqu’il évoque la crise européenne. Il est toujours filmé de profil, il ne se tourne jamais vers la caméra — comme s’il craignait que son regard trahisse ses arrière-pensées ou des non-dits inavouables… comme s’il se savait incapable d’avoir l’air sincère.
Cela nous fait le même effet que s’il s’adressait au public en regardant ses chaussures !
▪ Mais comment ne pas ressentir un malaise encore plus profond lorsque Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se retrouvent régulièrement côte à côte pour les besoins du débriefing à l’issue des réunions — certaines particulièrement houleuses — qui s’enchaînent depuis le milieu de l’été ?
Ils affectent de parler d’une même voix, surtout depuis le mini-sommet tripartite du 1er décembre. Mais les deux leaders n’échangent pas un regard tandis qu’ils font face aux médias du monde entier pour vanter leur communauté de point de vue. C’était déjà frappant à Bruxelles, c’était encore plus saisissant lundi après-midi à l’Elysée.
Ils nous font penser aux protagonistes d’un mariage forcé (sous la contrainte des marchés) où il apparaît clairement qu’ils n’éprouvent aucun sentiment, aucune admiration l’un pour l’autre. Ils répugnent à boire dans la même coupe, laquelle ne contient que la potion amère de la rigueur et des sacrifices à sens unique pour les partenaires de l’Allemagne.
Pas l’ombre d’un sourire complice (même un peu forcé) visant à donner le change devant les caméras. Jamais le président français n’a autant donné l’impression de lire un texte presque intégralement rédigé par la Chancelière ; ses conseillers économiques ont également réduit leurs homologues de Bercy et de l’Elysée au silence, notamment au sujet de la BCE.
La seule touche personnelle que s’autorise désormais le président consiste à rappeler les grands principes historiques d’amitié entre les deux peuples si longtemps ennemis, mais rassemblés pour porter l’idéal européen, sans préciser vers quel avenir !
L’avenir… Angela Merkel n’y fait même pas allusion et se borne à rappeler que préserver l’existence de l’euro est nécessaire. Pour elle, la BCE n’agit pas et n’agira jamais comme la Fed, et la résolution des problèmes prendra du temps.
Elle ne semble même pas partager l’idée qu’il faut avancer rapidement sur la refonte des traités européens — elle ne fixe aucune date. Nicolas Sarkozy semble toutefois l’avoir convaincue de l’urgence de proposer des projets de réforme des traités qui plaisent aux marchés. Il est vrai que des échéances électorales décisives le poussent à tenter d’obtenir des résultats tangibles au plus vite.
Nous ne sommes par certain qu’Angela Merkel juge pertinent de faciliter le travail des futurs directeurs de campagne de M. Sarkozy, qui ne manqueront pas de le présenter comme le sauveur de l’Europe. Le personnage l’agace au plus haut point, et elle ne s’en est jamais caché !
Il est fort probable que la Chancelière n’a pas envie de laisser Nicolas Sarkozy tirer gloire par anticipation d’une hypothétique — et probablement lointaine — résolution des difficultés auxquelles se trouve confrontée l’Europe. En effet, c’est plutôt elle qui tient les cordons de la bourse et dicte ses conditions. S’effacer au profit du président français pourrait constituer un sacrifice personnel (et de leadership) qu’elle n’est peut-être pas prête à consentir.
▪ Wall Street n’a probablement pas analysé la dernière conférence de presse de l’Elysée avec un tel souci du détail et a toujours l’intention de monter quoi qu’il arrive. La place américaine espère que le sommet européen de la fin de la semaine accouche d’un engagement à plus de discipline budgétaire de la part des Européens.
S’interroger sur comment l’Europe va résoudre ses énormes disparités structurelles et de niveau de vie (qui ont conduit à la crise actuelle), cela viendra plus tard… après avoir mené à son terme le rally de fin d’année.
Wall Street avait relativisé dès lundi soir les menaces de dégradation des notes de derniers pays de l’Eurozone bénéficiant du Triple A. Les investisseurs américains n’ont pas davantage sanctionné mardi le placement sous surveillance négative du FESF — qui peine à lever des fonds sur le marché depuis un mois.
En Europe également, les politiciens se sont empressés de positiver. « Quelle meilleure incitation à faire converger les politiques budgétaires (et à respecter une discipline de fer) », s’enthousiasme Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances allemand !
François Fillon est sur la même ligne : les pays de l’Eurozone vont être incités à adopter au plus vite le principe de la règle d’or.
C’est une confirmation de notre analyse de précédentes chroniques. Le renforcement du contrôle et des sanctions constitue le principal objet du sommet de jeudi et vendredi, lequel sera un succès à n’en pas douter (puisqu’un échec est tout simplement interdit).
La thématique du pouvoir d’achat, de l’emploi et de la croissance seront absents des discussions du fait de l’absence totale de marges de manoeuvre pour mettre sur pied de nouveaux plans de relance.
▪ A 48 heures du sommet européen, focaliser l’attention des investisseurs sur la convergence et la solidarité, c’est une manière pertinente d’interpréter l’avertissement de Standard & Poors mais également de Fitch.
Selon cette dernière, « la France a épuisé sa capacité d’absorption de chocs conjoncturels ».
Mais l’Europe aura beau s’imposer toute la rigueur qu’elle souhaite et réformer tous les traités existants, aucune initiative de cette nature n’a jamais transformé la récession en croissance, la baisse de la consommation en nouveaux emplois, la frilosité des entrepreneurs en investissements… ni inversé aucun cycle économique baissier.
L’anticipation d’une baisse de taux par la BCE (de 25 ou 50 points de base) d’ici 48 heures retient encore la main des vendeurs. Ils attendent le bon timing pour shorter le marché.
Dans ces conditions, le repli de l’euro sous les 1,3380 $ peut d’abord s’interpréter comme l’anticipation d’un geste de 50 points de la BCE (jeudi) plutôt qu’une défiance vis-à-vis de la survie de la Monnaie unique… en attendant que les agences de notation reprennent leur travail de sape.
Plus les indices boursiers se maintiennent dans de hautes eaux, plus les spéculateurs disposent de temps pour peaufiner (et amplifier) leurs stratégies baissières.
Parce que sans marché interbancaire gelé comme au lendemain de la faillite de Lehman, sans quantitative easing, sans TARP, sans TALF, sans plan de relance avant 2015… comment pensez-vous que les marchés vont trouver la motivation et surtout les liquidités pour grimper ?
Les brasseurs d’argent ont autant de raisons de croire à la poursuite de la hausse des indices boursiers qu’en les chances de voir un futur traité européen ou un FESF transformé en banque (voire même en bad bank, encore une) de sortir le Vieux Continent de la récession !