La Chronique Agora

Même Oncle Picsou n'osait rêver de s'enrichir aussi vite

La catastrophe japonaise a souligné deux crises à venir : l’alimentaire et l’énergie

Bonjour,

N’ayant guère pratiqué la langue de Goethe depuis mes années de lycée — plus une année de service militaire en Allemagne dans les environs d’Heidelberg — je n’ai pu décortiquer comme je l’aurais souhaité l’ensemble de la presse helvétique durant la petite semaine que nous avons passé en famille à Zermatt. Cette commune située au pied du fameux Cervin figure sur la moitié des emballages de chocolat made in Switzerland. Ce sommet alpin a également inspiré la forme triangulaire du non moins célèbre chocolat Toblerone (qui s’est laissé dévorer par l’Américain Kraft Foods).

Nous nous sommes donc rabattu sur la Tribune de Genève (un vénérable quotidien francophone) dont certains articles économiques ont irrésistiblement aiguisé notre curiosité.

Il en est un, particulièrement décalé, dont nous ne résistons pas à la tentation de vous offrir un petit résumé. Il s’agit d’un palmarès « à la Forbes » des personnages de fiction les plus riches de l’univers de la bande-dessinée ou des séries télévisées les plus connues dans le monde.

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Le numéro un du classement reste américain : il s’agit de l’indétrônable oncle Balthazar Picsou qui pèserait 45 milliards de dollars.

Le numéro deux serait Carlisle Cullen, un vampire de 370 ans, héros de la saga Twilight, avec une fortune estimée à 36 milliards de dollars. Il aurait fait fortune en laissant son capital travailler depuis 1670… à condition toutefois de ne pas avoir opté pour le dollar en 1913, car il aurait depuis lors vu s’évaporer 95% de son capital.

Le numéro trois serait de nouveau un américain. Il s’agit de Tony Stark, alias Iron Man. Ce fabriquant d’armes repenti détiendrait 9,5 milliards de dollars.

Le numéro quatre serait le riche citoyen d’honneur de Gotham City (encore un Anglo-Saxon), dénommé Bruce Wayne, alias Batman, qui possèderait sept milliards de dollars.

Le numéro cinq serait également américain puisqu’il s’agit de Charles Montgomery Burns, âgé de 104 ans. Le propriétaire hypocondriaque et cynique des centrales nucléaires de la série les Simpson détiendrait une fortune fixée à 1,1 milliard de dollars.

Il serait talonné par Gordon Gekko, figure emblématique du Wall Street des années 80 avec un pactole d’un milliard. Cependant, son magot ferait pâle figure en regard de hauts dirigeants et traders vedettes de firmes comme Goldman Sachs, Merrill Lynch ou Morgan Stanley des années 2000 à 2010.

Eh oui… c’est en lisant ce genre d’article « économique » que l’on se sent enfin en vacances. Un grand merci à la Tribune de Genève d’avoir ainsi complété ma culture tout en me replongeant dans des souvenirs qui me ramènent à une époque où la notion de fortune rimait avec pièces d’or et lingots.

Je m’apprêtais à refermer mon journal pour aller faire une partie de poker d’as avec mon fils, lorsque mon regard s’est porté sur la page cours de Bourse et matières premières. En découvrant que l’once d’or venait d’atteindre 1 480 $, je me suis dit : « tout est en train de redevenir pareil qu’il a 40 ans ». Je revois encore l’image de Picsou piquer une tête dans sa piscine remplie de pièces d’or.

Une semaine plus tard, l’once de métal précieux inscrivait un nouveau record historique à 1 500 $. C’était hier soir, vers 18h30.

▪ En ce qui concerne l’enrichissement rapide et démesuré des brasseurs d’argent, les scénaristes des aventures d’Oncle Picsou des années 60 n’avaient même pas imaginé le genre de rémunérations qui sont versées aujourd’hui aux vraies figures emblématiques de la City ou de Wall Street.

L’assemblée générale des actionnaires de la banque britannique Royal Bank of Scotland (RBS) a par exemple approuvé hier l’attribution d’une méga-rémunération de neuf millions d’euros à son patron, Stephen Hester. Cela avec la bénédiction de l’Etat britannique qui détient 83% du capital du groupe.

Ce même Etat s’était engagé à limiter les primes et salaires versés aux dirigeants des banques sauvées de la faillite avec de l’argent public — d’autant plus que RBS avait essuyé une perte de 1,3 milliard d’euros en 2010 et de près de quatre milliards d’euros en 2009.

A Wall Street, certains salaires de grands patrons ont doublé en 2010 et atteignent ou dépassent les 15 millions de dollars (soit plus de 1,2 million de dollars par mois)… Des revenus dignes de stars du football de Barcelone, Chelsea ou Manchester, la popularité en moins !

La justification de tous ces salaires pharaoniques, c’est l’impératif de conserver ces talents irremplaçables (certains de ces génies de la finance ont coûté des centaines de milliards aux contribuables) qui sans quoi partiraient à la concurrence.

Mais comme dirait Sacha Guitry à propos des femmes infidèles, il n’est parfois de pire vengeance que de les laisser se jeter dans les bras d’un rival.

En ce qui concerne les joueurs de football (y compris américains), nous n’en connaissons pas qui aient laissé une ardoise de 180 milliards de dollars à la charge des finances publiques… et encore moins nécessité la nationalisation en catastrophe d’un club écarté des cinq premières places qualificatives pour une Coupe d’Europe.

Les pires scandales footballistiques ne dépassent pas le périmètre de la sphère privée (call girls, alcool, cocaïne). Un penalty crucial raté à la dernière minute gâche éventuellement la soirée de quelques milliers de supporters sans pour autant les endetter sur 30 ans !

Aux Etats-Unis comme en Angleterre, en Espagne ou en Irlande, les feintes de corps et les acrobaties financières des Maradona de la finance ont ruiné des millions d’investisseurs. La ruine a atteint jusqu’au crédit des Etats qui ont cédé au chantage systémique : « renflouez-nous, ou les épargnants et les entreprises qui les emploient n’auront bientôt plus un sou pour payer leurs impôts ».

Le résultat, ce sont des millions de propriétaires et de familles qui se sont vu confisquer leur logement… tandis que leurs impôts servent à financer la survie de banques-zombies ainsi que les bonus de traders. Surtout ceux des spécialistes des marchés dérivés (pétrole, métaux industriels, denrées agricoles) qui alimentent une poussée inflationniste sans précédent depuis 20 ans.

▪ L’immobilier semblait au fond du gouffre aux Etats-Unis fin février mais l’activité s’est légèrement redressée au mois de mars. Le département du Commerce US a fait état d’une hausse de 7,2% des mises en chantier et de 11,2% des permis de construire, censés préfigurer l’évolution du secteur de la construction.

Mais ce genre d’embellie est traditionnel au printemps, lorsque cessent les intempéries… ce qui est vite dit cette année, vu le nombre record de tornades qui dévastent le Middle West depuis fin février.

Wall Street ne s’est guère préoccupé de ces chiffres qui n’ont créé aucun effet de surprise : les investisseurs étaient trop occupés à parier sur les trimestriels des trois géants Intel, IBM et Yahoo!.

Assez confiants sur la qualité des résultats, les acheteurs ont fini par reprendre la main en seconde partie de séance. Le Dow Jones a gagné au final 0,53%, le S&P 0,57% et le Nasdaq 0,34%. C’est la quatrième séance de hausse sur une série de cinq, mais le bilan sur une semaine est un score parfaitement nul.

▪ Les optimistes ont eu raison de faire confiance à Intel. L’entreprise a publié un bénéfice en hausse de 30% (à 0,59 $ par titre contre 0,46 $ attendu) ce qui lui a valu une envolée de 5% en transactions électroniques.

Yahoo! a pris 3,5% en hors séance avec un bénéfice de 0,17 $ par titre, contre 0,16 $ anticipé. IBM perdait en revanche 1% après clôture — malgré des profits ressortis en hausse de 10% à 2,41 $ par titre, pour un chiffre d’affaires de 24,6 milliards de dollars (contre 24 milliards attendus).

« Big Blue » relève également sa prévision de profits annuels à 13,15 $, contre 13 $ initialement… Visiblement, ce n’est pas suffisant pour susciter l’enthousiasme des analystes.

Ils se rattraperont avec la prochaine rafale de trimestriels « meilleurs que prévus » à paraître d’ici jeudi. Toutefois, nous pressentons que beaucoup d’opérateurs comptent bien profiter de l’occasion pour gagner… les issues de secours.

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La dette américaine se dégrade, mais pas le dollar (pour l’instant)

Addison Wiggin

 

▪ Flairant l’évidence, Standard & Poor’s a abaissé sa perspective d’évolution de la dette américaine de « stable » à « négative ».

L’agence de notation a ajouté : « il existe une probabilité d’au moins un sur trois que nous abaissions la note à long terme sur les Etats-Unis dans les deux ans ».

Au moment où nous écrivons cet article, le Dow est en baisse de plus de 200 points. Le S&P se maintient avec difficulté à 1 300. Et le rendement d’un bon du Trésor à 10 ans a réussi à atteindre le niveau de 3,44%.

Pour mémoire… ou, devrions-nous dire, pour ce que cela vaut… S&P maintient sa note de la dette américaine à AAA.

Etant donné le fait que le gouvernement américain est à 28 jours de buter contre son plafond d’endettement de 14 300 milliards de dollars, nous soupçonnons que la question de la capacité de l’Oncle Sam — sans parler de sa volonté politique — à payer est trop évidente pour être ignorée.

L’actuel plan budgétaire de la Maison Blanche nécessite de rehausser le plafond à 20 800 milliards de dollars d’ici 2016. Le plan de Paul Ryan, représentant républicain du Wisconsin, a emporté l’adhésion de la Chambre vendredi. Il nécessiterait un plafond de 19 500 milliards de dollars, selon les chiffres établis par Bloomberg.

Hélas ! « Nous pensons qu’il existe un risque réel », avertit S&P, « que les responsables politiques américains ne puissent parvenir à un accord sur la façon de répondre aux difficultés budgétaires à moyen et long terme d’ici 2013 ».

« Si on ne parvient à aucun accord et qu’un plan d’action n’est pas lancé d’ici là, cela rendrait à notre avis le profil budgétaire des Etats-Unis notablement plus faible que celui des autres pays ‘AAA’. »

▪ Malheureusement, dans ce monde de fin de capitalisme dégénéré, la dureté des mots est au niveau des faits décrits.

Standard & Poor’s a continué à noter toute une série de créances hypothécaires AAA jusqu’à ce qu’elles implosent en 2007-08.

« La terrible position financière dans laquelle se retrouvent les Etats-Unis », écrivait notre ami Barry Ritholtz, auteur de Bailout Nation, « est en grande partie due au ‘bon’ travail de S&P. La ‘perspective négative’ de la dette américaine est arrivée du fait de l’incapacité de Standard & Poor’s de faire correctement son boulot de notation des créances hypothécaires ».

« Finalement, c’est cela qui a provoqué toute cette crise, l’effondrement financier, l’énorme déficit budgétaire et aujourd’hui une [prise de bec] politique sur le plafond de la dette ».

De tous les subprime notés AAA émis par MBS en 2006, 93% sont aujourd’hui junk, c’est-à-dire sans valeur.

Naturellement, en réaction à l’annonce de S&P, dans un mouvement que seul notre ami Abe Cofnas pourrait prétendre comprendre, le dollar a grimpé. En fait, à 75,4, l’indice du dollar s’est montré plus fort qu’il ne l’a été depuis plus d’une semaine.

Aïe ! On peut mettre cela sur le compte d’un numéro encore plus terrible dans cette usine à mélasse : l’euro.

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La catastrophe japonaise a souligné deux crises à venir : l’alimentaire et l’énergie

Frédéric Laurent

▪ L’enchaînement de tensions géopolitiques (Moyen-Orient, Côte d’Ivoire), auxquelles il faut ajouter les catastrophes survenues au Japon, est rarissime. Mettez en toile de fond une récession généralisée aux « vieilles économies », des populations qui s’appauvrissent, une inflation des matières premières et de l’énergie, des débordements monétaires jamais vus auparavant et vous avez le terreau parfait pour que les dix prochaines années soient encore pires que ces trois dernières.

Il faut avoir conscience que dans notre monde moderne, dans notre économie globalisée, tout est lié. Les conséquences directes pour l’Archipel en seront une baisse de croissance dans un premier temps qui pourrait faire plonger le pays en récession dès 2011. Car l’impact serait de trois à sept points de PIB.

Cette récession aura, vous vous en doutez, des incidences sur l’ensemble des économies planétaires, car le Japon représente 9% du PIB mondial. Certaines analyses estiment que cette « crise » japonaise pourrait coûter de 0,5 à un point à la croissance mondiale !

En cause ? La baisse des exportations japonaises dont les outils de production ont été partiellement ou totalement détruits — je pense notamment aux voitures ou aux composants électroniques. J’ai déjà parlé à mes lecteurs de Vos Finances des problèmes d’approvisionnement des mémoires flash de nos iPads, Smartphones et autres objets « si précieux et si indispensables » à nos modes de vie.

▪ Comme toujours, le malheur des uns fera le bonheur des autres. Ces difficultés de production pour approvisionner l’Occident en électronique dont il est friand seront évidemment favorables aux autres pays asiatiques qui vont mettre tout en place pour fournir la demande à la place des Japonais. Je pense aux Coréens et aux Chinois — puisque les Japonais sous-traitaient déjà dans ces pays. Et puis l’Allemagne pourrait également suppléer le Japon en fournissant la Chine en machines-outils dont elle est friande.

Mais avant tout, il y a un secteur qui va profiter de ces terribles événements : celui des matières premières. Après le choc de la catastrophe, il faudra reconstruire ; et il faudra, je pense, compter sur un ralentissement de l’énergie nucléaire au Japon. Il faut garder à l’esprit que Tepco (l’EDF japonais) fournit le tiers de l’électricité nippone. Or ses installations actuelles en service ne lui permettent de produire que 38,5GW (pour début avril), alors que sa capacité maximale était de 64,5GW. L’an dernier le pic de demande en énergie a été de 60GW. Donc puisque, pour relancer l’économie et l’industrie, le Japon aura besoin de toutes les énergies possibles, je pense que le pays cherchera à développer d’autres énergies alternatives au nucléaire.

Et là, pour subvenir aux besoins de l’industrie, inutile de vous dire que le Japon ne se tournera pas en majorité vers l’éolien ou le solaire… Seules les énergies fossiles sont aujourd’hui capables de compenser la baisse de la production électrique émise par les centrales nucléaires.

Retour au pétrole, au charbon et au gaz ! Donc attendez-vous à une forte hausse des cours de ces trois énergies.

▪ Autre conséquence : le prix des denrées agricoles. Toute la région touchée par le tsunami et maintenant victime des incertitudes nucléaires était une région agricole importante pour le Japon. Tant pour la pêche, avec ses nombreux ports côtiers, que pour l’agriculture — la région étant l’une des principales régions productrice de riz.

Déjà, de nombreux pays, dont l’Inde est le dernier en date, ont interdit l’importation de produits alimentaires provenant du Japon par crainte de contamination des aliments. Pour le moment, l’interdiction est mise en place pour une période de trois mois fermes. Et d’autres pays comme la Chine, Taïwan, Singapour et les Etats-Unis ont également pris ce même genre de mesures pour les produits venant de la région sinistrée.

Le Japon se trouve donc confronté à une double problématique : il ne produit pas assez pour nourrir sa population et ne peut plus exporter non plus certaines denrées alimentaires. Il devra donc importer massivement, ce qui pèsera forcément sur les cours de l’alimentaire.

Alimentaire et énergies : voici les deux enjeux sur lequel je vais baser mes recommandations ce mois-ci dans Vos Finances. Pour les découvrir, c’est par ici

[Diplômé d’un DESS de Gestion internationale de fortune, Frédéric Laurent exerce ses activités de conseil et gestion depuis une vingtaine d’années. Il a choisi de se mettre efficacement au service de l’investisseur particulier — bien souvent mal conseillé par les institutionnels. C’est dans ce but qu’il a rejoint les Publications Agora en tant que Rédacteur en Chef de Vos Finances, dont cet article est extrait.]

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(©) Les Publications Agora France, 2002-2011

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