A la rhétorique anti-capitaliste de Jean-Luc Mélenchon s’ajoute désormais un culte tout à fait assumé de l’Etat-nation autoritaire.
A la rhétorique anti-capitaliste de Jean-Luc Mélenchon s’ajoute désormais un culte tout à fait assumé de l’Etat-nation autoritaire.
« L’internationale sera le genre humain ». Le refrain du chant révolutionnaire socialiste ne cesse de retentir dans les meetings de la France Insoumise. Pour un mouvement régulièrement amalgamé au Front National, l’internationalisme demeure la seule différence palpable entre les revendications prétendument humanistes de la gauche radicale et les aspirations de l’extrême-droite.
Jean-Luc Mélenchon cultive le nationalisme bon teint
Seulement voilà. La fraternité humaine de Jean-Luc Mélenchon s’arrête également à ces lignes arbitraires que sont les frontières nationales, comme en témoignent ses récentes sorties sur l’Europe.
Bien sûr, M. Mélenchon se défend de tout euroscepticisme en insistant sur son rejet des « traités libéraux » et non pas de l’idée de communauté politique transnationale. Son affirmation est cependant démentie par toutes ses prises de position où il est question de la primauté de la nation française sur tout autre considération communautaire.
« La puissance de la France est liée à la souveraineté de son peuple. Pas à son commerce extérieur », proclamait-il à l’Assemblée nationale le 10 octobre. L’Europe, c’est l’extérieur. Elle ne peut prétendre à une légitimité propre. Et si elle contrevient aux « intérêts intérieurs », on la quitte.
Comme Marine le Pen, Jean-Luc Mélenchon a une conception fermée et exclusive du sentiment d’appartenance à une communauté politique. « Le peuple européen qu’est-ce que c’est ? Je ne me sens rien de commun avec les pays baltes. C’est le bout du monde », déclarait-il à l’hebdomadaire Le 1.
Soyons clairs. Jean-Luc Mélenchon a tout à fait le droit de considérer qu’il n’a rien en commun avec tout ce qui n’est pas français ou francophone. Les affinités communautaires ne se décrètent pas et sont le fruit d’expériences intimes. Le leader de la France Insoumise gagnerait en cohérence à appliquer ce raisonnement à tout le monde. Nombreux sont les Français à cultiver des affinités qui dépassent le cadre national. Tout comme certaines populations définissent davantage leur identité à l’échelle locale. Mais il y a fort à parier que ces cas comptent peu pour M. Mélenchon, comme l’atteste par exemple son hostilité à la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.
Le village français face au capitalisme mondialisé
Peut-on déceler une logique à ce jacobinisme rance coloré d’un nationalisme bon teint ? Incohérente, l’exclusivité nationale dont se réclame Mélenchon lui est utile car elle sert directement sa cause anti-capitaliste.
Reconnaître que chacun est libre d’exprimer ses affinités comme bon lui semble aurait en effet des conséquences que la vieille gauche collectiviste n’est pas prête à admettre. La mondialisation honnie des collectivistes de tous bords se fonde sur l’idée que la nationalité n’a plus vocation à être le principal critère qui structure les rapports sociaux.
Si tout le monde est libre d’exprimer ses affinités, alors chacun peut commercer, travailler, échanger, consommer, s’associer ou partager avec n’importe qui sans être encombré d’une préférence nationale arbitraire qui prendrait la forme de restrictions migratoires, de barrières à la circulation des marchandises, des capitaux et des idées. Le libre-échange est la traduction économique du fait post-national.
A l’inverse de la gauche anti-libérale, la nouvelle garde intellectuelle nationaliste dite « de droite » (Eric Zemmour, Natacha Polony…) l’admet parfaitement. Elle s’approprie la rhétorique marxiste pour chanter les louanges d’un Etat-nation homogène réputé être à l’origine de la prospérité française, avant que celui-ci ne se dissolve dans une mondialisation « apatride », au service d’une petite oligarchie.
Certains penseurs classés à gauche, qui ont le mérite de la cohérence, osent franchir le Rubicon politique en suggérant une union sacrée à laquelle participeraient tous les nostalgiques de l’Etat-nation. C’est notamment le cas de Jacques Sapir, grand défenseur de ce mirage populaire à la mode qu’est la « dé-mondialisation ». Ces alliances semblent étonner les commentateurs de la vie politique qui prennent au sérieux la mythologie internationaliste entretenue par l’intelligentsia socialiste. Que Marine Le Pen reproche aux travailleurs étrangers de mettre les Français au chômage est sans doute dans l’ordre des choses. Que Jean-Luc Mélenchon les accuse à son tour de « voler le pain des locaux », voilà qui serait « paradoxal ». Vraiment ?
Le penseur libéral Friedrich Hayek disait au contraire du socialisme qu’il était internationaliste en théorie mais violemment nationaliste en pratique. Observant la montée des autoritarismes du XXème siècle, il avait décelé que l’anticapitalisme, l’antilibéralisme et le nationalisme formaient une sainte-trinité difficile à démembrer. Le rejet de l’économie de marché et de la concurrence implique de s’opposer à l’extension des liens économiques au-delà des frontières nationales. L’hostilité vis-à-vis du commerce international aboutit quant à elle la fermeture des échanges et à la provincialisation des esprits.
En définitive, seule l’inversion des fins et des moyens différencie Marine le Pen de Jean-Luc Mélenchon. La première voit dans l’économie de marché une menace pour la primauté du fait national tandis que le second voit dans le tribalisme gaulois le dernier rempart contre le capitalisme mondialisé. De quoi disqualifier toute prétention de la gauche collectiviste à s’ériger en principale opposante de l’extrême-droite.