La Chronique Agora

Les marchés attendent Mario Draghi comme on attend le Père Noël…

▪ Nous voici parvenus à 48 heures du communiqué de la BCE et de la conférence de presse de Mario Draghi. Cette dernière est anticipée depuis un mois comme le moment où les marchés vont ouvrir leurs cadeaux après s’être montrés bien gentils… mais aussi et surtout très empressés auprès du Père Noël.

J’exagère à peine en qualifiant les marchés de puérils. Ils sont tellement excités depuis un mois qu’ils ne travaillent quasiment plus (les volumes s’effondrent — plus les cours montent, moins il y a d’acheteurs) et passent leur temps l’oeil collé au trou de serrure pour voir s’il y a du mouvement dans la pièce où se dresse le sapin de Noël.

Si tout se passe comme prévu, ce sera effectivement Noël pour les brasseurs d’argent. Une nouvelle Porsche pour les uns (certains en possèdent déjà cinq mais il faut absolument exhiber le dernier modèle pour le prochain week-end dans les Hamptons)… un yacht plus volumineux ou un jet privé huit places au lieu de six pour les autres.

Cela fait cinq ans que les banques centrales enrichissent les riches, lesquels sont devenus super-riches, puis ultra-riches

Cela fait cinq ans que les banques centrales enrichissent les riches, lesquels sont devenus super-riches, puis ultra-riches… Avec une action adéquate de la BCE, ils s’attendent à devenir archi-méga-riches car tous les actifs financiers — dont ils détiennent désormais la quasi-totalité — vont continuer de grimper, grimper éternellement (enfin, disons encore 18 mois).

Ils parient symétriquement sur le fait que l’économie réelle continuera de préserver un merveilleux équilibre entre menace de récession (déflation salariale en Europe, baisse de la consommation aux Etats-Unis, croissance molle dans les BRIC) et espoirs de reprise. Sur ce dernier point, cela fait cinq ans que l’évocation permanente de ce mirage évite une explosion sociale et une révolte contre les conséquences réelles des politiques monétaires "non-conventionnelles".

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▪ Les jeux sont faits… ou pas
Alors, la Banque centrale européenne est-elle — comme ils le pensent unanimement — de leur côté ?

Nous n’allons pas tarder à le savoir !

Mais ils sont déjà nombreux à penser que les jeux sont faits et que les dernières communications de la BCE ne sont là que pour donner le change… entretenir le suspense… convaincre les sceptiques qu’elle a pesé le pour et le contre avant de prendre la bonne décision — c’est-à-dire agir comme la Fed ou la Banque du Japon en sachant pertinemment que "ça ne marche pas".

Le "contre" selon la BCE, c’est "la tendance actuelle des investisseurs à rechercher des rendements toujours plus élevés, […] une radicalisation de cette quête pourrait favoriser l’émergence de nouvelles bulles financières".

Cette inquiétude des têtes pensantes de l’institution de Francfort a été formalisée dans la nouvelle édition de sa Revue sur la stabilité financière. Ils redoutent "la formation de déséquilibres et la possibilité d’une remise en cause brusque et désordonnée des flux d’investissement".

Et de poursuivre : "les obligations d’Etat, qui évoluent actuellement à des niveaux sans précédent dans la Zone euro, pourraient devenir rapidement erratiques si les réformes économiques marquaient le pas et si la croissance restait faible".

Si le ralentissement en Chine ou encore de la crise en Ukraine s’intensifiaient, "la demande des investisseurs pour les dettes d’Etat pourraient se révéler instable".

▪ Qui portera le chapeau ?
Les coûts d’emprunt sont désormais inférieurs à ceux qui prévalaient avant l’éclatement de la deuxième phase de la crise financière mondiale en 2010. Les prix de l’immobilier commercial progressent fortement en Europe, alors même qu’il n’y a pas de croissance et que le taux d’occupation reste déprimé (sauf dans le très haut de gamme… et même à Londres, le prestigieux Shard reste à moitié inoccupé).

Dopées par la faiblesse des taux, les transactions ont atteint leur plus haut niveau depuis 2008, grâce l’appétit d’investisseurs étrangers qui ne savent plus quoi faire des surliquidités dont ils disposent. Même si des millions de mètres carrés ne sont pas loués en France ou en Angleterre, la pierre-papier présente l’avantage d’être un actif "concret".

Les quantitative easings faussent donc le prix de toutes choses. Plus il y a de risque, moins il y a de rendement, plus l’économie semble vulnérable à la déflation, plus les actions flambent, moins il y a de salariés dans les grands groupes, plus le prix des surfaces qui leur sont destinées augmentent.

Pour conclure, plus le monde devient profondément anachronique, inégalitaire et instable, plus la propension à prétendre le contraire se renforce… jusqu’à ce que plus aucune vérité ne soit formulable.

La fausse monnaie achète d’abord de faux jugements ; la reconnexion au réel, à force d’être remise, en sera d’autant plus terrible

La fausse monnaie achète d’abord de faux jugements ; la reconnexion au réel, à force d’être remise, en sera d’autant plus terrible.

Cela paraît tellement inéluctable que l’une des questions du moment est "à qui fera-t-on porter le chapeau" ? A Vladimir Poutine (le parfait méchant du James Bond politico-financier planétaire), aux Chinois (qui multiplient les actes de cyber-piraterie), au prochain séisme qui frappera le Japon ou la Californie ?

Car en aucun cas cela ne pourrait être les banques centrales. Après tout, elles sont infaillibles — c’est pourquoi elles n’ont aucun compte à rendre aux peuples sinon aux marchés –, et si elles échouent… c’est que l’économie réelle n’a rien compris à leur génie.

[NDLR : N’attendez pas que la "reconnexion au réel" se fasse dans la douleur — prenez des mesures de précautions dès maintenant, grâce aux conseils de Philippe Béchade : il suffit de cliquer ici…]

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