La Chronique Agora

« Soldats, hâtez-vous et tirez là »

Maréchal Ney

Le maréchal Ney était un combattant d’une époque où les officiers jouaient leur peau et n’étaient pas récompensés par des sinécures.

Nous sommes à Paris pour accompagner l’une de nos filles, qui retourne aux Etats-Unis. Elle a choisi la Closerie des Lilas pour dîner – un restaurant rendu célèbre par Hemingway.

Devant le restaurant, au croisement des boulevards Montparnasse et St. Michel, se trouve la statue du plus grand soldat qui ait jamais vécu, Michel Ney – érigée tout près de l’endroit où il a été exécuté.

La statue du maréchal Ney à Paris

Le socle de la statue

Pourquoi soudain tout tourne-t-il mal ?

C’est quand les choses vont mal qu’on ouvre les yeux. Le krach du marché boursier, en 1929, a poussé les gens à regarder Herbert Hoover d’un oeil neuf. Même ce grand ingénieur des mines n’a pas pu remettre l’économie US d’aplomb.

Donald Trump affirme qu’il a déjà, à lui tout seul, rendu sa grandeur à l’Amérique. Qu’est-ce que le prochain krach apportera pour le grand amuseur et sa réputation ? Nous verrons bien, supposons-nous.

Et Ney ? Tout a mal tourné… mais sa statue montre encore l’énergie pure d’un vrai soldat.

Lorsque nous lisons les exploits de Ney – bataille après bataille… de folles charges de cavalerie… sabre au clair et canon tonnant… blessé à maintes reprises lors de combats quasi-constants sur une période de 20 ans… dans les steppes arides de l’Eurasie… les montagnes d’Espagne… les déserts, les friches et les forteresses de Suisse, Italie, Allemagne, Pologne… et en France elle-même – nous retenons notre souffle… comme s’il était impossible qu’un seul homme en ait fait autant.

Quel genre d’homme était-ce ? Quelle viande mangeait-il ? Quel vin buvait-il ? Ney était quasi-surhumain… peut-être un demi-dieu de la guerre créé par Mars lui-même.

De rudes batailles sur les moquettes de l’état-major

A l’époque, les batailles étaient une question de vie ou de mort ; les officiers étaient souvent directement sur le front. Ney, à cheval, sabre tiré, fonçait directement sur les mousquets ennemis.

Les guerriers du Deep State actuel – comme les généraux David Petraeus et Keith Alexander – devraient mépriser leur virilité, en comparaison !

Ils ne sont jamais vraiment en danger. Ils n’ont jamais eu à se passer d’air climatisé ou de soda. Leurs plus rudes batailles ont été menées sur les moquettes du Pentagone.

Puis, après une longue carrière remplie de grands mots vides, la patrie reconnaissante a envoyé ces deux imposteurs profiter des riches récompenses de Wall Street.

Ce n’est pas le cas de Ney. Lors de ses missions, son confort ne passait pas avant tout. Et la patrie reconnaissante ne lui a pas accordé de sinécure : elle l’a fusillé.

Il est incroyable que Ney ait pu survivre aussi longtemps.

Il a été fait prisonnier à Neuwied. Il a dormi en plein air en Russie par des températures de -30°C. Il a été blessé à maintes reprises – chute de cheval… coup de sabre… coup de fusil… à la cuisse, au poignet, au cou… Tout cela aurait dû l’envoyer fumer les mauves par la racine. Rien qu’à la bataille de Waterloo, cinq chevaux furent abattus sous lui.

Il parvint même à sortir de Russie… commandant l’arrière-garde lors d’une campagne catastrophique où 90% des troupes succombèrent.

Selon la légende, il est le dernier soldat à avoir traversé indemne la Berezina, faisant feu de son mousquet tandis qu’il battait en retraite, avant que le pont ne soit pris par les Cosaques, qui massacrèrent ensuite jusqu’à 10 000 soldats français et suisses restés en arrière.

Un désastre complet

La Bérézina aurait dû être entièrement gelée à cette époque de l’année. C’est en tout cas ce sur quoi les Français comptaient… mais le dégel était passé par là. Impossible de traverser ; ils étaient pris au piège, et trois armées russes convergeaient vers eux.

Les hommes du Génie sautèrent immédiatement dans l’eau pour construire un pont. Mais on ne pouvait survivre que 30 minutes environ dans les flots glacés. La plupart d’entre eux moururent rapidement.

Ils parvinrent quand même à construire une passerelle qui permit à l’empereur et à une bonne partie de son armée de passer. Les Français perdirent toutefois jusqu’à 40 000 soldats et retardataires dans la bataille.

Aujourd’hui encore, « Bérézina » est synonyme de « désastre » en France.

La plupart des maréchaux de Napoléon, perspicaces, le trahirent par la suite.

Ils avaient ouvert les yeux et vu qu’il était temps de changer de camp.

Ce n’était pas le cas de Ney. Napoléon avait été expédié sur l’île d’Elbe, laissant les Français reconstruire leur nation sous un nouveau Louis. Mais le Corse s’échappa d’Elbe et fit son retour sur le sol français à la tête d’une nouvelle armée.

Aveuglé par la loyauté ou victime d’une simple erreur de calcul, Ney – qui avait juré obéissance au roi entre temps – rallia la cause de l’empereur et rejoignit la dernière campagne des « Cent jours ».

C’est bien entendu Michel Ney, le prince de Moscou, qui se trouvait en première ligne des magnifiques charges de cavalerie de Waterloo, agitant son sabre et poussant ses hommes face aux canons du duc de Wellington, qu’il réussit brièvement à capturer.

Hélas, le Prussien Blücher arrivait de l’est comme un marteau s’abattant sur l’enclume britannique : Napoléon réalisa que la situation était sans espoir et donna l’ordre de battre en retraite.

C’était la fin. Napoléon ne tarda pas à être capturé… et Ney aussi.

Jugé coupable

L’empereur fut envoyé à Ste Hélène, une île si lointaine et si inaccessible qu’on ne pouvait espérer s’en échapper, et Ney fut jugé pour trahison.

Déclaré coupable en 1815, la seule concession que le nouveau gouvernement accorda au plus grand héros de la France fut de lui laisser commander son propre peloton d’exécution.

Ce furent ses dernières paroles :

« Français, je proteste devant Dieu et la patrie contre le jugement qui me condamne. J’eusse mieux aimé mourir pour mon pays, mais c’est encore ici le champ d’honneur ; vive la France ! »

« Soldats, hâtez-vous et tirez là », ajouta-t-il en désignant son coeur.

Les soldats, dont certains étaient en larmes, appuyèrent sur la détente comme on le leur avait ordonné.

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