▪ Il serait intéressant de retrouver les agendas des présidents nouvellement élus des 30 dernières années pour étudier la liste de leurs rendez-vous au cours des 100 premières heures de leur mandat. En ce qui concerne l’investiture proprement dite, elle intervient dans les 10 jours suivant la proclamation des résultats.
Nous gardons un vague souvenir de 1995, mais pas de manière assez précise pour affirmer que l’alternance a donné lieu à un intense ballet diplomatique comme celui observé depuis dimanche soir. L’explication coule a priori de source : la France sortait d’une période de cohabitation et le nouveau président et son entourage étaient déjà bien au courant des dossiers du moment.
Ensuite, il y a eu une certaine continuité politique durant les 12 dernières années. L’actualité politico-économique étant relativement sereine en 2007 — le calme avant le cyclone des subprime.
▪ Le bal des alternances en Europe
Plus près de nous, il y a eu l’alternance en Grèce (le 5 novembre 2011)… puis en Italie — Mario Monti remplaçant Silvio Berlusconi — le 15 novembre… puis en Espagne, avec l’entrée en fonction de M. Rajoy, une semaine plus tard.
Nous n’avons pas le souvenir que les nouveaux dirigeants européens aient croulé en 48 heures sous un déluge d’invitations à Berlin, Washington, Londres ; ni amorcé dans les 48 heures suivantes un marathon de consultations des plus hautes autorités européennes, avant même d’avoir pu intégrer leurs lieux officiels d’exercice du pouvoir, ni formé le moindre gouvernement.
▪ Un emploi du temps de ministre pour le président
Nous pourrions adopter un point de vue de type presse people et affirmer que le futur hôte de l’Elysée (et à travers lui la France) est bien honoré de toute cette (précoce) sollicitude des grands de ce monde. Mais au travers de notre filtre de type Chronique Agora, nous concluons qu’il y a juste une sacrée urgence à mettre M. Hollande au courant des derniers développements des dossiers européens.
Des journalistes avides de sensationnalisme affirmeraient même que la nouvelle présidence de la République s’inaugure sous le signe de l’urgence absolue.
François Hollande a reçu dès ce mercredi après-midi à Paris M. Herman van Rompuy, le président de l’Union européenne. Il va rencontrer ce jeudi le président de l’Eurogroupe et Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker… et il s’est déjà entretenu par téléphone avec Angela Merkel et José Manuel Barroso (le président de la Commission européenne) au sujet des dossiers les plus chauds.
Pourrait-on en conclure qu’il se trame quelque chose, avant même le déplacement à Berlin du 16 mai et la réunion des dirigeants de l’UE prévue le 23 mai à Bruxelles ?
▪ Une début de présidence sous le signe de l’Europe
L’entourage de M. Hollande n’a pas tardé à préciser que l’ordre du jour de la réunion avec M. Juncker porterait sur les dossiers européens, la situation dans la Zone euro, le pacte de discipline budgétaire ainsi que l’étude des possibles mesures pour relancer la croissance.
Nous serions prêt à parier qu’une ligne cryptée à haut débit sera ouverte entre l’avenue de Ségur et le bureau de la chancelière à Berlin. Il ne nous surprendrait pas que M. Mario Monti et M. Rajoy reçoivent également un appel en multiplex ayant trait à la situation économique dans leurs pays respectifs.
Il y a en effet une véritable urgence à mettre sur pied des solutions et à rassurer les marchés sur la « bonne entente » (réelle ou en cours de finalisation) régnant entre les dirigeants européens et la convergence des points de vue entre Paris, Bruxelles et Berlin.
Les marchés sont en train de manifester un peu plus que de l’impatience. La moindre rumeur de fausse note, le moindre atermoiement et la situation pourrait basculer dans le psychodrame… et les indices boursiers dans le précipice.
▪ Les législatives grecques provoquent un séisme
Avec les législatives grecques, c’est comme si le sol venait de s’ouvrir sous les pieds des sherpas de l’Eurozone, et sans doute également de la BCE.
Il ne s’agit pas d’une simple fissure dans le plancher de la salle de réunion du premier étage… Non, il s’agit d’une faille qui s’ouvre sur les entrailles de la terre et donne à voir que des flots de lave et des jets de gaz toxiques sont prêts à se précipiter vers la surface.
La nervosité est plus que palpable à Wall Street où les indices américains limitent certes leur repli à 0,6% en moyenne — le Nasdaq ne recule que de -0,4%. Mais soulignons que le Dow Jones aligne une sixième séance de baisse consécutive, ce qui ne s’était plus produit depuis la mi-août 2011 de sinistre mémoire.
Grâce à la résilience des marchés américains (après une mauvaise entame de séance entre 15h30 et 16h), le CAC 40 a réduit de façon quasi miraculeuse ses pertes de 1,5% à 0,2% préservant ainsi le support des 3 115 points (testé le 9 janvier dernier).
▪ Le CAC flirte avec les seuils de rupture
Paris et bien d’autres places européennes ont flirté dangereusement avec des seuils de rupture tout au long de la séance de mercredi. L’enfoncement des 3 090 points déboucherait très probablement sur une nouvelle séquence baissière en direction des 2 950 points.
Le CAC 40 n’a sauvé in extremis le palier des 3 100 (plancher du 23 avril) que grâce à la confirmation du versement de 4,2 milliards d’euros (sur les 5,2 milliards d’euros promis) à la Grèce d’ici la mi-mai.
Jamais les incertitudes concernant la Zone euro n’ont paru aussi anxiogènes depuis fin novembre 2011. En effet, les taux longs espagnols ont refranchi la barre des 6%… et l’Italie devrait payer plus de 5,8% à ses créanciers. Le marché s’inscrit dans un contexte de risk off qui se traduit par une série d’arbitrages en faveur des actifs sans risque.
Le Bund à 10 ans affichait mercredi soir un rendement plancher de 1,5% (contre 1,54% le matin même), du jamais vu en Europe depuis l’après Seconde Guerre mondiale.
Pour la seconde journée consécutive, aucune classe d’actif (hormis les Bunds et les T-Bonds US) n’a échappé à la correction générale. Le pétrole rétrograde vers 96,5 $ (il a inscrit un cours de 95,2 $ au plus bas sur le NYMEX) et l’or perdait 1% vers 1 590 $ l’once, établissant ainsi un nouveau plancher pour l’année 2012.
▪ Récession en vue ?
Rapprochons maintenant ces divers éléments concernant les marchés des réunions impliquant François Hollande et ses prestigieux interlocuteurs européens au cours des dernières heures (largement évoquées précédemment).
S’il fallait interpréter (ou seulement synthétiser) cette chute du métal précieux sous 1 600 $, des actions (y compris en Asie et au Japon), des matières premières (cuivre, pétrole), des rendements offerts par les bons du Trésor germaniques et américains, cela s’apparenterait fortement à une anticipation de scénario récessionniste.
Autrement dit, les marchés ne croient guère à la possibilité d’un virage stratégique européen en faveur de la croissance. Même s’ils en exprimaient soudain la volonté, l’ardoise grecque (à plusieurs dizaines de milliards d’euros) et espagnole (50 milliards d’euros rien que pour refinancer les banques) qui se profile risque de leur en ôter les moyens !