▪ Le 24 octobre dernier, j’écrivais dans La Bourse au Quotidien un article intitulé Deutschland geht kaputt. Il n’est pas paru une statistique depuis le 20 octobre qui ait démenti le sentiment que la croissance allemande n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été dans un passé relativement récent… et que cette glorieuse époque n’est pas prête de se rééditer.
L’indice IFO publié ce lundi en Allemagne conforte ce pronostic. Le baromètre des milieux d’affaire germaniques est tombé ce mois-ci à 104,7 points (estimation flash confirmée). C’est son plus bas niveau depuis avril 2013… et le sixième mois consécutif de contraction.
Le PIB allemand se réduit simultanément à une vitesse qui étonne beaucoup d’économistes.
La véritable surprise, c’est qu’un euro nettement plus faible qu’au début de l’été ne ralentit pas le phénomène. Bien au contraire : les marchés accueillaient l’envol de 10% du dollar de 1,40 vers 1,26/euros comme le remède à tous nos problèmes de compétitivité et d’inefficience sur le terrain du commerce mondial.
Plus l’euro recule, moins la France et l’Allemagne dégagent d’excédents. Toutefois, cela pourrait être pire : avec un yen précipité par Shinzo Abe vers les profondeurs des fosses marines qui bordent l’archipel nippon, l’économie japonaise a vu exploser son déficit commercial de +17,5% au mois de septembre.
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La réalité que les marchés tentent de cerner en cette fin octobre semble échapper à tous les modèles de prévision. Mêmes les grilles de lecture des banques centrales ne semblent plus être à la bonne échelle… ou alors les économistes les tiennent à l’envers.
Au sein même de la Fed, chacun avance sa propre interprétation, désigne ses priorités, en fonction de son biais "colombe" (courant archi-majoritaire) ou "faucon" (courant en porte-à-faux par rapport à Janet Yellen ou la Maison Blanche).
▪ Prêts à tout…
Le plus troublant, c’est qu’en multipliant les interventions le vendredi 17 octobre, les membres de la Fed du clan "colombe" ont donné le sentiment d’être prêts à raconter et promettre n’importe quoi, pourvu que Wall Street cesse de baisser.
La Fed ne semble pas avoir de ligne de conduite dictée par une vision moyen ou long terme de la conjoncture |
Beaucoup d’opérateurs réalisent soudain que la Fed ne semble pas avoir de ligne de conduite dictée par une vision moyen ou long terme de la conjoncture ; elle ne jure que par le maintien des marchés en lévitation et cherche à interdire par tous les moyens que leur tendance se retourne à la baisse.
Certains affirment qu’elle en a les moyens, que la BCE va prêter son concours à la poursuite de cette stratégie de reflation éternelle des actifs — jusqu’à ce que la conjoncture se plie aux désirs de la Fed ou de la Banque du Japon.
D’autres affirment que les marchés sont depuis trop longtemps déconnectés de la réalité, qu’un tel écart entre cours et bénéfices, entre niveaux de taux et solvabilité des émetteurs, ne saurait plus être comblé, même par des kilotonnes de yens et d’euros imprimés dans l’urgence.
Il y a trois mois, personne ne doutait de l’affirmation n°1, qui sanctifiait la toute puissance et l’infaillibilité des banques centrales.
Aujourd’hui, le doute s’insinue ; il se matérialise sous forme d’une poussée de fièvre sur le VIX, le baromètre du stress associé aux valeurs du S&P 500. Malgré une envolée de 3,8% de cet indice la semaine passée (et même de 5,3% du Nasdaq), le VIX n’est pas repassé sous les 16, un seuil qui constituait un plafond insurpassable depuis l’été 2012 — et même il y a encore trois mois.
Le verbe des banques centrales perd de sa magie auto-réalisatrice |
Le verbe des banques centrales perd de sa magie auto-réalisatrice. Plus les paroles se veulent fortes, moins elles convainquent.
▪ L’ours commence à s’agiter
Côté indices boursiers, la camisole algorithmique se désagrège, les coutures lâchent, les sangles craquent, le tissus se déchire. L’ours qu’elle emprisonne ne peut pas encore se redresser de toute sa hauteur et menacer le taureau de ses puissantes griffes… mais la camisole va se disloquer : c’est inéluctable et ce n’est plus qu’une question de jours, même pas de semaines.
Cela secoue déjà très fort alors que l’ours demeure encore chargés de lourdes chaînes : la volatilité en témoigne, avec plus de 100 points d’écart hier entre les extrêmes du jour. Il y a également eu 55 points d’écart entre 14h55 et 16h15, dans le sens de la hausse cette fois-ci, et enfin -25 points entre 16h15 et 17h29.
Beaucoup de volatilité et bien peu de volumes comparativement puisque le CAC 40 a fait pratiquement -3% puis +1,25% avec seulement trois milliards d’euros échangés (plus 400 millions d’euros au fixing de clôture).
En temps normal, traiter trois milliards d’euros pour 1% de variation à la hausse comme à la baisse semble très normal… et on ne parle pas d’un bras de fer homérique entre acheteurs et vendeurs.
Mais observer aussi peu d’échanges dans un contexte de "portes de saloon" aussi brutal témoigne à quel point ce marché est devenu un jeu de dupes. Dès que les acheteurs prennent possession du terrain (c’était le cas à l’ouverture), les vendeurs apparaissent inexistants. Dès que la vélocité haussière retombe — faute de relais –, les carnets d’ordres se vident en quelques minutes de leurs lignes à l’achat et les vendeurs ne trouvent plus la moindre contrepartie.
Et puis, en milieu d’après-midi, avec l’intervention rapide des sherpas de Wall Street pour interdire aux indices américains de perdre plus qu’ils n’avaient gagné vendredi, ce sont soudain les vendeurs qui retournent leur veste… et se retrouvent face à des carnets d’ordres déserts.
Les marchés sont en train de réaliser qu’il n’y a plus de pilote dans l’avion. Même si quelqu’un pouvait s’emparer des commandes à distance — comme s’il s’agissait d’un drone — il n’y a nulle part où se poser : le sol économique n’a aucune consistance, c’est du marécage.
Dès lors, deux écoles s’affrontent : profiter du fait qu’il y a encore un peu de kérosène dans les réservoirs pour manoeuvrer l’appareil de façon à tenter un atterrissage sur le ventre dans un espace un peu dégagé… Ou bien ne rien dire aux passagers et tenter de planer le plus loin possible en espérant survoler par miracle une zone avec un sol suffisamment dur pour tenter de se poser de façon plus conventionnelle.
En attendant, l’avion est rentré dans les basses couches de l’atmosphère et ça secoue méchamment… Il y a bien quelques cris d’effroi, mais ce n’est rien.
Attendez que les passagers comprennent qu’on leur préparait depuis le début un atterrissage en catastrophe !