Plus les cours des actions grimpent, plus leur future rentabilité se réduit : un « détail » que les investisseurs ont tendance à ignorer… mais qui va leur coûter très cher.
Les autorités ont un besoin forcené de soutenir les indices boursiers – et de les soutenir à moindre frais bien sûr. Leur pratique verbale consiste donc à sans cesse tracer, promettre des continuités. « Les taux bas vont durer longtemps, pas question de stopper les QE, pas question de taper, il n’y a pas de risque d’inflation autre que temporaire ».
Si vous m’avez compris, vous savez que le pari structurel, c’est la continuité – c’est-à-dire le mensonge, puisque l’Histoire nous apprend que périodiquement, plus ou moins régulièrement, les choses changent. Il n’y a jamais de cygne noir, non – ce qu’on appelle cygne noir, c’est l’incapacité de l’intelligence à appréhender le réel.
L’histoire est faite de ruptures, grandes et petites. Le monde, l’histoire sont fractals.
Je soutiens que la racine de l’autorité des illusionnistes et autres apprentis sorciers réside dans le mensonge, dans cette affirmation de continuité.
Cette affirmation va dans le sens de ce que souhaitent les peuples. C’est un biais. Ils veulent que le monde soit continu, reproductible, que tout soit éternel et prolongeable à l’infini.
Ils veulent un monde divin, parfait, dont a été bannie la discontinuité suprême, la mort. Un monde, comme je le dis souvent, faustien, de miracle, où l’homme échappe à sa condition et à sa finitude… en échange de son âme.
Un monde financier condamné
Par construction, le monde financier actuel est condamné. Sa pratique monétaire et financière actuelle n’est possible que si et seulement si l’économie va mal, si la croissance est absente, si les gens ont peur, s’ils sont frileux, si la demande est faible, si l’inflation des prix des biens et services est modeste sinon inexistante.
Le dispositif n’est possible que dans une situation donnée et sitôt que cette situation évolue, il va devenir intenable, en particulier les taux d’intérêt ultra-bas.
La réussite éventuelle inclut la certitude de l’impossible maintien de la politique monétaire et financière. Elle inclut aussi la nécessité de la hausse des taux, du resserrement des conditions monétaires et financières, et bien sûr la révulsion de marchés chamboulés par des rendements neufs supérieurs aux rendements anciens, ce qui force à les liquider.
L’anchoring (ancrage) dont nous parlions hier nie le réel en ceci qu’il nie les effets de seuils, les effets de stocks, et affirme que tout est flux, que tout est fluide, tout est un long fleuve tranquille. Avec l’anchoring, il n’y a jamais de goutte d’eau qui fait déborder le vase, jamais de fétu de paille qui brise le dos du chameau etc.
Qu’est-ce que l’ancrage des anticipations de hausse des prix dont parle sans cesse la Fed ?
C’est l’anchoring dont je vous parle, c’est le fait que les opérateurs ont tendance à considérer que demain sera comme aujourd’hui.
Ancrage de l’inflation
L’ancrage des anticipations inflationnistes qu’essaie de réaliser Jerome Powell depuis quelques jours, c’est l’alimentation, le renforcement de la structure d’anchoring qui fait le fond des marchés, c’est-à-dire leur rigidification de telle façon que les anticipations soient en retard sur les perceptions, en retard sur les signes du changement qui se profile.
Ainsi l’anchoring ne prend jamais en compte le niveau atteint par les valorisations boursières : s’il en tenait compte, il introduirait un « avant » et un « après », c’est-à-dire une rupture, une limite. Avant un certain prix, on a encore une rémunération positive – et après, on passe de l’autre côté, on a une rémunération négative.
Le zéro est le problème des apprentis sorciers. La borne du zéro pour les taux d’intérêt leur pose bien sûr problème car c’est une discontinuité. Elle est contraire au bon sens : pourquoi accepter une rémunération négative de son effort d’épargne ?
Ce que personne ne voit, c’est que lorsque les autorités et Robert Shiller – prix Nobel d’économie – disent que les taux bas justifient des valorisations levées pour les actions, ils ne disent rien d‘autre que ceci : le fait que les obligations ne rapportent rien va entraîner des arbitrages entre actions qui rapportent plus et obligations qui ne rapportent rien… Et ces arbitrages dureront jusqu’à ce que les actions finissent elles aussi par ne rien rapporter.
Comme le dit l’économiste John P. Hussman, dire que la rémunération zéro sur les obligations justifie les prix surévalués des actions équivaut à dire que « le fait que vous ayez un œil crevé justifie que vous vous creviez le deuxième ».
Mais autant sur les obligations, les épargnants et investisseurs ont conscience du fait qu’ils ne vont pas être rémunérés, autant sur les actions, cela leur échappe !
Ils ne se rendent pas compte que plus les cours montent plus la rentabilité future baisse et, à partir d’un certain stade, elle devient négative avec des cours qui finiront par s’effondrer.
Le zéro sur l’obligataire induit une perception de la discontinuité tandis que le zéro sur les actions est masqué par la possibilité apparemment infinie de hausse des cours.
Sur les actions, les arbres montent jusqu’au ciel. Elles mettent de la continuité apparente sur une discontinuité réelle. D’où… leur intérêt spéculatif, leur fonction d’appâts pour les gogos, et la volonté jamais démentie des autorités d’en faire acheter à mauvais escient aux malheureux citoyens.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]