Dans un monde à l’envers, il y a tout de même quelques choses sur lesquelles on peut compter.
Devinez quel marché boursier est en hausse de 42% cette année.
Le S&P Merval, en Argentine, bien sûr ! Le taux d’inflation local dépasse les 100%. Mais les prix de ces actions sont indiqués en dollars américains.
Autrement dit, vous auriez gagné beaucoup plus d’argent cette année en achetant des actions en Argentine qu’en le faisant aux Etats-Unis.
Pourquoi ? Les investisseurs placent leur argent dans des actions pour éviter de le perdre sous le poids de l’inflation. Le résultat ? Un boom du marché actions.
Tout passe, tout casse
Quoi qu’il arrive d’autre, nous supposons qu’il y aura aux Etats-Unis un marché haussier de type argentin en réaction au chaos et à la confusion des années à venir. Des valeurs qui devraient baisser monteront… des politiciens qui empireront les choses affirmeront qu’ils sont en train de créer un « nouvel âge de prospérité ». Les prix exploseront à la hausse… ou à la baisse… sans raison apparente.
Sur quoi pouvez-vous compter dans un tel monde à l’envers ?
« Tout passe, tout casse », nous dit le dicton.
C’est notre devise officieuse ici, à La Chronique Agora. Ou, comme Nietzsche le disait en latin, « amor fati ». Nous croyons – que tout ce qui naît va mourir… que toute remontée des cours de Bourse sera suivie par une rechute… et qu’aucune chanson… aucun empire… aucun marché haussier ne durera indéfiniment.
Au fil du temps, tout se détériore et s’efface. Nous avons vu hier comment la Révolution industrielle a perdu en efficacité après 1970. Nous avons vu comment le dollar été corrompu en une devise que la classe politique peut utiliser pour se rendre riche. Nous avons vu comment la politique américaine a dégénéré en un opéra-comique… où une femme obèse chante tous les jours sans que quiconque ne s’en soucie.
Au fil du temps, la liberté laisse place à la politique. Une économie entrepreneuriale dynamique passe sous le contrôle des planificateurs centraux et des incapables. Et un gouvernement faible est remplacé par un gouvernement imposant, avec ses millions de lois et régulations, avocats… prisons… amendes… missiles… sanctions… cible d’inflation à 2%… ses investissements sous-optimaux et ses arnaques. Il est impossible de calculer à quel point tout cela a ralenti l’économie, mais la chambre du commerce des Etats-Unis évalue le seul coût des régulations gouvernementales à 1 900 Mds$ par an. Winslow Wheeler estime le coût de l’empire à 1 500 Mds$ supplémentaires.
Remarquable naïveté
Joseph Stiglitz ne partage pas notre fatalisme enjoué. En 2018, il a écrit un article remarquable de naïveté… cité récemment dans le magazine Scientific American… rien que ça. Il n’avait rien de scientifique. Stiglitz a préféré ignorer les effets déclinants de la Révolution industrielle. Quant au dollar frauduleux, il ne l’a pas mentionné. Et, au lieu de souhaiter la disparition des règles et régulations contraignantes, il en demande toujours plus.
A chaque fois que vous voyez un lauréat du Nobel dire « nous devons faire ceci » et « nous devons faire cela », vous pouvez être sûr que ce qui suivra seront des inepties. Stiglitz ne nous a pas déçu :
« Il nous faut plus de fiscalité progressive et d’éducation publique de qualité financée au niveau fédéral, incluant un accès abordable pour tous aux universités, sans prêts ruineux requis des étudiants.
Nous avons besoin de lois modernes sur la concurrence pour faire face aux problèmes qui découlent des pouvoirs de marché du XXIè siècle et mieux appliquer les lois dont nous disposons.
Nous avons besoin de lois sur le travail qui protègent les travailleurs et leurs droits à se syndiquer.
Nous avons besoin de lois sur la gouvernance d’entreprises qui limitent les salaires exorbitants offerts aux principaux dirigeants, et nous avons besoin de régulations financières plus strictes qui empêcheront les banques de participer aux pratiques d’exploitations qui sont devenues leur marque de fabrique.
Nous avons besoin d’une meilleure application des lois anti-discrimination : il est déraisonnable que les femmes et les minorités soient payées une simple fraction de que leurs collègues masculins et blancs reçoivent.
Nous avons aussi besoin de lois sur l’héritage plus raisonnables, qui réduiront la transmission intergénérationnelle d’avantages et de désavantages.
[…] Nous avons besoin de garantir l’accès au système de santé.
Nous avons besoin de renforcer et réformer nos programmes de retraite, qui ont placé un risque de plus en plus important sur le dos des travailleurs (qui sont supposés gérer leur portefeuille d’investissements pour simultanément se protéger des risques d’inflation et d’un effondrement des marchés), qui se sont ouverts à l’exploitation par notre secteur financier (qui leur vend des produits destinés à maximiser les frais bancaires plutôt que de sécuriser leur retraite).
[…] Nous avons besoin de politiques d’aménagement urbain qui assure un logement abordable à tous. »
Sapristi ! Y a-t-il quoi que ce soit que nous n’ayons pas besoin de faire ?
Pour résumer ce qu’il nous dit, c’est que nous avons besoin de plus de contrôle… de plus de lois… de plus de régulations… de plus de menottes… de plus de pénalités… de plus de cellules de prisons… et de plus de trous pour y faire passer de nouvelles boucles – plus de ce qui a causé les problèmes dans un premier temps.
Air chaud et mauvaises idées
Mais attendez… vous pourriez penser qu’un lauréat du Nobel irait creuser un peu plus loin. Comment, exactement, cela fonctionne-t-il ? Notre système politique a causé les problèmes. Comment va-t-il les résoudre ? Qui va écrire ces nouvelles lois ? Qui va appliquer ces nouvelles règles et régulations ? Quels Solomons vont gouverner ce nouveau monde merveilleux ? Quels anges vont le policer ?
Au milieu de ces gaz bien-pensants se trouve une petite brise de réalité :
« Un cercle vicieux s’est formé : les inégalités économiques se traduisent en inégalités politiques, ce qui mène à l’émergence de règles qui favorisent les riches, provoquant par la suite un renforcement des inégalités économiques. »
Il a raison sur ce point. Notre système est truqué. Stiglitz :
« Ce ne sont pas les lois de la nature qui ont mené à cette situation : ce sont les lois de l’humanité. Les marchés n’existent pas dans le vide : leur forme est déterminée par des règles et régulations, qui peuvent être conçues pour favoriser un groupe ou un autre. »
Mais si les vieilles règles favorisent les riches… pourquoi les nouvelles règles ne favoriseraient-elles pas aussi les gens qui ont à leur service des lobbyistes pour les écrire ? Et les membres du Congrès, toujours intéressés par quelque émolument, ne les voteraient-elles pas ?
« Le peuple » n’a pas de lobbyiste. Ils n’ont aucun moyen de savoir quelles régulations vont finir par leur tomber dessus… ou bien à qui elles livreront leurs cadeaux cachés. Les électeurs sont comme de la cire, prêts à être moulés en n’importe quelle forme les élites nécessitent.
Pourquoi devrions-nous nous attendre à quelque chose de différent ?
Stiglitz ne traite pas le sujet. Mais c’était en 2018. Stiglitz ne l’a pas exprimé directement, mais, avec un clin d’œil et un hochement de tête, les lecteurs savaient ce qu’il pensait. Avec tellement d’inégalités en place, il avertissait qu’un démagogue pourrait s’emparer du ressentiment populaire et mettre en danger notre démocratie. Cela ne le gêne pas que « notre démocratie » n’a rien fait pour limiter les problèmes dont il se plaint. Et ensuite, en 2020, au milieu du torrent du Covid, notre démocratie a changé d’attelage.
Mais les eaux ont continué à couler comme auparavant.
En Russie, l’opposant à Poutine Alexei Navalny fait face à une peine de prison de 19 ans suite à ce qui ressemble à des accusations fantaisistes. Au Pakistan, l’ex-Premier ministre Imran Khan a pour sa part été condamné à 3 ans de prison, moins d’un an après avoir perdu le pouvoir lors d’une crise politique dont il accuse la CIA d’être responsable. Au Niger, le président Bazoum serait retenu à son domicile où il manquerait de nourriture. Et maintenant, le démagogue principal des Etats-Unis fait lui aussi face à un passage en prison, après qu’une nouvelle administration, préférée par Stiglitz, a pris le contrôle et que le département de la Justice a commencé à poursuivre l’opposition.
Avec la nouvelle équipe en place, nous avons déjà été submergés par un autre torrent de nouvelles lois, de nouvelles règles, de nouvelles régulations, et des milliers de milliards de nouvelles dépenses.
Connivence, corruption, folie… au moins, il y a certaines choses sur lesquelles vous pouvez encore compter.