▪ Cette première semaine du mois de mars promet d’être très intéressante d’un point de vue politique — aussi bien aux Etats-Unis qu’en France et surtout en Italie.
Les marchés ont fait connaître leur mauvaise humeur à la lecture des résultats des élections législatives italiennes lundi dernier. Nos cousins transalpins ont mal voté : ils n’ont pas accordé plus de 10% de leurs votes à Mario Monti, ce qui constitue un véritable camouflet pour un pur produit de l’écurie Goldman Sachs.
Les marchés ont manifestement « fait passer le message » au président italien Giorgio Napolitano. Ce dernier envisagerait donc de contourner le blocage politique actuel (personne ne voulant faire alliance avec personne) avec la formation d’un deuxième gouvernement de technocrates.
Les Grecs avaient plié devant le mécontentement des marchés et une coalition pro-européenne et pro-austérité avait vu le jour. Si le personnel politique italien est trop retors pour se plier aux exigences de la City, de Berlin et de Bruxelles, alors il n’y a pas d’autre choix que de passer outre le vote populaire et d’imposer le type de gouvernement qui convient aux marchés.
Cela donnera au moins raison à Beppe Grillo au sujet du mépris de la démocratie de la part des élites européennes et des marchés… qui savent manifestement se faire entendre de façon beaucoup plus efficace que les simples citoyens européens.
Le scénario qui se jouait en coulisses depuis lundi dernier commence à émerger au grand jour : à condition que M. Bersani renonce au poste de président du Conseil (ce qui doit lui être chaudement recommandé… au nom de l’intérêt supérieur de l’Europe), c’est le gouverneur de la Banque d’Italie Visco Ignazio qui serait le grand favori pour occuper la fonction de n°1 et reprendre les rênes du pays.
Nous entendons déjà Silvio Berlusconi et Beppe Grillo tenter de mobiliser leurs électeurs pour faire échec au « vol de la démocratie » par les élites financières. Ce coup-ci, cela pourrait fonctionner car la manoeuvre serait trop grossière : les Italiens ont d’abord voté contre l’austérité, ce n’est pas pour se la faire imposer par un second technocrate qu’ils n’ont pas élu.
▪ Ailleurs en Europe…
Ce week-end a par ailleurs été marqué par des manifestations monstres à Lisbonne contre la venue de la Troïka venue dans la capitale. Cela afin d’évaluer les progrès accomplis par le pays en matière de réduction des déficits (via la désintégration de 30 ans de conquêtes sociales en l’espace de seulement trois ans).
Nous retenons également la « sortie » (la charge baïonnette au canon) d’Arnaud Montebourg contre l’inactivité de la BCE « qui ne se préoccupe ni de la croissance, ni du chômage et s’accommode d’un euro beaucoup trop cher qui plombe nos exportations ».
Pierre Moscovici a dû rectifier le tir au cours des heures qui ont suivi en rappelant que le ministre des Finance, c’est lui, et pas son collègue du redressement productif… Il a par ailleurs réaffirmé que « la BCE est dans son rôle, lequel consiste à maintenir la stabilité des prix ».
Et vous savez ce que nous pensons de la « sincérité » et de la pertinence de l’indice des prix auquel se réfère la BCE (ou la Fed aux Etats-Unis). Il s’agit d’un véritable déni de la réalité, une pure fiction statistique et un enfumage des populations… qui le supportent de moins en moins alors que leur pouvoir d’achat se désagrège.
▪ Etats-Unis : échec des politiques… succès sur les marchés ?
Aux Etats-Unis, les médias tentent déjà de faire oublier au « bon peuple » le nouvel échec de la classe politique à travailler de concert pour résoudre les vrais problèmes. De nombreux articles (écrits sur commande ?) promettent déjà une nouvelle pluie de records historiques avant la publication des chiffres de l’emploi vendredi.
Pourquoi Wall Street ne continuerait-il pas à voler de record en record… puisque la conjoncture réelle ne compte plus et que l’appétit des investisseurs pour le risque — aiguisé par un sentiment d’invulnérabilité — semble sans limite ?
Ce sentiment d’invulnérabilité repose plus que jamais sur la promesse de Ben Bernanke d’imprimer 85 milliards de dollars par mois jusqu’à fin 2013 — et même bien au-delà si le besoin s’en faisait sentir.
Avec ce « put Bernanke » (l’assurance tous risques contre tout vent contraire sur les marchés), la tradition qui consiste à terminer la semaine au plus haut depuis fin décembre a été respectée vendredi. Cela malgré l’entrée en vigueur de coupes budgétaires automatiques qui devraient commencer à produire leurs premiers effets négatifs mesurables dès le mois d’avril.
Au total, ces coupes devraient amputer le PIB américain de 0,5% selon le consensus. Wall Street s’en moque totalement, visiblement, puisque le Dow Jones a gagné 0,25% en clôture, à 14 090 points. Il a ainsi retracé à 0,5% près son record historique du 9 octobre 2007.
Le Nasdaq a grappillé 0,3% à 3 170 ; le S&P 500 s’est adjugé quant à lui 0,23% à 1 518 points. Enfin, c’est le Russell 2000 qui a fait la meilleure performance du jour avec +0,4% à 914,75.
Pour l’indice historique (le Dow Jones), la semaine passée s’est achevée sur un gain de 0,65% après sept mois de stagnation motivée, nous expliquait-on… par la crainte que l’absence de compromis au Congrès US ne plombe une croissance déjà mise à mal par la réduction des dépenses de l’Etat au quatrième trimestre 2012.
Dans un tel contexte de propagande médiatique visant à justifier la hausse somnambulique des indices boursiers, les incertitudes européennes passent au second plan.
▪ Une bonne nouvelle, vite !
Les investisseurs ne retiennent apparemment que les bonnes nouvelles. Il leur en fallait une vendredi — ce fut la hausse de l’indice de confiance des ménages américains. Ce dernier s’inscrit comme souvent dans le sillage des indices boursiers, les sondés succombant à une illusion de richesse entretenue par la Fed et des journalistes « aux ordres » qui tentent en vain de faire oublier qu’elle n’est que virtuelle.
C’est ainsi que Wall Street s’est désintéressé du léger repli du PMI manufacturier de février, publié un quart d’heure avant l’indice de confiance. Le baromètre de l’activité s’est inscrit en baisse de 1,5 point (de 55,8 en janvier vers 54,3 en février), traduisant un ralentissement de l’expansion du secteur sur le mois écoulé.
Il ressort même sensiblement inférieur à l’estimation préliminaire de 55,2, diffusée dans le courant du mois de février… mais le PMI de Chicago avait augmenté la veille donc le chiffre national ne compte pas.
De plus, même si les revenus des Américains ont reculé de 3,6% en janvier (entrée en vigueur de certains taxes), les opérateurs ne retiennent que la hausse de 0,2% de la consommation en janvier, après un mois de décembre très décevant (+0,1% malgré la distribution de près de 100 milliards de dollars de dividendes depuis début novembre).
Les Etats-Unis restent tout naturellement complètement à l’abri de toute dégradation conjoncturelle en Chine, où la production manufacturière est tombée à son plus bas niveau en cinq mois, et en Europe (toujours en récession), où le taux de chômage pulvérisait en janvier un record de 11,9% de la population active.
Vous voyez bien, Wall Street ne peut que continuer de grimper… comme la défiance des populations à l’égard des élites qui les prennent pour des enfants.
Faut-il qualifier ce phénomène de « divorce à l’italienne » ?