L’objectif d’inflation à 2% des banquiers centraux a enfin atteint, et même largement dépassé. Désormais, s’ils veulent la faire rentrer dans les clous, les mesurettes ne suffiront pas.
Nous avons vu hier que Jerome Powell était, depuis sa nomination au poste de président de la Fed, à la recherche d’une certaine forme d’inflation, tandis que celle à laquelle nous sommes confrontés actuellement en est une autre.
Le résultat est similaire, et les deux sont liées : la seconde est apparue parce que les banques centrales ont tenté de faire monter la première artificiellement à 2%. Ce qui aurait dû permettre de lutter contre la déflation structurelle, qui découle du fonctionnement du système capitaliste.
Que ce soient les gains de productivité, des progrès dans les méthodes de fabrication ou d’autres avancées dont l’adoption est poussée par la concurrence, la conséquence est en effet la même : les capitalistes voient la valeur de ce que leurs entreprises produisent baisser. En saupoudrant cela d’inflation, en revanche, tout devrait bien aller. Du moins, c’est l’objectif affiché.
Sous le poids des dettes
En parallèle, cette déflation systémique est cependant aggravée par le poids des dettes. Le ratio dette/PIB ne cessant de monter, il devient presque obligatoire pour stabiliser les choses de déprécier la monnaie dans laquelle les dettes sont libellées.
Les capitalistes naviguent à courte vue : ils ont voulu le beurre, l’argent du beurre et l’arrière-train de la crémière. Pour élargir leurs débouchés, pour bénéficier de main-d’œuvre bon marché et rehausser leurs profits, ils ont globalisé, c’est-à-dire qu’ils ont encore plus renforcé les forces de concurrence qui font baisser les prix.
Ah les braves gens ! Ils ont, par la globalisation, neutralisé les effets inflationnistes de leurs politiques monétaires. Ils ont accéléré et freiné en même temps. Ils ont accéléré les baisses de valeur du facteur travail.
Résultat : les banques centrales ont beau mener une politique monétaire de dépréciation et d’avilissement de la monnaie, elles n’arrivent pas enrayer la déflation. Le poids des dettes, au lieu de s’alléger par rapport au PIB, reste constant voire augmente, même avec des décennies de politique de baisse continu des taux d’intérêt. Un jour, on ne peut même plus compenser par la baisse des taux, car celui-ci arrive à zéro.
L’inflation miracle
Je mets le doigt sur quelque chose qui est endogène, intrinsèque au capitalisme et à sa tentative de se prolonger malgré ses limites.
Je résume :
- Le capitalisme fait baisser les valeurs des productions, c’est sa fonction historique, c’est le Progrès.
- Le capitalisme est déflationniste intrinsèquement, ce que ne cessent de dire les économistes autrichiens.
- Mais le capitalisme subit la tendance à la baisse du taux de profit par l’accumulation continue du capital, surtout depuis qu’il refuse les crises de destruction.
- Le besoin de mettre en valeur le capital ne cesse de grandir.
- Pour lutter contre cette tendance à la baisse du taux de profit, le capitalisme financier a recours au levier, il accumule les dettes.
- Mais le poids des dettes ne cesse de s’alourdir et, pour les rendre supportables, il faut sans cesse baisser les taux c’est-à-dire leur coût.
- Mais, si on arrive à des taux zéro, on ne peut plus supporter aucune inflation, car le système de la dette cotée sur les marchés se révulse, tout le monde vend.
- La seule solution est de tricher, de produire une inflation structurelle qui annule la baisse de valeur des productions. C’est la raison d’être des fameux 2% l’« inflation recherchée » de Powell.
- Cette inflation ne doit être que monétaire, elle doit compenser les baisse de valeurs par une hausse des prix.
- Elle ne doit pas être contagieuse et réduire les profits, elle ne doit pas se propager aux salaires car, si cela se fait, le surproduit pour honorer les dettes se réduit.
Cette inflation recherchée est en somme une inflation miracle. Elle n’a aucun rapport avec l’inflation actuelle, qui est destructrice. Cette inflation recherchée, c’est une bonne inflation, alors qu’l’inflation actuelle est mauvaise.
Le dilemme de Powell
Tout problème non résolu et mal posé se présente à un moment donné comme un dilemme. Nous y sommes.
La pandémie a aggravé l’inflation en raison de 1) la demande refoulée des consommateurs alors que les gens épuisent les économies accumulées pendant les blocages et 2) les « goulets d’étranglement » de l’offre résultant de la tentative de répondre à cette demande.
Ces goulets d’étranglement sont notamment créés par les restrictions sur le transport international de marchandises et de composants, ainsi que sur les restrictions continues d’approvisionnement – car une grande partie du monde souffre toujours de la pandémie.
La Fed est donc dans un dilemme.
Si elle « resserre trop » la politique monétaire et augmente les taux d’intérêt « trop rapidement », le coût de l’emprunt pour investir ou dépenser pourrait augmenter au point où les nouveaux investissements dans la technologie ralentissent et la demande des consommateurs pour les produits s’essouffle et il y a un marasme économique.
C’est particulièrement le cas actuellement, compte tenu du niveau record d’endettement des entreprises et des cours boursiers stratosphériques.
Alternativement, si elle n’agit pas pour réduire et arrêter ses injections monétaires et augmenter les taux d’intérêt, alors une inflation élevée peut ne pas être du tout transitoire et devenir auto-entretenue.
Le résultat est que la Fed est obligée de s’envoyer en l’air dans l’imaginaire. Elle est obligée de mentir et de tenter de séparer le réel de ses perceptions, de faire prendre des vessies pour des lanternes. Il y aurait une voie moyenne, nous dit-on ! Ce qui équivaut à faire croire que l’on peut faire des miracles, freiner et accélérer en même temps.
A mon avis, le dilemme pour ces banques centrales entre contrôler l’inflation et éviter un marasme est un faux dilemme.
Et là, il faut revenir à ce que disait le grand philosophe et ex-gouverneur de la Californie Arnold Schwarzenegger. Lorsqu’il parlait de la musculation, Arnold disait : « Cela ne fait du bien que si cela fait mal. »
Transposé à la politique monétaire et à l’expérience de Volcker : quand l’inflation sort de la bouteille, pour la faire rentrer, il faut prendre le risque de faire mal, de casser l’économie et de casser la Bourse.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]