La Chronique Agora

Mais où est la récession ?

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Les rebonds du marché actions et les chiffres de l’emploi sont les seules choses dont parlent les médias… Faut-il s’y fier pour évaluer l’économie américaine ?

Pourquoi l’économie américaine semble-t-elle si solide par rapport au reste du monde ? La réponse est la suivante : ce n’est qu’une question de temps.

L’économie ne passe pas d’une période de croissance à une période de récession aussi vite que l’on peut appuyer sur un interrupteur. Il faut du temps. Les signes positifs sont réels, mais ils s’estompent. Les signes négatifs sont réels, et ils s’amplifient. Certaines données poussent l’économie vers le haut, et d’autres tentent de suivre le rythme avec difficulté. C’est le travail des analystes de savoir ce qu’il en est, et de se concentrer sur les tendances de long terme, et non sur les événements de court-terme.

Tout d’abord, un faible taux de chômage n’est pas nécessairement une source de réconfort, car les tendances de l’emploi ont tendance à être en décalage avec l’économie. Le dernier rapport sur le chômage (celui de juillet) fait état d’un taux de chômage de 3,5%, l’un des plus bas depuis les années 1960.

Il s’agit d’un rapport sain à première vue, mais il faut tenir compte de deux caractéristiques importantes. La première concerne ce que l’on appelle le taux de participation à la population active (TPPA) ou taux d’activité.

Il s’agit du pourcentage de la population en âge de travailler qui n’a pas d’emploi par rapport à l’ensemble de la population en âge de travailler. Ce taux est différent du taux de chômage, car pour être comptabilisé comme « chômeur », il faut être à la recherche d’un emploi.

Des dizaines de millions d’Américains en âge de travailler n’ont pas d’emploi mais n’en cherchent pas. Ils ne sont pas comptabilisés comme chômeurs, mais ils apparaissent dans les calculs du TPPA.

Le dernier recours

A l’heure actuelle, le taux d’activité est de 62,6%. Ce niveau a été atteint pour la première fois aux Etats-Unis en novembre 1977, lorsque les femmes entraient massivement sur le marché du travail. Il est nettement inférieur au niveau de 67,2% atteint en janvier 2001, lorsque les baby-boomers étaient au sommet de leur carrière. En substance, 6,7 millions de travailleurs ont tout simplement abandonné la recherche d’un emploi par rapport à 2001.

Si ces 6,7 millions de travailleurs étaient ajoutés au nombre de chômeurs actuels, le taux de chômage national serait de 7,6%, un taux plus étroitement associé à une récession. En fait, le faible taux d’activité cache une importante cohorte de chômeurs qui n’est pas comptabilisée par le gouvernement dans les chiffres officiels sur l’emploi.

Le deuxième défaut, encore plus significatif, de l’utilisation des statistiques de l’emploi dans les prévisions économiques, est que les rapports sur l’emploi sont des indicateurs tardifs, et non des indicateurs avancés. Lorsque l’économie commence à ralentir, les entreprises font, dans un premier temps, tout ce qu’elles peuvent pour garder leurs portes ouvertes – sauf licencier.

Elles réduisent leurs stocks, baissent leurs prix, cherchent à réduire leurs loyers, réduisent leurs coûts administratifs et bien d’autres choses encore, avant de licencier des travailleurs précieux. Toutes ces stratégies sont des signes évidents d’une économie défaillante, mais elles n’apparaissent pas dans les rapports sur l’emploi.

Lorsque les employeurs se décident à licencier, il est trop tard pour l’économie. Il ne faut donc pas se fier à des taux de chômage bas pour conclure que tout va bien. Le contraire pourrait facilement être vrai.

Les indicateurs les plus fiables

Pourtant, il existe des indicateurs puissants qui suggèrent que l’économie américaine est entrée dans une grave récession ou qu’elle en est proche, en plus des facteurs de mesures plus connus tels que le taux de chômage. Le premier de ces indicateurs est l’inversion de la courbe de rendement.

Je ne vais pas entrer dans les détails techniques de cette courbe, mais il est important de comprendre les principes de base et leurs implications. Une courbe de rendement montre les taux d’intérêt sur des titres de différentes échéances d’un même émetteur, ou les taux d’intérêt sur un même instrument à différents moments dans le futur.

Dans les deux cas, la courbe est normalement ascendante (les échéances plus longues ou les dates de règlement plus tardives ont des taux d’intérêt plus élevés). C’est logique. Si vous prêtez de l’argent à plus long terme ou pariez sur des taux plus lointains, vous souhaitez un taux d’intérêt plus élevé pour compenser le risque supplémentaire lié à des événements tels que l’inflation, la dégradation de la qualité du crédit, la faillite, etc.

Les courbes de rendement des titres du Trésor américain sont aujourd’hui fortement inversées. Il en va de même pour les courbes de rendement des contrats à terme SOFR (anciennement Eurodollar). Encore une fois, ne vous préoccupez pas des détails techniques. Comprenez simplement qu’il s’agit de signaux d’alarme importants. La dernière fois que les deux courbes de rendement ont été aussi fortement inversées, c’était avant la crise financière mondiale de 2008.

Si vous ne tenez pas compte de ce signal dans vos prévisions, vous passez à côté d’un incendie signalé par plusieurs alarmes. Le système est en train de prendre feu.

Pas plus d’espoir à l’international

Il existe de nombreux autres signaux d’alerte, tels que les écarts négatifs entre les swaps. Sans aller trop loin dans l’explication de ce que cela signifie, il suffit de comprendre que des écarts de swap négatifs signifient que les bilans bancaires se contractent. La capacité des bilans est mise à rude épreuve. C’est un autre signe avant-coureur d’un resserrement du crédit, qui présage une récession.

Il existe d’autres signes avant-coureurs et, encore une fois, je ne vais pas entrer dans les détails techniques de ces phénomènes ici. Je dirai simplement que tous les signes techniques que nous identifions sont inhabituels et qu’ils vont tous dans le sens d’une récession. Ils présentent tous de bons antécédents en matière de prévision des récessions depuis les années 1970 et même avant.

Ainsi, aux Etats-Unis, les fondamentaux (production industrielle, commerce mondial, accumulation des stocks, crédit, immobilier commercial) sont négatifs. Les données techniques (courbes de rendement, écarts de swaps, capitaux propres des banques) sont négatives. Les seuls éléments positifs sont le chômage (un indicateur tardif) et le marché boursier (une bulle pondérée en fonction de la capitalisation). Malheureusement pour les investisseurs, les actions et l’emploi sont les seules choses dont parlent les journalistes à la télévision. Ne tombez pas dans le panneau.

Les investisseurs qui se tournent vers l’étranger en espérant être sauvés par d’anciens pays performants tels que la Chine, le Japon et l’Allemagne seront également déçus. La Chine connaît un ralentissement spectaculaire ; l’idée d’un bond provoqué par la réouverture post-Covid n’a jamais été qu’un mythe.

Quant au Japon, il ne tient qu’à un fil, en partie à cause de son alignement économique étroit sur la Chine. L’Allemagne est déjà en récession et la situation va empirer à mesure que la guerre en Ukraine s’éternise, notamment avec l’apparition de ce que les Russes appellent le « général hiver », au mois de novembre.

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