La Chronique Agora

La magie des "Trois sorcières" opère sur le CAC 40

▪ Un argent fou… L’expression fait un peu cliché mais elle va comme un gant (oups, encore un cliché !) aux circonstances. Au moment où nous écrivons ces lignes (début de soirée, jeudi 19 mai), l’action LinkedIn affiche +155% de hausse par rapport à son prix d’introduction (45 $).

A 124 $ l’action vers 19h, LinkedIn (prononcez « linkt-ine ») est valorisée 12,5 milliards de dollars.

C’est une excellente affaire et il faudrait être fou pour laisser passer une telle aubaine ! Le titre se négocie à seulement 40 fois son chiffre d’affaires (243 millions de dollars en 2010) et 1 200 fois le profit affiché l’an dernier. Pas de chance, 2011 se terminera dans le rouge, mais comme le disait la Fed au sujet de l’inflation mercredi soir, c’est temporaire.

Et si nous ne profitions pas d’un petit repli technique vers 110 $, nous n’aurions aucune excuse !

Il n’y avait en effet rien de plus simple et de plus évident (si, si, vous allez voir !) que de s’enrichir en jouant la hausse des indices boursiers ce jeudi.

▪ Comble du bonheur, le CAC 40 a terminé largement en tête du peloton européen, avec une hausse de 1,25% qui s’avère tout simplement deux fois plus forte que la moyenne. L’Eurotop-100 gagne 0,55%, l’Euro-Stoxx 50 0,7%. Chez nos voisins, Francfort gagnait 0,75%, Londres et Milan 0,55% et Madrid 0,3%.

Cette surperformance intra-européenne de Paris s’expliquait déjà difficilement en tant que telle, mais au-delà de cette aubaine, le scénario de la séance fut des plus singuliers. Les raisons de cette euphorie restent difficiles à appréhender pour le non-initié.

Souvenons-nous qu’après un rebond initial de 0,6%, le CAC 40 cédait rapidement ses gains pour afficher un score nul vers 09h45. L’Euro-Stoxx 50, quant à lui, passait en territoire négatif.

Nous avons redouté à un moment de voir le marché se mettre à osciller entre +0,2 et -0,2% jusqu’aux chiffres américains. Mais la main invisible a volé au secours du CAC 40 qui gagnait 1,25% dès 11h50.

Une évolution que nul ne trouva étrange puisque dans l’intervalle, le marché avait pris connaissance de… strictement rien de nouveau !

Le CAC 40 s’est envolé de 50 points en trois coups d’algorithmes — reliés, nous le répétons, à aucune actualité identifiable. L’indice s’est ensuite soudain stabilisé au sein d’un corridor de six points d’indice (0,15% de volatilité).

Une fois passé d’un extrême à l’autre, la stagnation complète du CAC 40 a duré plus de deux heures avant que l’indice se remette à grimper de 0,3% supplémentaire. Ce mouvement a eu lieu peu après la parution des inscriptions hebdomadaires au chômage aux Etats-Unis à 14h30. Celles-ci ont d’ailleurs de nouveau reculé comme prévu de 29 000 pour s’établir à 409 000 aux Etats-Unis.

▪ Le CAC 40 affichait plus de 1,6% de hausse (à 4 046 points) vers 15h00. C’est là que les mauvais chiffres ont commencé à pleuvoir aux Etats-Unis. L’activité industrielle de la région de Philadelphie s’est effondrée vers 3,9 ce mois-ci contre 18,5 en avril.

De même, l’indice des indicateurs avancés (censé préfigurer l’évolution de l’économie américaine dans les mois qui viennent) s’est contracté de 0,3% en avril. Il a ainsi signé son deuxième repli mensuel depuis mars 2009, alors que le marché attendait une hausse symétrique.

Le marché immobilier américain ne donne pas non plus de signe de redressement. Les ventes de logements existants se sont contractées de 0,8%, à un peu plus de cinq millions de transactions en rythme annualisé. Le consensus, lui, tablait sur un rebond de 3%.

Cette série de chiffres provoquait une consolidation de -0,25% (en moyenne) des indices américains entre 15h00 et 17h30. Pendant ce temps, le CAC 40 s’accrochait aux 4 030 points.

Un détail nous avait peut-être échappé du côté des matières premières ou des devises, mais impossible de trouver des motifs d’optimisme avec le pétrole. Ce dernier rechute de 1,4% vers 98,75 $. L’euro, pour sa part, reste stable à 1,4250 $. Inutile non plus d’attendre une bonne nouvelle du côté du Japon qui bascule en récession de -0,9% suite au séisme du 11 mars.

Invoquer les minutes de la Fed ou l’envol de 160% de LinkedIn à 125 $ ne semblait pas davantage pertinent, étant donné que Wall Street — première place boursière concernée — évoluait dans le rouge tout au long de la matinée.

▪ Tout ceci semblait bien déconcertant… et c’est là que la lumière nous est apparue ! C’était la veille de la journée des « Trois sorcières » (expiration des options et contrats à terme).

Ce rebond inopiné du CAC 40 et de l’Euro Stoxx lamine toutes les positions baissières (options, warrants). La hausse des dernières 48 heures n’est pas suffisante pour redonner vie aux positions haussières prises en début de mois ; les acheteurs perdent également leur mise.

La valeur du CAC 40 (revenu à 4 030 points) n’a pas changé depuis le 8 avril dernier. Toutes les stratégies directionnelles constituées dans l’intervalle constituent des foyers de pertes.

Parmi les rares gérants à oser une explication, certains évoquèrent sans sourciller : « pas de nouvelle, bonne nouvelle »… assorti d’un « les marchés retrouvent du goût pour le risque ». Vu les chiffres économiques du jour et ceux publiés la veille, cela tombe sous le sens !

A l’image de Wall Street (sans direction jusqu’à la mi-séance), le CAC 40 avait toutes les raisons d’évoluer dans des marges étroites jusque vers 15h00, puis de consolider par la suite.

C’est tout l’inverse qui s’est produit par le biais d’une manipulation qui ne cherchait même pas à demeurer discrète. Présenter des justifications techniques (stop achat au-dessus du gap des 4 011 points) équivaudrait à faire comme si « on n’avait rien vu » — ou pire : comme si on ne voulait rien voir !

C’est la meilleure façon de continuer à… se faire avoir !

Heureusement, ceux qui n’ont pas eu le bon réflexe d’acheter le CAC 40 au-dessus des 4 040 points pouvaient encore se rattraper jeudi soir avec du LinkedIn à 110 $.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile