La Chronique Agora

D’après Mario Draghi, les LTRO étaient juste faits pour éviter une catastrophe

▪ Et de quatre ! Les places européennes font un carton plein à la hausse depuis le début de la semaine.

Cela devient une routine quotidienne depuis le 16 novembre dernier. Vous pouvez inscrire n’importe quel gros titre à la une des journaux : évoquer le ciel bleu comme la tempête… les comptes truqués de la Deutsche Bank comme le pseudo-sauvetage des banques espagnoles à 40 milliards d’euros, les indices poursuivent leur ascension.

Comme le scénario commençait à devenir un peu lassant, une petite variante sympathique a été ajoutée en début de semaine. Le CAC 40 inscrit des records annuels en série depuis le 3 décembre.

Il fallait bien cela pour rendre moins monotone une douzième séance de hausse sur une série de 14, alors que le canal ascendant commence à concurrencer les plus longues « tendances en ligne » haussières répertoriées aux cours de la dernière décennie.

Le mécanisme de ce mouvement — qui avec de bons algorithmes devient perpétuel — est bien connu et implacable : déclencher une hausse brutale et disproportionnée dont personne ne connaît la cause.

▪ Les day traders et les fonds indiciels sont les seuls acheteurs
Les suiveurs systématiques — ceux qui ne savent pas pourquoi ça monte mais qui laissent ce genre de questionnement à d’autres — sont les seuls à monter dans le train, sans se soucier de la destination ni de la durée du voyage… puisqu’ils sauteront du wagon au plus tard à 17h29.

Mais qui achète en face des day traders qui laissent partir le train sans état d’âme ?

Eh bien une autre catégorie d’intervenants qui ne cherche pas davantage à connaître les causes — réelles ou artificielles — du mouvement. Il s’agit des fonds indiciels qui s’imposent de répliquer les variations du marché, à la hausse comme à la baisse.

Ils sont acheteurs quand ça monte, vendeurs quand ça baisse… et ils encaissent de la valeur temps (via des ventes d’options couvertes) lorsque les indices ne bougent pas.

Et tous obéissent au même principe : surfer sur la tendance, rien que la tendance.

Avec 95% d’opérateurs au comportement totalement pré-formaté et stéréotypé, les 5% qui font vraiment bouger les choses se régalent !

D’autant qu’il leur faut de moins en moins de capitaux pour provoquer des écarts de plus en plus grands.

Qu’est-ce que cela signifie ? Que le marché n’a pas vocation à rapprocher le plus grand nombre de vendeurs et d’acheteurs autour d’un prix dont tout le monde admet la justification économique (même approximative)… mais de faire voler en éclats les repères afin de rendre l’évolution des cours imprévisible pour ceux qui adoptent une optique de moyen/long terme.

Mission accomplie : le style de gestion buy and hold a quasiment disparu, tout comme la liquidité. D’où l’effondrement des volumes alors que les day traders — qui manipulent quelques milliers ou quelques millions d’euros — ne savent plus où trouver de la contrepartie dans ce qui s’avère être un jeu à somme nulle.

▪ C’est la débâcle pour GDF-Suez
Le plus paradoxal, c’est que si l’activité s’est accrue de 30% ce jeudi à Paris (à près de trois milliards d’euros), ce n’est pas parce que les investisseurs se ruaient à l’achat mais bien parce que les vendeurs ont été exceptionnellement nombreux. Ils étaient tous sur le titre GDF-Suez qui a dévissé de 12% dans un volume historique de 600 millions d’euros, 11 fois supérieur à la moyenne quotidienne.

Bien entendu, nous savons qu’en face des vendeurs, il y avait des acheteurs. Ces derniers devront se montrer patients avant de voir les cours remonter parce que la chute du titre a immédiatement entraîné une prolifération de notes extrêmement négatives et de recommandations du type « sous-pondérer » ou « rester à l’écart ».

Une magnifique illustration du fait qu’un brusque ajustement des cours ne crée pas une opportunité (d’achat ou de vente) mais constitue une invitation à amplifier les tirs sur l’ambulance. En cas de faux pas, le marché y voit l’occasion de faire un croc-en-jambe.

▪ Les bancaires poussent le CAC 40 aux fesses
Pendant que GDF-Suez allait au tapis, le secteur bancaire permettait au CAC 40 de déborder encore un peu plus nettement les 3 600 points (ex-zénith du 16 mars) et d’inscrire un nouveau record annuel à 3 622 points.

Mais l’indice a fini sa course très exactement au niveau de l’ouverture, à 3 602 points (contre un précédent record de clôture à 3 595 établi huit mois auparavant).

Le défi consiste maintenant à s’assurer d’une quinzième hausse et du débordement des 3 600 points. Mais il pourrait s’agir du même genre de « fausse sortie » que lors de la cassure des 3 375 points il y a trois semaines. Attention à cette configuration qui s’apparente à un « porte-voix », en plus de constituer l’ébauche d’un double sommet quasi parfait sur l’année 2012.

Le CAC 40 gagnerait alors 15% à l’issue d’une année entamée sur un rythme de croissance voisin de 1% et qui s’achève en récession. C’est ABSOLUMENT sans précédent.

L’excuse du marché qui joue un avenir radieux ne tient pas la route une seule seconde puisque l’Europe sera en récession en 2013 (entre -0,3% et -0,5% selon la BCE). Les Etats-Unis, quant à eux, devraient voir leur croissance limitée à 1,2% (sur les 2,4% prévus) du fait de l’impact des économies budgétaires. Si c’était une vraie falaise fiscale, le PIB américain ferait zéro l’an prochain.

L’excuse de la croissance mondiale florissante — taillée sur mesure pour nos multinationales — ne tient pas non plus. Elle s’est contractée en 2012 et a été revue en baisse pour 2013. Ni en instantané, ni en tendance la hausse actuelle ne reflète de perspective favorable passée ou à venir.

Autrement dit, ce sont les cours qui continuent de dicter les discours. Il faut raconter n’importe quoi pour ne pas paraître « idiot », ni devoir avouer que la hausse des cours est tantôt dictée par des stratégies dérivées de la volatilité qui leur échappent, tantôt par le rebond d’Apple. Il faut bien éviter au Nasdaq de plonger sous les 3 000 et au S&P d’enfoncer les 1 400 points.

Pour ceux qui dansent et jubilent sur l’air de « la crise est derrière nous », voici ce qui constitue à notre avis la phrase du jour. Mario Draghi en est l’auteur : il a déclaré que les 500 puis les 1 000 milliards d’euros mis à la disposition des banques sous forme de LTRO fin 2011 et  fin février 2012 n’avaient pas pour but premier d’injecter des liquidités dans l’économie réelle — qui n’a effectivement jamais vu la couleur de cet argent — mais d’éviter une catastrophe. Voyez à quel point le déclenchement du sauvetage de l’Espagne serait un gage de retour à une meilleure fortune !

Ce fantastique aveu fut lâché en réponse à l’une des questions posée lors de la conférence de presse de la BCE et qui visait à savoir si les LTRO servaient à quelque chose.

Souvenons-nous que début 2012, le discours officiel était que la crise grecque était sur le point d’être soldée et que les facilités offertes par la BCE n’avaient comme seul but de que d’endiguer une hausse « injustifiée » (tu parles !) des taux en Espagne et en Italie.

Mais Mario Draghi a peut-être simplement voulu se faire mousser en se présentant comme l’homme providentiel qui avait empêché in extremis la dislocation de l’Eurozone. Pour notre part, nous sommes convaincu qu’il a tout au plus réussi à bloquer les roues d’un véhicule qui va droit dans le mur, à raison de +400 000 chômeurs par an.

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