▪ « Wall Street au moins n’a pas baissé ce lundi », remarquaient avec humour certains de nos interlocuteurs dans les salles de marché. Les opérateurs américains étaient en effet en congé hier pour cause de fête nationale… mais les autres, tous ceux qui travaillaient au ralenti alors que les lignes téléphoniques les reliant à New York demeuraient muettes, n’avaient pas le coeur à célébrer quoi que ce soit.
La séance avait débuté sur quelques rachats à bon compte ; Paris aligne au final une septième séance de repli sur une série de 10. Même si l’écart reste symbolique, le CAC 40 cède -0,5% (tout comme Wall Street vendredi soir) et inscrit sa seconde plus mauvaise clôture de l’année.
La séance s’est achevée au plus bas du jour comme pratiquement partout ailleurs en Europe. Amsterdam clôturait en baisse de-0,65% et Milan perdait 1,2% ; cela a plombé l’Euro-Stoxx 50 (-0,5% à 2 510) et l’Eurotop 100 (-0,3% à 2 027 points).
Le score final ne reflète pas vraiment le profil de cette séance : le CAC 40 s’est maintenu 90% du temps au contact des 3 350 points. Cependant, le niveau d’activité est globalement conforme à ce que l’on pouvait anticiper en ce jour férié aux Etats-Unis — les volumes ont été anémiques (moins de deux milliards d’euros échangés) et plus de 75% des titres du SBF 120 ont terminé dans le rouge.
▪ Comme la flambée de l’euro jeudi et vendredi dernier (jusque vers 1,26 $) n’avait pas dopé les places européennes, son repli vers les 1,2525 $ n’a pas suscité davantage de réactions sur le marché des actions ce lundi.
Avec le sursaut de la monnaie unique, nous avons deux surprises pour le prix d’une. D’abord, le dollar n’a pas perdu un pouce de terrain jusqu’à fin juin, malgré une déferlante de mauvais chiffres macro-économiques tous azimuts aux Etats-Unis. Ensuite, les cambistes semblent avoir changé leur fusil d’épaule le 30 juin avec une enquête d’ADP concernant les créations d’emploi dans le secteur privé.
Avec 13 000 nouveaux emplois au lieu des 65 000 anticipés (soit cinq fois moins que prévu), il y avait effectivement de quoi douter de la vigueur de la croissance américaine. Mais n’importe quel chiffre publié depuis le 24 juin dernier aurait pu justifier le même type de correction.
Comme nous nous méfions de tout ce qui paraît trop évident, nous avons commencé à rechercher d’autres éléments d’explication beaucoup moins médiatisés que l’effondrement des ventes de logements au mois de mai ou la chute de la confiance des ménages américains (l’un comme l’autre étaient largement prévisibles).
▪ Il y a bien eu la psychose des stress tests des banques européennes le 29 juin… Mais quelles mauvaises surprises pourraient-ils nous réserver ? L’opacité de la méthodologie permet d’ajuster les calculs de solvabilité en fonction des résultats que l’on souhaite obtenir.
Souvenez-vous de nos commentaires indignés de début mai 2009, en réaction à la pantalonnade des tests de résistance auxquels avaient été « soumises » les 19 plus grandes banques américaines… Ce sont elles qui avaient déterminé ou imposé les niveaux de recapitalisation qui leur apparaissaient nécessaires, sans jamais s’expliquer sur leurs méthodes de calcul et sans soulever la moindre objection de la part de la Fed.
De toute façon, la BCE s’est mise à son tour à échanger tout papier présenté en garantie par une banque contre des bons du Trésor estampillés « triple A+ ». Partant de là, devinez où sont opportunément cantonnées les mauvaises créances lorsque les autorités bancaires auditent les comptes d’un établissement de crédit dont le bilan pourrait apparaître fragile !
Afin de prévenir toute crise d’anxiété passagère des marchés, la BCE avait fait savoir 48 heures avant le remboursement des 442 milliards d’euros prêtés le 1er juillet 2009, que toutes les banques qui le souhaiteraient pourraient se procurer sans formalité, et sans montant de plafond, toutes les liquidités à trois mois dont elles estimeraient avoir besoin à l’entame de la période estivale.
A notre avis, cela favorisait le retour d’une certaine sérénité concernant les actifs libellés en euro — à condition que le marché interbancaire se dégèle. Or nous avons pu observer début juillet que ce n’était pas le cas !
▪ Il nous reste donc une hypothèse (il y en aurait bien d’autres mais nous avons effectué un choix par recoupement de rumeurs et de petites phrases en marge du G20)… et elle peut justifier à elle seule une brusque désaffection pour le billet vert.
Les Etats-Unis sont coincés par l’impossibilité d’engager (de façon officielle) de nouvelles dépenses visant à soutenir une activité économique qui se dégonfle comme une vieille montgolfière chahutée par les vents mauvais et qui fuirait par toutes ses coutures.
De son côté, le Trésor américain ne sait comment refinancer des milliers de milliards d’obligations municipales qui ne valent guère mieux que des CDO ou des ABS un soir de faillite de Lehman Brothers. Demandez vous ce qu’en pensent Bill Gross, le premier gérant d’actifs obligataires aux Etats-Unis, Wilbur Ross, le spécialiste des obligations pourries (junk bonds) ou Warren Buffett… que l’on ne vous présente plus.
La liste des municipalités en situation de faillite comptable est aussi épaisse que le dossier Madoff. Cette comparaison n’est d’ailleurs pas fortuite car le budget des collectivités locales (nous parlons de villes comme Détroit, Sacramento, New York et de milliers d’autres plus ou moins célèbres) est une véritable arnaque pyramidale à la puissance 10. L’insolvabilité qui était encore l’exception en 2006 — à part la Nouvelle-Orleans dévastée par Katrina — est devenue la règle.
L’encours des « muni-bonds » dépasse largement les 2 500 milliards de dollars. Il se présente le plus souvent sous forme de produits structurés complexes (de type VRDO, TOB ou ARS), lesquels sont devenus totalement illiquides, comme de vulgaires subprime californiens.
Les seuls sinistres constatés en 2008 avaient suffi à faire disparaître en quelques mois la quasi-totalité des assureurs crédit.
Pour mesurer la gravité du problème, sachez simplement que les « muni-bonds » représentent 15% de l’encours des placements monétaires détenus par les particuliers aux Etats-Unis. Les banques américaines en détiennent en propre des montants colossaux : en tant que structureurs (assembleurs de tranches de crédit municipaux), mais aussi en tant qu’apporteurs de liquidités (en cas de demande de remboursement anticipé)… et la garantie du risque qu’offraient les « monoliners » a disparu.
Après avoir nationalisé Fannie Mae et Freddie Mac en 2008 (c’est-à-dire accepté de garantir plus de deux tiers des crédits hypothécaires émis outre-Atlantique pour sauver les banques d’un raz-de-marée de créances douteuses), l’Etat américain a transformé la Fed en gigantesque « fonds de defeasance » (réservoir d’actifs pourris). Désormais, il n’a guère d’autre choix que d’aller au bout de sa logique.
Washington pourrait prier la Banque centrale américaine de monétiser à son tour les encours de dettes municipales non-négociables, c’est-à-dire l’essentiel du stock : il ne reste que quelques poches de prospérité sur le sol américain permettant aux émetteurs locaux de conserver leur précieux « AAA ».
▪ Pour ce qui est des poches des contribuables américains, l’Etat se prépare à les retourner jusqu’à ce que soit tombé le dernier cent resté prisonnier d’un pli rebelle. En attendant, ce sont des centaines et probablement plus d’un millier de milliards de dollars qui vont être créés « out of the thin air » (extraits de l’oxygène ambiant, dans la langue de Molière). Cela relativise grandement l’ampleur des déboires de la Grèce ou du Portugal sur les marchés obligataires…
De quoi faire comparativement de l’euro une denrée rare… et logiquement plus chère. Son rebond n’est en revanche pas une très bonne nouvelle en ce qui concerne l’état de santé du système financier international : ne cherchez pas plus loin l’incapacité des indices boursiers à entamer un rebond.