La Chronique Agora

L'offre ne connaît pas la demande

** "L’offre ne connaît pas la demande".

– C’est la phrase que Matt Simmons, banquier d’affaires à Houston, aime à répéter lorsqu’il s’agit d’expliquer la futilité d’une relance de la production de pétrole dans le monde du Peak Oil. Selon Simmons, il est impossible d’augmenter de façon substantielle la production de pétrole mondiale, quelle que soit l’importance de la demande. Mais le pétrole ne semble pas être la seule ressource dont la production ne satisfait plus la demande. Dans toutes les bourses de commerce, l’offre et la demande sont étrangères l’une à l’autre. La demande grimpe en flèche ; l’offre n’augmente pas, alors les prix montent.

– Prenez n’importe quelle ressource. L’offre et ce qu’elle est. Il n’y a guère de surplus de quoi que ce soit (sauf peut-être d’ingérence politique…). Nous vivons dans un monde où il faut des années avant que la nouvelle production soit mise sur le marché. La demande mondiale va donc devoir s’en accommoder. Et elle s’en accommode en faisant monter les prix suffisamment haut pour supprimer la demande marginale et éclaircir le marché.

– Pour la plupart des produits qui font fonctionner le monde, l’offre et la demande sont sur le fil. Il suffirait d’une pichenette pour que l’offre d’une ou plusieurs marchandises critiques bascule d’un côté et entraîne les prix dans un tourbillon incontrôlable… Regardez par exemple ce qui se passe en Afrique du Sud.

** En temps normal, lorsque vous entendez parler d’une catastrophe minière, vous pensez à une explosion ou à un effondrement et à des dizaines de victimes parmi les mineurs. Et que se passe-t-il en ce moment en Afrique du Sud ? C’est bel et bien une catastrophe minière, mais sans les familles en larmes à l’entrée du tunnel. Pourtant, l’histoire sud-africaine est presque aussi tragique. Une grande partie des mines sud-africaines ont dû fermer en raison d’une coupure d’électricité. Des dizaines de milliers de travailleurs sont désormais sans emploi, et l’impact économique se fait sentir dans le monde entier.

– L’entreprise qui fournit la majorité de l’électricité sud-africaine s’appelle Eskom. Selon un article paru récemment, "aucune des centrales à charbon d’Eskom, qui fournirait 90% de l’électricité du pays, ne fonctionne à plein régime". Nombre des problèmes d’Eskom sont liés à l’approvisionnement en charbon. Sur certains sites, le charbon est trop humide, ou de mauvaise qualité. Sur d’autres sites, il y a eu des interruptions imprévues dans les livraisons. De plus, les sites d’Eskom ont subi une série de problèmes techniques et autres incidents au niveau de la maintenance. Pour couronner le tout, Eskom n’a plus assez d’ingénieurs qualifiés et de personnel technique. En résumé, les problèmes de qualité, les problèmes techniques, les pannes de maintenance et le manque de personnel ont eu raison d’un quart de la capacité de production d’Eskom. L’entreprise a donc demandé à ses clients industriels de réduire "volontairement" leur consommation électrique.

– Les grandes entreprises d’extraction d’or en Afrique du Sud, comme AngloAmerican, Harmony et Gold Field, en sont réduites à ne faire tourner que le minimum des machines dans leurs mines. Il n’y a donc plus que les pompes à eau et l’aération qui fonctionnent. Les mines de diamants sont elles aussi touchées, tout comme la production d’uranium, d’aluminium, de chrome, de cobalt, de manganèse et autres minéraux. La production, la fabrication et la transformation du métal sud-africain ont ralenti de manière catastrophique.

– Il n’y a presque plus de mines sud-africaines qui continuent leurs opérations d’extraction et de traitement, si ce n’est les mines de charbon. BHP et AngloAmerican continuent de fonctionner pour approvisionner Eskom en charbon.

– En un sens, le charbon a désormais plus de valeur que l’or, le platine ou le pétrole. Quand on y réfléchit, sans le charbon pour faire fonctionner les centrales, l’or et autres métaux précieux ne sont plus que des cailloux enfouis dans les profondeurs du sol. Sans énergie, vous n’avez qu’un trou qui sera très vite plein d’eau. Suite à la fermeture des mines, le prix de l’or a atteint les 920 $ l’once, avec des opérations intraday allant jusqu’à 935 $. D’autres métaux précieux, comme le platine, le palladium et le rhodium ont également augmenté, selon les informations venues d’Afrique du Sud.

– Le gouvernement sud-africain a déclaré que le problème des coupures d’électricité était une urgence nationale et a proposé une série de mesures qui visent à réduire la consommation en électricité. Parmi ces mesures, on retrouve le rationnement. De plus, l’Afrique du Sud n’exporte plus d’électricité dans les pays voisins. Cet "embargo" électrique affecte toutes les industries, au-delà des frontières. Au Botswana, par exemple, les coupures de courant ont causé d’importantes pertes de nourriture et des problèmes dans le traitement et les livraisons des denrées alimentaires.

– L’Afrique du Sud n’exporte plus de charbon sur ses marchés établis, dont l’Union européenne. Ces deux dernières années, l’Union européenne est devenue un marché très lucratif pour le charbon sud-africain, depuis que les entreprises et les infrastructures de l’Union européenne cherchent des alternatives au pétrole de la mer du Nord (en voie de disparition) et au gaz naturel russe (politiquement problématique). L’Inde importe elle aussi de plus en plus de charbon sud-africain. Mais les mines sud-africaines ne peuvent plus satisfaire ces marchés. Dans toute l’Union européenne, à l’annonce des problèmes rencontrés en Afrique du Sud, le prix du charbon est monté en flèche. L’impact sur les marchés de l’énergie et des ressources naturelles se ressent dans le monde entier.

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