La Chronique Agora

L'immobilier commercial américain repose sur des fondations précaires

** "Nous allons bientôt tous être des spécialistes en matière de défaillances, de défauts de paiement, de saisies et de perte de valeur", ronchonne Ross Moore, vice-président et directeur des recherches sur les marchés et l’économie chez Colliers International, fournisseur mondial de services en immobilier commercial. "Les dépenses des consommateurs et des commerçants sont au mieux ténues ; la croissance au niveau de l’emploi est désormais en chute, et cette tendance négative ne semble pas prendre fin".

– M. Moore présente ici une situation inéluctable… ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour son employeur, ou pour toute autre personne impliquée dans le marché de l’immobilier commercial américain.

– Quand le secteur de la finance est florissant, le quartier de Manhattan l’est aussi. Et quand Manhattan est florissant, les loyers des bureaux augmentent. En ce moment, le secteur de la finance n’est pas florissant aux Etats-Unis, au contraire, il coule. Et la seule raison pour laquelle il n’a pas encore complètement sombré, c’est parce que des centaines de milliards de dollars de renflouement venus de l’étranger l’ont maintenu à flots.

– Le secteur de la finance a survécu, mais il n’est pas vraiment en bon état de navigabilité. Et qu’un tel secteur soit endommagé ne peut en rien être une bonne chose pour le taux de location à Manhattan… ou pour le reste du marché de l’immobilier commercial dans tout les Etats-Unis. Cette implosion du secteur financier est une véritable crise nationale — l’une de celles qui mettent en péril la viabilité de presque tous les efforts capitalistes, particulièrement la construction et l’achat d’immobilier commercial.

** Pour l’instant, le niveau des dépenses en matière de constructions à but commercial se maintient. Mais cette solidité apparente doit beaucoup plus à l’optimisme de 2005 et 2006 qu’à la triste réalité de 2008. Les projets commerciaux se font sur du plus long terme que les projets résidentiels, en raison des longs processus d’obtention de permis et d’autorisations. Beaucoup des chantiers de constructions à but commercial que l’on voit aujourd’hui sont en réalité le résultat de la gestation d’idées conçues deux ou trois ans auparavant.

– C’est donc pour ça que nous nous attendons à ce que la construction commerciale commence à suivre la même (mauvaise) voie que son homologue résidentiel, d’autant plus que l’économie ralentit, et que les banques du pays ont déjà accordé beaucoup trop de prêts, comme en témoignent leurs registres.

– Les prêts pour l’immobilier commercial sont plutôt risqués dans une économie qui ralentit. Les prévisions d’occupation d’un promoteur peuvent être réduites à néant en un rien de temps, presque aussi vite que l’on oublie la morale dans une soirée bien arrosée. Les rentrées d’argent prévues ne rentrent pas, et il arrive de plus en plus que les banques deviennent les heureux propriétaires de bâtiments de bureaux totalement vides. En raison de ce risque, les banques ont tendance à réduire les prêts commerciaux au premier signe de récession… ou au moins au deuxième, ou au troisième. Après tout ce ne sont que des banques.

– Cependant, au vu du ralentissement économique actuel, il se pourrait que les banques coupent les prêts commerciaux d’un coup sec. Elles ont déjà accordé trop de prêts pour l’immobilier commercial. Le taux de ces prêts au capital a presque doublé ces six dernières années, selon John C. Dugan, inspecteur de la devise. Après un repas composé de cinq plats — achevé par une assiette de fromages et arrosé d’une goutte d’Armagnac — personne n’a envie d’enchaîner sur un second repas tout aussi copieux.

– "Le nombre de banques individuelles qui ont un très haut taux de concentration est encore plus significatif que ces statistiques générales sur le secteur", ajoute M. Dugan.

– "Plus d’un tiers des banques communautaires [des Etats-Unis] ont des taux de concentration d’immobilier commercial qui atteignent plus de 300% de leur capital, et presque 30% ont des prêts de construction et de développement qui dépassent les 100% de leur capital".

– Et comme les autres types de prêts dans cette grande nation (endettée) qu’est la nôtre, les prêts commerciaux commencent à sombrer aussi vite que… eh bien… la morale dans une soirée bien arrosée. Dans le secteur des prêts pour la construction et le développement, les prêts à problème dans les banques communautaires ont atteint 1,96% du total à la fin du troisième trimestre, le double du taux de l’année dernière.

– "Le cumul de toutes ces conditions", explique M. Dugan, "impose une pression importante sur une catégorie bien précise de prêts pour l’immobilier commercial : la construction et le développement résidentiel — et d’autres catégories de prêts pour l’immobilier commercial vont subir une pression identique si l’activité économique générale continue de ralentir".

– Une chose est sûre : le marché de l’immobilier commercial US repose sur des fondations très instables.

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