La Chronique Agora

Les limites de la politique monétaire

Il n’y a aucune raison valable pour que la Fed se fixe un objectif d’inflation.

Alexander Salter affirme qu’il n’y a « aucune raison valable de rehausser l’objectif d’inflation ». Bien qu’il avance quelques arguments solides, son analyse ne tient globalement pas la route, car elle repose sur la théorie quantitative de la monnaie.

Il explique que les partisans d’un objectif d’inflation plus élevé croient à tort que cela « donnerait plus de marge de manoeuvre à la Fed pour assouplir sa politique monétaire si un risque de récession devait apparaître ». Salter ajoute que la Fed peut toujours stimuler les dépenses nominales même lorsque les taux d’intérêt sont déjà à zéro, une limite que la Fed a davantage de chances d’atteindre avec un objectif d’inflation plus bas.

Salter note, à juste titre, que l’inflation freine la croissance économique à long terme. Cela implique que, du point de vue de la Fed, les choix de politique monétaire nécessitent de réaliser des arbitrages, y compris en ce qui concerne son objectif d’inflation.

Un objectif d’inflation plus élevé implique une réduction de la croissance à long terme, même en supposant que les partisans d’un relèvement de l’objectif d’inflation aient raison d’affirmer que cela donnerait à la Fed davantage de marges de manoeuvre pour répondre aux chocs économiques à court terme.

Ainsi, un relèvement de l’objectif d’inflation ne serait pas seulement inutile, il aurait un coût économique significatif à long terme.

Que devrait faire la Fed ?

Salter détaille ce que la Fed devrait faire selon lui :

« Le rôle de la Fed est d’orienter les agrégats monétaires dans la bonne direction. La politique monétaire doit consister à recalibrer le baromètre de l’économie plutôt qu’à appuyer à fond sur la pédale d’accélération. Bien sûr, une politique monétaire expansionniste (telle que les programmes de rachats d’actifs financés par la création monétaire) peut aider à relancer l’économie en période de récession. […] Il est approprié d’augmenter l’offre de monnaie en réponse à une augmentation soudaine et inattendue de la demande de monnaie. »

C’est évidemment une vision ridiculement optimiste des capacités de la Fed, ce qui apparaît en contradiction avec d’autres affirmations faites par Salter, comme « le marché est le mécanisme le plus efficace pour créer de la richesse, mais à condition que les prix reflètent correctement le niveau relatif de rareté des différentes ressources » ou encore « manipuler la monnaie a pour conséquence de déstabiliser le processus de fixation des prix ».

Salter semble comprendre que manipuler la monnaie a pour conséquence de fausser les prix sur le marché. Pourtant, il affirme que la Fed pourrait « recalibrer le baromètre de l’économie », « relancer l’économie en période de récession » et même équilibrer l’offre et la demande de monnaie.

Mais comment la Fed pourrait-elle réussir à « orienter les agrégats monétaires dans la bonne direction », tout en évitant de « déstabiliser le processus de fixation des prix » ?

La Fed peut-elle vraiment « relancer l’économie en période de récession », alors que c’est durant ces périodes que les entrepreneurs doivent réajuster leurs projets et identifier les secteurs où ils ont surinvesti, tout en « recalibrant le baromètre de l’économie » ? La Fed peut-elle établir un équilibre monétaire tout en « manipulant la monnaie » ?

Les réponses à ces questions se trouvent dans une compréhension adéquate de la nature non neutre de la monnaie. Comme l’a expliqué Ludwig von Mises : « La première question que la catallactique doit poser au sujet des fluctuations de la quantité totale de monnaie en circulation dans le système économique concerne la façon dont ces fluctuations affectent les décisions des individus. » Les individus ont besoin de monnaie pour échanger entre eux en fonction des prix du marché. Les entrepreneurs planifient leur production et allouent les ressources en conséquence.

Le concept de niveau général des prix n’est qu’une illusion

En aucun cas la politique monétaire ne peut réussir à « recalibrer le baromètre de l’économie », puisque toute nouvelle monnaie créée est nécessairement mise en circulation à un point d’entrée précis du circuit économique.

Certains individus reçoivent donc en premier des revenus plus élevés, ce qui leur permet d’augmenter leurs dépenses, entraînant une hausse des prix des biens et services qu’ils achètent. Les producteurs et les distributeurs de ces biens et services bénéficient donc également d’un accroissement de leurs revenus qui ne se serait pas produit sans cette injection de nouvelle monnaie.

Par effet ricochet, la nouvelle monnaie se propage à partir de son point d’entrée dans le circuit économique, entraînant une hausse des revenus, un accroissement de la demande pour certains biens et des prix plus élevés dans son sillage.

En bout de chaîne, certains individus sont les derniers à voir leurs revenus augmenter, parfois de façon dérisoire, alors qu’ils doivent à présent payer des prix beaucoup plus élevés en raison de la demande accrue des consommateurs qui ont bénéficié avant eux d’un accroissement de leurs revenus. Il en résulte ce que Mises appelait une « révolution des prix », qui implique une altération permanente de la distribution des revenus et des richesses.

Il n’existe aucun baromètre économique pour mesurer objectivement un tel processus et il n’existe certainement pas de « niveau général des prix » qui augmenterait uniformément pour toute la population.

De la prospérité à la crise économique

La répartition inégale de la monnaie créée est largement à l’origine des cycles économiques. Lorsque de la nouvelle monnaie créée est mise en circulation dans l’économie par le biais du marché du crédit, cela déclenche un boom artificiel qui mène inévitablement à une douloureuse crise économique.

Mais pour bien comprendre pourquoi la Fed ne devrait pas chercher à « lutter contre les récessions » à l’aide d’une politique monétaire expansionniste, nous devons comprendre comment une telle politique pousse les entrepreneurs à commettre des erreurs pendant la phase de boom et pourquoi une crise est nécessaire pour les corriger.

L’accroissement de l’offre de crédit favorise l’investissement dans de grands projets à long terme, étant donné que le niveau artificiellement bas des taux d’intérêt donne l’illusion que tels projets seront rentables. Les facteurs de production sont par conséquent réalloués dans de nouveaux secteurs. Cette phase d’expansion économique se caractérise également par une surconsommation due à la baisse des taux d’intérêt et à l’augmentation des revenus nominaux.

Mais une fois que la raréfaction du capital se manifeste, généralement par une hausse des taux d’intérêt, les entrepreneurs doivent abandonner leurs projets, liquider leurs investissements et licencier des travailleurs. Les entrepreneurs sont alors obligés de réévaluer leurs plans et trouver de nouveaux projets rentables et davantage en adéquation avec le stock d’épargne réellement disponible.

Une récession n’est pas qu’une contraction inattendue des dépenses nominales, c’est une période de correction des erreurs commises précédemment. Une politique monétaire expansionniste visant à stimuler la consommation ne fait en réalité qu’entraver (ou même inverser) ce processus d’assainissement de l’économie et prépare le terrain à nouveau boom insoutenable.

L’équilibre monétaire

L’étude à l’échelle micro-microéconomique des conditions de l’équilibre monétaire invalide également la conclusion de Salter selon laquelle « il est approprié d’augmenter la masse monétaire en réponse à une augmentation soudaine et inattendue de la demande de monnaie ». En réalité, l’équilibre monétaire s’établit sur le marché par le biais du même processus graduel au cours duquel les agents économiques agissent et échangent en fonction de leurs préférences individuelles pour les biens et la monnaie.

Prenons l’exemple de cette transaction : Frank achète un livre à Joe pour 15 $, il estime que le livre vaut pour lui plus que 15 $ et Joe estime que les 15 $ sont pour lui plus importants que la possession de ce livre. Dans le cadre de cette transaction, le marché est « à l’équilibre » parce que la quantité de livres demandée par Frank est égale à la quantité de livres fournie par Joe.

Mais cette transaction assure également un équilibre du marché monétaire : la quantité de monnaie demandée par Joe est égale à la quantité de monnaie fournie par Frank. Tous les ouvrages conservés par Joe dans sa bibliothèque constituent sa demande de réserve de livres et l’argent conservé par Frank constitue sa demande de réserve de monnaie. Ce processus de marché ne peut en aucun cas être favorisé par des politiques monétaires basées sur des outils archaïques.

Conclusion

La seule institution monétaire capable d’atteindre simultanément l’ensemble des objectifs évoqués par Salter est une monnaie saine. Une monnaie marchandise sélectionnée par le marché permet de maximiser la croissance économique sans qu’il soit nécessaire de fixer un objectif d’inflation. Les marchés sont composés d’individus libres d’avoir leurs propres valeurs et objectifs, il n’y a pas de plan global ou d’objectif macroéconomique imposés. Imposer de tels choses par le haut ne ferait qu’entraver le bon fonctionnement du marché et la croissance économique.

Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.

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