La Chronique Agora

Le libéralisme français tire sa révérence

La France – n’en déplaise à certains – n’est pas un pays « libéral »… et elle le devient encore moins avec les suites de l’épidémie de coronavirus.

Il était conspué de toutes parts.

Accusé simultanément d’être responsable du manque de pouvoir d’achat des citoyens, de la dégradation des conditions environnementales, de l’accroissement des inégalités sociales et, plus récemment, de l’arrivée de l’épidémie de Covid-19, le voilà qui nous quitte.

Au printemps, le libéralisme économique a été silencieusement euthanasié à la faveur de l’épidémie de coronavirus. Tel un vieil oncle encombrant que l’on aiderait à mourir de façon prématurée « pour le bien de la famille », nos instances dirigeantes ont subrepticement terminé leur travail de sape de l’économie de marché.

Suivant la tendance inaugurée par le Japon dans les années 1990 puis adoptée par les Etats-Unis et l’Europe lors de la crise des subprime, le gouvernement français a, en ce printemps 2020, terminé de rendre notre économie totalement dépendante de la dépense publique.

Un coupable idéal déjà bien frêle

Accuser le libéralisme du piteux état de notre économie était pourtant lui donner beaucoup de crédit. Avant-même l’épidémie de Covid-19, il n’en menait pas large.

Selon le classement Doing Business de la Banque mondiale, la France se classait cette année au 32ème rang mondial des pays où il est le plus facile de faire des affaires.

Une 32ème place ne vous semble pas si mal ?

Sachez que se trouvaient, au-dessus de nous, la Thaïlande, le Kazakhstan, la Russie et, en 31ème position… la Chine. Nous étions, il est vrai, talonnés dans ce classement par deux pays au libéralisme connu pour être débridé : la Turquie (33ème) et l’Azerbaïdjan (34ème).

Passons rapidement sur d’autres critères de libéralisme économique comme la facilité à créer une entreprise (sur laquelle nous sommes au 37ème rang mondial), l’obtention d’un permis de construire (52ème), ou encore l’obtention d’un prêt (104ème, à égalité avec le Nicaragua).

Notre économie n’est pas libérale et, si vous aviez encore un doute, l’indicateur de la part de la dépense publique dans le PIB achèvera de vous convaincre. En 2019, les dépenses publiques représentaient 53,8% du PIB français.

A titre de comparaison, la valeur moyenne constatée en 2015 dans les pays de l’OCDE était d’à peine 40,9%. Nous sommes bien sûr en tête de ce classement, et seul le Koweït, dont la pétro-économie administrée est incomparable avec la nôtre, peut se targuer de prévoir un taux de dépense publique de 54,66% du PIB cette année.

Autant dire qu’en France, aucun acteur économique n’échappe à la machine infernale de la taxation/subvention étatique. C’est vrai pour les citoyens, c’est aussi vrai pour les entreprises.

En considérant qu’aucune économie, même totalement soviétisée, ne peut dépendre à 100% de la dépense publique (il restera toujours des zones d’ombres comme le troc, les services gratuits et le marché noir), la France avait déjà fait la majeure partie du chemin qui va du libéralisme au soviétisme.

Et tout ça, c’était avant le coronavirus.

L’enfer (économique) est pavé de bonnes intentions (sanitaires)

Vous savez à quel point notre économie a été abîmée par les mesures prises pour lutter contre le Covid-19. Selon les dernières estimations, la contraction du PIB devrait atteindre cette année les -11% (et encore ce consensus, qui n’était que de -8% début mai, est encore résolument optimiste).

Dans ces conditions, toutes choses égales par ailleurs, la dépense publique aurait dû mécaniquement monter à 63% du PIB. Oui mais voilà : l’Etat n’est pas resté les bras ballants. Il a mobilisé, selon les dires de Bruno Le Maire, «15 points de PIB supplémentaire » au cours des trois derniers mois qui viennent s’ajouter aux dépenses existantes.

En pratique, la dépense publique pourrait cette année frôler les 80% du PIB. Entre prêts garantis, subventions et autres aides directes à discrétion de l’exécutif, les accords conclus en toute autonomie par des agents économiques solvables sans obole étatique seront réduits à la portion congrue.

Voilà comment, cette année, l’économie française a perdu la dernière once de libéralisme qui lui restait pour sombrer dans le collectivisme. Les effets de cette mutation ne sont pas purement financiers : ils dépassent d’ores et déjà la sphère comptable et se font sentir dans l’économie réelle.

L’ingérence de l’Etat n’aura pas tardé

Nous avons eu dès le mois d’avril la preuve que l’argent gratuit de Bercy n’était pas un cadeau désintéressé. Très vite, les entreprises comme Renault et Air France qui ont accepté les aides d’urgence se sont vu imposer des contraintes fortes de gouvernance.

Pour le constructeur automobile, la préservation de l’emploi est devenue une priorité. Pour la compagnie aérienne, l’Etat a imposé un calendrier drastique de baisse des émissions de CO2 et l’interdiction de faire concurrence au TGV sur les trajets de moins de 2h30.

Pas question ici de juger de la pertinence de ces mesures éminemment politiques : nous nous contentons de prendre acte que ces « aides » étaient en fait une nationalisation masquée. L’Etat a, en injectant de l’argent frais dans ces entreprises, modifié leur stratégie et en a fait des bras armés de sa politique.

Plus gênant encore, en incitant fortement les entreprises du CAC 40 à suspendre ou annuler leurs dividendes pourtant versés au titre de l’exercice 2019, Bercy s’est auto-proclamée gestionnaire des grands groupes – y compris de ceux qui n’avaient pas bénéficié de subventions directes.

De même, l’épisode calamiteux de gestion de la pénurie de masques vient de connaître un nouveau rebondissement. Dès la fin du mois de mars, je vous prédisais dans ces colonnes que les réquisitions de masques et l’administrations des prix conduiraient à des pénuries, ce qui s’est vérifié.

N’y voyez-là aucune clairvoyance particulière ou information d’insider : les manuels d’Histoire suffisent à nous apprendre qu’une économie planifiée est synonyme d’alternance de pénuries et de gaspillage.

Une fois de plus, la petite musique se répète. Des dizaines d’entreprises françaises, incitées à fabriquer en quantité des masques réutilisables, font face à une surproduction et des stocks impossibles à écouler. La raison est simple : la fabrication et l’importation de masques chirurgicaux n’étant plus interdites, le marché libre a rempli sa mission et trouver un masque est aujourd’hui plus aisé et moins cher qu’avant le coronavirus.

Bilan des courses : 10% des producteurs seraient aujourd’hui dans l’incapacité d’écouler leurs stocks et de rentabiliser leurs investissements, et plus de 40 millions de masques en tissu ne trouveraient pas preneurs.

Cela pourrait être une belle leçon de libéralisme. Ces entreprises qui ne parviennent pas à produire de façon compétitive des biens finalement peu demandés devraient cesser leur production ou faire faillite. Ce n’est, vous vous en doutez, pas le chemin que nous prenons. Le gouvernement réfléchit, à l’heure de l’écriture de ces lignes, à une manière d’inciter les acheteurs à délaisser les masques chirurgicaux jetables chinois faciles d’utilisation, peu chers, et devenus abondants pour des produits made in France dont personne ne veut.

Après les réquisitions et les subventions, voici venu le temps des « bons et mauvais achats » décrétés par l’Etat. Ainsi disparaît ce qu’il restait de liberté économique dans notre pays.

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