▪ Au lendemain d’une hausse qui s’est inscrite comme la seconde plus forte en une seule séance des 20 dernières années, une consolidation technique était prévisible, sinon attendue. Mais les écarts n’ont jamais dépassé les -3% en moyenne à travers l’Europe, Paris cédant au pire -2,5% et Madrid -5,5%… après une envolée de 14% la veille.
L’élément qui a troublé les marchés asiatiques très tôt mardi matin puis sur le Vieux Continent dès leur réouverture, c’est la friabilité de l’euro. Il s’est enfoncé rapidement sous les 1,27 $ (jusque sur 1,267 $) tandis que l’or grimpait symétriquement de 2% à 1 224,5 $/once, son nouveau record historique absolu — toutes devises confondues.
C’est la preuve que des investisseurs, que nous pouvons supposer avisés, cherchent plus que jamais une valeur refuge contre la volatilité des monnaies. Le pétrole n’est d’ailleurs plus le vecteur privilégié comme fin avril puisqu’il subit la concurrence d’un dollar en hausse de 2% en 48 heures.
Ces acheteurs n’ont pas retourné leur veste lundi. La correction sur le métal précieux fut des plus bénignes (-2,5% au plus fort des prises de bénéfices) : il fallait avoir les reins solides car dans le même temps, de lourds dégagements affectaient le yen, marquant la réinitialisation de positions en carry trade au profit du dollar.
Les amateurs d’or qui « bricolent » avec l’équivalent de quelques pièces d’une once ou d’une poignée de lingots se sont délestés par milliers dès les premiers échanges lundi. Les « mains fortes » n’ont cependant pas tremblé : l’or refranchissait les 1 200 $ dès le milieu de la journée.
▪ Ce phénomène a été peu commenté. Le battage médiatique de dimanche se focalisait sur la création d’un SPV (« special purpose vehicle« ) destiné à refinancer les pays de la Zone euro qui en auraient besoin.
Bruxelles vient de mettre au point un hybride de fonds TARP alimenté par les contributions de l’ensemble des pays européens (à concurrence de leur capacité de financement respective… reste à déterminer avec quels actifs en garantie) tandis que la BCE serait autorisée exceptionnellement à racheter des dettes d’Etat (grecques dans l’immédiat) sans que cette mesure ne contrevienne formellement aux dispositions du Traité de Lisbonne.
Mais créer une méga-cagnotte (avec quel argent… les pays contributeurs sont déjà exsangues !) ne résout aucun des vrais problèmes structurels. C’est un simple expédient — mais cette réalité est occultée par un puissant effet d’annonce. Son but est de permettre d’éviter une « catastrophe immédiate » (c’est Christine Lagarde qui l’affirme) et entraîne une « surréaction » des marchés (toujours d’après notre ministre de l’Economie).
L’injection massive de liquidités dans le système bancaire (qui présentait tous les symptômes d’un collapsus identique à celui observé au coeur de l’été 2008) a permis de gagner un peu de temps en court-circuitant la spéculation… Cette dernière semble toutefois avoir très vite retrouvé une motivation baissière contre l’euro avec l’annonce de l’agence de notation Moody’s : cette dernière a fait savoir que les accords du week-end ne modifiaient pas son intention d’abaisser d’un ou deux crans la note des dettes souveraines de la Grèce (qui réclamait ce mardi 20 milliards d’euros d’urgence au FMI), de l’Espagne et du Portugal.
Des centaines de milliards d’euros immédiatement mobilisables ne changent rien au fait qu’il faudra les rembourser plus tard… Et si c’est au prix d’une sévère cure d’austérité, les bourgeons de croissance européenne — dont la lente repousse a été obtenue à grand coup de « plans de relance » et de soutien massif aux banques — pourraient ne pas survivre à un nouveau coup de gel sur les salaires puis les dépenses sociales des Etats.
Et l’Allemagne serait tout aussi durement affectée par un ralentissement économique européen si la récession sévit à ses frontières, c’est-à-dire chez ses principaux partenaires.
▪ Pour l’heure, Francfort — qui était resté dans le wagon de queue du TGV de la hausse lundi –, a nettement surperformé les autres places ce mardi, avec un gain de 0,33%. Cela peut paraître modeste, mais le rouge dominait partout ailleurs : -0,75% à Paris, -0,5% à Amsterdam et Milan et -3,3% à Madrid.
Après une première moitié de séance marquée par des prises de bénéfices parfois appuyées (sur les financières) dans le sillage de l’euro, les places européennes se sont nettement raffermies en fin de journée
Tout d’abord parce que quelques rachats à bon compte se sont dessinés alors que le CAC 40 reculait de près de 2,5% (testant 3 625 points à plusieurs reprises entre 13h et 14h55). Ensuite sur la rumeur d’un échec des pourparlers entre les travaillistes et libéraux démocrates en Angleterre.
Pour les bookmakers, ceci ouvrait la voie à une coalition dominée par les conservateurs, mais impliquant les libéraux-démocrates. La City se félicitait ouvertement d’une continuité dans la politique libérale menée depuis 13 ans… même si elle a mené à la catastrophe en 2008.
▪ Les pertes de la Bourse de Londres se sont réduites de 50% en quelques minutes peu après 15h. Cela entraîna un rebond mécanique des autres places par le jeu de la revalorisation des contrats sur indices tels que le DJ-Stoxx 50 ou l’Eurotop 100 — lequel ne perdait que 0,15% au final. L’ouverture en repli modéré de Wall Street n’a pas manqué de motiver encore un peu plus les acheteurs de ce côté-ci de l’Atlantique.
Les bookmakers avaient vu juste puisque David Cameron a été officiellement nommé Premier ministre par la reine d’Angleterre vers 22h. Il ne reste plus qu’à observer avec intérêt la réaction de la City lors de la présentation du programme gouvernemental négocié mardi après-midi avec Nick Clegg, le chef de file des « lib-dems ».
A Wall Street, il s’est déroulé — une fois n’est pas coutume — un scénario de séance constituant l’exact symétrique de celui observé en Europe. Les indices américains avaient amorcé leur rebond dès l’ouverture, entamant une hausse graduelle mais régulière, jusqu’à ce que le Nasdaq affiche +1,2% à l’heure du café. La vapeur s’est alors inversée, Wall Street amorçant une rapide rechute dans le rouge, le Dow Jones et le S&P 500 reculant au final de 0,34% respectivement.
Les investisseurs ont apparemment calqué au plus près leurs achats et leurs ventes sur l’évolution de l’euro : la monnaie unique parvenait à se redresser jusque vers 1,2750 $… avant de rechuter de 1% pour tester ses plus bas du jour, c’est-à-dire les 1,2660 $ : difficile de s’accrocher à l’illusion que la mise en place d’un « TARP à l’européenne » aurait dissuadé la spéculation…