La Chronique Agora

L’euro est déstabilisé par les rumeurs sur la dette italienne

▪ Nous soupçonnions fortement le caractère manipulatoire du rebond quasi miraculeux des places boursières début juillet. En effet, les indices ont récupéré en sept séances les pertes des sept semaines précédentes.

Nous sommes cependant abasourdi par l’effacement en 48 heures des gains accumulés entre le 27 juin (3 796 points en clôture sur le CAC 40) et le 7 juillet (le CAC 40 culminant à 4 020 points en début de matinée). L’enfoncement des 3 880 (moyenne mobile à 20 jours) a fait office de détonateur pour les programmes de trading robotisés, les ventes s’accélérant après la cassure d’un second palier technique situé vers 3 845 points vers 13h30.

Les indices de la Zone euro enregistrent leur pire séance depuis le 11 août 2010 (-2,9% en moyenne). Les écarts ont des relents de capitulation puisque Madrid perdait plus de 2,6% et Milan 4%. Le CAC 40 chute de 2,7% dans le sillage des valeurs financières qui plongeaient de 6% en moyenne.

L’autre élément marquant demeure la spectaculaire surperformance de Wall Street par rapport à la Zone euro depuis vendredi. En effet, l’Euro-Stoxx 50 chute de 4,8% en 48 heures tandis que le S&P500 cède 2,3%… comme si la débâcle des marchés obligataires des pays du sud de l’Europe ne présentait pas le même caractère systémique que les subprime au début de l’été 2008.

▪ Le gérant vedette du fonds PIMCO (le premier fonds obligataire américain), Mohamed El-Erian, a jeté de l’huile sur le feu lundi matin en affirmant que l’Italie nécessitait une vigilance particulière du fait de la dérive des ses déficits. Tout le monde comprend que les bons du Trésor italien pourraient faire l’objet d’une vague de dégagement agressive de la part des principaux fonds de retraite américains. L’Italie affiche une dette de 1 460 milliards d’euros, d’une ampleur comparable à celle de la France.

Les spéculateurs n’attendaient qu’un bon prétexte pour mener une nouvelle attaque visant à déstabiliser l’euro au profit du dollar. L’euro chutait de 1,8% vers les 1,4020 $. La franche cassure des 1,4230 $ envoie un signal technique très négatif aux marchés.

Contrairement au printemps 2010, peu d’opérateurs se risquent à prédire un éclatement imminent de la Zone euro. Il ne s’agirait que d’une crise de confiance de plus qui n’attend que d’être circonscrite. Angela Merkel s’est empressée de prier Silvio Berlusconi de mettre en oeuvre des mesures susceptibles de rassurer les créanciers et les agences de notation.

Mais les marchés sont également tétanisés depuis jeudi dernier par des rumeurs de défaut partiel de la Grèce. Les créanciers privés espèrent repousser un accord sur leur participation volontaire au sauvetage début septembre et de plan de sauvetage bis pour le Portugal.

Le rendement des taux à 10 ans s’envole au-delà des 17,2% en Grèce, vers 13,3% au Portugal. Il a franchi le cap des 6% en Italie ; ce sont autant de records depuis la création de la Zone euro.

L’aversion au risque se traduit par une chute du rendement des bunds allemands vers 2,695% alors que les OAT françaises (obligations assimilables au Trésor) affichaient 3,36% lundi soir. L’écart se creuse sensiblement, comme si la dette tricolore dérivait inexorablement vers un profil méditerranéen au lieu de rester arrimée aux pays du nord de l’Europe.

Le vrai problème, c’est que les banques françaises sont très exposées sur la Grèce mais plus encore sur l’Espagne et l’Italie. Le souci grec demeure gérable moyennant quelques milliards d’euros de provision. Une marge de sécurité de 50% sur la valeur des créances émises par Athènes est l’hypothèse de travail jugée la plus raisonnable. Ce ne serait pas le cas pour celles émises par Rome ou Madrid, avec un spectaculaire changement d’échelle de 1 à 5.

▪ Pour ne rien arranger, les pourparlers concernant le rééquilibrage des finances américaines progressent si lentement que le scénario habituel du compromis de dernière minute (qui ne résout aucun des problèmes sur le fond) semble de plus en plus probable.

Barack Obama fait le forcing auprès des chefs de parti des démocrates et républicains mais ces derniers s’accrochent à l’idéologie totalement fallacieuse du zéro impôt pour les riches qui créent des emplois… à peu près partout, sauf en Amérique !

Les démocrates savent en revanche qu’ils devront voter, la mort dans l’âme, des réductions des dépenses de santé. Il s’agit de l’autre cheval de bataille du camp adverse depuis le vote de la refonte Medicare au profit des plus pauvres et des retraités.

Quant aux coupes budgétaires (dépenses d’équipement, dotation des collectivités locales), tout le monde sait qu’elles se solderont par des dizaines de milliers de fonctionnaires au chômage. Il y a fort à parier que pas un ne sera embauché par un riche, sauf pour tondre la pelouse, déposer les enfants devant des écoles hors de prix (les autres n’ont plus de budget pour payer les professeurs) ou promener les chiens.

A croire que le projet économique républicain — lorsqu’il tente de séduire les électeurs du Tea Party — s’inspire de l’Inde des maharajas d’avant la colonisation britannique.

Quand l’aveuglement et la lâcheté politique le disputent à une idéologie datant d’avant les grandes révolutions sociales du début du XXe siècle, c’est à se demander si les Etats-Unis ne cherchent pas à effrayer leurs créanciers chinois. Ils laissent filer les déficits tout en mettant en place toutes les conditions pour que la société civile plonge dans un chaos comparable aux années noires de l’avant-Deuxième Guerre mondiale.

Le porte-parole du parti républicain, John Boehner, réaffirmait par ailleurs lundi soir qu’un relèvement des taxes et impôts visant les classes privilégiées ne faisait même pas partie des discussions. Autrement dit, les positions sont littéralement figées puisque la seule alternative proposée à la Maison Blanche, c’est de tailler dans les dépenses.

Le Great Old Party ne lâchera rien. Le calcul qui semble découler de cette attitude, c’est qu’il tirera un plus grand bénéfice de n’importe quelle forme de clash économique et social que les partisans du président.

De toute façon, l’Amérique va droit dans le mur de la dette : à quoi servirait-il de confisquer sur le tard l’argent des riches et des ultra-riches ? Ils auront besoin de jouir de l’intégralité de leurs moyens lorsque le pays sera par terre, c’est-à-dire dans probablement pas longtemps.

▪ Dans une telle ambiance, les bonnes nouvelles sont passées totalement inaperçues. C’est le cas de la production de l’industrie manufacturière française qui a rebondi de 1,5% en volume en mai par rapport à avril 2011, après avoir été quasi stable en avril (+0,1%).

Les stratèges s’empressent d’invoquer le simple retour à la normale après les perturbations causées par le séisme japonais du 11 mars dans le secteur automobile ou électronique.

Quand les sherpas de la Bourse commencent à trouver de bonnes raisons pour démontrer que les actualités positives sont sans intérêt stratégique ou sont « déjà dans les cours », c’est que les marchés s’apprêtent à affronter des temps difficiles.

Le mur des dettes souveraines pourrait finir par susciter un concert de lamentations.

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