La Chronique Agora

Les seniors sont-ils tous des égoïstes ?

Ratio or/argent : et si l’inconcevable devenait réalité ?

Bonjour,

 

▪ Voici une lettre publiée samedi dernier dans le Financial Times :

« Je suis récemment revenu d’une croisière autour du monde. Bon nombre des passagers seniors étaient en train de faire un voyage qui coûtait, pour un couple, entre 75 000 $ et 140 000 $, et j’en ai rencontré plusieurs qui en étaient à leur troisième ou quatrième croisière de ce genre. Cela à une époque où leurs petits-enfants ou arrière-petits-enfants luttaient peut-être pour payer leurs études… ou plus tard pour trouver un dépôt pour une maison »…

« Il est temps que les seniors se lèvent pour soutenir la jeune génération ».

Aux Etats-Unis, chaque génération est censée se débrouiller seule. En principe, en tout cas. Les personnes âgées pensent donc qu’elles ont tout à fait le droit de dépenser elles-mêmes tout leur argent, ne laissant pas grand-chose à hériter à leurs enfants. Les seniors ne se considèrent pas comme égoïstes. Nombre d’entre eux pensent même rendre service à la génération suivante — la protégeant de la paresse et de la dépendance.

Ils se promènent avec des t-shirts disant « je dépense l’héritage de mes enfants ». Au lieu de prendre soin de leurs petits-enfants ou d’aider leur descendance avec l’entreprise familiale, ils prennent leur retraite au soleil, et organisent leur vie financière de manière à ce que leur argent ne dure pas une minute de plus qu’eux. Ils vieillissent — et exigent des places de parking réservées. Ils passent leur temps à jouer au golf, à regarder la télévision ou à faire pression sur leur député pour obtenir encore plus d’avantages.

Les vieux n’ont pas seulement abandonné les jeunes à leur destin — ils les ont poignardés dans le dos. C’est déjà assez épouvantable qu’ils utilisent tout leur propre argent, mais ils ne s’arrêtent pas là. Ils dépensent aussi l’argent des autres. Puis ils dépensent de l’argent qui n’a même pas encore été gagné.

Quelle chance a la prochaine génération ! Si le manque d’argent engendre l’indépendance et la solidité, les jeunes Américains doivent être la génération la plus solide de l’histoire. Non seulement ils doivent financer leur propre chemin dans le monde, mais ils doivent endosser un fardeau qui briserait Atlas lui-même. Leurs parents et grands-parents leur lèguent une dette publique et des obligations non-provisionnées de plus de 200 000 milliards de dollars, selon l’estimation du professeur Laurence Kotlikoff.

Cela semble plutôt injuste.

▪ En ce qui nous concerne, nous ne croyons pas au fait de changer le cours de l’histoire. Nous ne cherchons pas à améliorer le monde. Mais nous faisons tout notre possible pour améliorer notre propre vie.

Il y a deux ans, nous avons commencé à réfléchir sérieusement à ce que nous voulions faire de notre propre argent. Quel était le plan ? Le dépenser ? L’épargner ? L’oublier… et espérer que tout irait bien ?

Et quel était le plan pour nos enfants ? Que deviendraient-ils si quelque chose arrivait à votre correspondant ? Réussiraient-ils à « s’en sortir » seuls ? Et si quelque chose tournait mal ? Devraient-ils dépendre de la charité de l’Etat… ou de la planification de leur père ?

C’est à peu près à cette époque que nous avons découvert le concept de « Bureau familial ». Les pauvres ont des allocations et des coupons alimentaires. La classe moyenne a la Sécurité sociale et les allocations retraites. Les riches ont des bureaux familiaux.

Nous ne parlons pas des gens qui gagnent au loto ou signent des contrats mirobolants pour jouer au foot. Nous parlons de ceux qui gagnent leur argent à l’ancienne et essaient de le conserver dans leur famille, souvent sur plusieurs générations. Ils traitent leur argent différemment. Ils le voient comme un héritage à transmettre, non à utiliser.

Ce n’est pas parce que les gens sont riches qu’ils sont bêtes. Le « vieil argent » a ses secrets… ses ruses… mais aussi sa sagesse.

Non que nous sachions ce qu’elle est. Nous n’avions pas de vieil argent dans notre famille. Nous avons hérité de quelques meubles râpés de notre mère… qui les avait hérités de son père. C’est tout. Notre argent est si neuf que l’encre n’est même pas sèche. Mais devrions-nous tout dépenser nous-même ? Devrions-nous prendre notre retraite au soleil, nous aussi… et souhaiter bonne chance à nos descendants ?

Non. Nous avons décidé de partager… de nous préparer… de travailler ensemble… d’impliquer toute la famille dans notre vie financière — avec des fonds, un comité d’investissement, une constitution familiale, des objectifs budgétaires et tout ce que les règles de notre bureau familial recommandent. Nous avons décidé de charger les enfants des fruits de notre propre existence. Les enfants sont censés participer à nos grandes décisions financières, aider à gérer la propriété familiale et prendre part à l’activité de l’entreprise familiale. Ils doivent contribuer à préserver et améliorer la richesse familiale — telle qu’elle est.

Mais ne vous y trompez pas. Nous ne prenons pas le large. Nous n’avons jamais aimé le large ; ça nous donne le mal de mer. Passer notre temps à jouer au golf ? Pêcher ? Faire le tour du monde en bateau ? Voilà qui ne nous semble guère attrayant. Et nous n’avons aucun intérêt pour les voitures de luxe et les vêtements dernier cri. Nous conduisons une camionnette Ford et portons ce qu’on nous offre pour Noël.

Non, nous avons pris un chemin différent. Il nous semble plus intéressant, excitant et stimulant. Et il y a moins de circulation.

« Je sais ce que tu essaies de faire », nous a astucieusement dit notre fils Jules, âgé de 23 ans. « Tu ne fais que nous attirer dans tes problèmes… pour nous les mettre sur le dos. Je n’ai pas le temps pour ça… j’ai ma propre vie à mener ».

Hmm… Visiblement, nous n’avons pas tout à fait atteint notre but. Mais nous venons de nous lancer. Revenez dans 20 ans : nous vous dirons alors comment nous nous en sommes sorti…

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Qui commence à compter commence à se tromper

Chris Mayer

 

Un jour, le célèbre investisseur Peter Lynch fit cette remarque : « si vous consacrez plus de 13 minutes à analyser les prévisions économiques et boursières, vous avez perdu 10 minutes ». L’économiste Oskar Morgenstern (1902-1977) ne l’aurait pas désapprouvé.

Dernièrement, alors que je prenais mon petit-déjeuner, je me suis mis à penser à Morgenstern en parcourant les titres financiers de mon journal. C’était un « homme de chiffres » qui en comprenait les limites.

Dans les articles des journaux, on trouve un certain nombre de « faits ». Je vous propose de les étudier et de voir si vous pouvez dire quelle est l’erreur commune à tous :

« L’inflation annuelle en Chine est d’environ 5% »…

« Le mois dernier [en Europe], l’inflation a, contre toute attente, grimpé de 1,9% à 2,2% dans la Zone euro, dépassant pour la première fois en plus de deux ans l’objectif de la BCE d’une inflation légèrement inférieure à 2%. Pour certains économistes elle atteindra environ 2,5% au cours des deux prochains mois ».

« L’inflation [à l’exclusion de la nourriture et de l’énergie] était toujours faible, à 1,1% en décembre ».

« Au Royaume-Uni, l’inflation approche les 4% »…

« A titre officieux, la Fed a révélé que son objectif est une inflation d’environ 2% ».

« Les prévisions convergent autour de 1,75% et 2% ».

La liste est loin d’être complète mais cet échantillon est suffisant pour prouver mes dires. L’erreur sous-jacente ici revient essentiellement à l’idée que les responsables gouvernementaux peuvent calculer un vrai taux d’inflation au dixième de pour-cent près. Et ce n’est pas tout ! Les responsables gouvernementaux peuvent également viser une inflation à la hausse comme à la baisse avec une tolérance à l’erreur d’un dixième de pour-cent.

▪ C’est ici qu’Oskar Morgenstern entre en scène. Morgenstern était un économiste d’origine allemande installé à Vienne. Lorsqu’Adolf Hitler envahit l’Autriche, il se trouvait aux Etats-Unis. Il décida alors de s’y installer. Ce fut une bonne idée. Aujourd’hui, Morgenstern est principalement connu pour avoir fondé avec John von Neumann la théorie des jeux.

J’ai pensé à lui à cause de son célèbre essai intitulé « Qui Numerare Incipit Errare Incipit » (« celui qui commence à compter commence à se tromper »). Certes, il n’a pas été le seul à avoir pris à parti les économistes pour leur abus des statistiques, mais son analyse sérieuse est ancrée dans ma tête.

Grosso modo, Morgenstern explique que nous devrions être plus conscients des erreurs que véhiculent de tels chiffres. Il a critiqué la façon dont les chiffres sont rapportés et utilisés : on leur prête une exactitude qui n’existe pas.

Voici ce qu’il écrit dans son essai et qui nous donne une petite liste de péchés : « les changements dans le pouvoir d’achat total des consommateurs inférieurs au milliard (c’est-à-dire pour une variation de moins de 0,5%) sont rapportés et pris au sérieux. Les indices de prix pour les prix de gros et de détail sont présentés avec deux décimales, même s’il y a eu tellement d’étapes de calcul que rien que les erreurs d’arrondis peuvent empêcher un tel degré de précision. Les chiffres du chômage de plusieurs millions sont donnés à moins d’un millier près (c’est-à-dire, avec une ‘précision’ d’un centième de un pour-cent), alors même que l’incertitude porte certainement sur 100 000, voire un million peut-être dans certains cas ».

Toutefois, malgré les erreurs énormes de tels chiffres, les gens les traitent avec le plus grand sérieux. Les hausses de salaires, dans certains cas, sont basées sur des changements des indices de prix. Les gens planifient et prennent d’importantes décisions en se basant sur des données aussi peu fiables.

« L’économie n’est pas vraiment une science », écrit Morgenstern, « comme l’utilisation libre de chiffres soi-disant précis semblerait l’indiquer ». Il laisse entendre que de tels chiffres correspondent aux taux d’erreur estimés. Par exemple, l’inflation pourrait être de 2%, plus ou moins 2%.

Interpréter ainsi les chiffres rendrait l’énoncé suivant entièrement creux et dépourvu de signification, ce qu’il est effectivement pour l’essentiel : « l’inflation a contre toute attente grimpé de 1,9% à 2,2% dans la Zone euro ». Et vous vous moqueriez devant un énoncé tel que « les prévisions se situent dans un intervalle entre 1,75% et 2% ».

En tant qu’investisseur, vous devez étudier l’ensemble des chiffres économiques avec doute et scepticisme. Ils ne sont pas précis. Ils ne peuvent jamais l’être.

Bien pire est l’idée que nous devrions cibler un certain taux d’inflation. L’idée qu’on puisse croire qu’un « objectif d’inflation » est tout sauf ridicule me met hors de moi. Nous ne pouvons même pas la mesurer et la Réserve fédérale pense qu’elle pourra la contrôler ! Non seulement la contrôler mais la guider avec précision à 2% !

En tant qu’investisseur, je pense que c’est une grande erreur de s’attarder à réfléchir aux chiffres sur le chômage, le PIB, les indices de prix, et tout ce fatras qui est rapporté et commenté par presque tout le monde. Tout cela est une imposture. Selon moi, vous pourriez être un excellent investisseur sans jamais analyser un indice de prix à la consommation dans votre vie. En fait, cela pourrait plutôt vous nuire, en vous donnant peur d’investir lorsque la situation économique semble inquiétante… ou en vous rendant réticent à vendre parce qu’elle semble très brillante.

On pourrait rapporter que l’inflation officielle aux Etats-Unis est de 2%, mais elle pourrait être quatre fois supérieure. En termes d’orientation, cela suffit pour savoir que les prix augmentent. Vous n’avez pas besoin de l’indice des prix à la consommation pour comprendre que les dollars dans votre poche ont moins de valeur, tout comme vous n’avez pas besoin d’un thermomètre pour comprendre qu’il fait glacial dehors.

Lorsque l’inflation augmentera vraiment, les économistes seront les derniers à le savoir.

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Les bulls vont-ils mordre la poussière ?

Philippe Béchade

 

Si tel était le cas, il pourrait ne s’agir que des tous récents convertis au principe du mouvement perpétuel des indices boursiers à la hausse. Ceux qui arrachent les cours depuis six mois sont peut-être d’ores et déjà aux abris, en train de se glisser dans une peau de bear (« ours », baissier) en prévision d’un décrochage de Wall Street qui apparaît de plus en plus imminent.

Nous sommes bien convaincu que ceux qui font l’opinion et martèlent depuis deux ans que les actions sont la seule alternative à des rendements monétaires négatifs (compte tenu de l’inflation, cela n’a jamais été aussi vrai) ne sont pas fondamentalement haussiers sur les marchés.

Tout d’abord parce qu’ils savent pertinemment que le système financier qui a implosé en 2008 ne tient debout que grâce aux grosses ficelles tirées par la Fed — mais l’image du zombie avançant inexorablement de façon somnambulique fait aussi bien l’affaire. Ils savent aussi que toutes les règles du jeu sont subverties par les mesures « non conventionnelles ».

En réalité, il n’y a plus de règles, si ce n’est que Wall Street s’est arrangé pour capter un tiers de la richesse additionnelle produite par l’économie américaine l’an dernier. Cela sachant que la hausse de 3% du PIB (nous arrondissons volontairement à l’unité supérieure) résulte d’une hausse de 24% des dépenses de l’Etat, d’une injection massive de fausse monnaie et d’une désinformation permanente concernant l’évolution de la conjoncture et de l’inflation aux Etats-Unis.

Le gouvernement et Wall Street poursuivent conjointement — parce que leurs intérêts sont indissolublement liés depuis trois décennies (et l’avènement des reaganomics) — un but : faire mentir l’adage selon lequel on peut tromper un petit nombre de personnes durant très longtemps, ou un grand nombre de personnes durant une courte période, mais jamais les deux à la fois.

▪ La crise des subprime nous a enseigné que le story telling (la diffusion de mensonges officiels proférés par les élites puis martelés par des médias complaisants ou complices) peut endormir la méfiance de centaines, voire de milliards d’individus.

Quand la supercherie a été éventée, le G20 s’est empressé, juste après la catastrophe, d’affirmer que l’ère de la finance-casino, de l’irresponsabilité illimitée des acteurs économiques et des armes financières de destruction massive était révolue.

La suite des événements a prouvé que la finance dévoyée — l’exemple vient du plus haut niveau, puisque c’est la Fed elle-même qui a remis Wall Street en selle — a repris le dessus. Les mensonges au sujet de l’inflation, de la santé du système bancaire et de la capacité des Etats à faire face à un surendettement massif prospèrent plus ouvertement que jamais.

Notre erreur a été de croire que les leçons seraient tirées de la crise LTCM de 1998, de l’effondrement des dot.com et de la désintégration des dérivés de crédit. Nous pensions que les autorités politiques et économiques planétaires s’empresseraient de mettre en garde, voire de neutraliser les champions de l’usine à bulles qui ont fait doubler le S&P et tripler le pétrole en l’espace de deux ans.

Il était encore temps de le faire début décembre, juste avant que la Fed ne se mette à imprimer pour de bon des centaines de milliards de dollars. Ces derniers ont été aussitôt confisqués par des brasseurs d’argent sans scrupules (ils s’empressent de convertir la fausse mornifle en positions spéculatives sur les marchés de matières premières et de denrées agricoles) qui sont également, pour les plus influents d’entre eux, ses principaux actionnaires.

Mais le chantage à l’emploi et l’agitation du spectre du défaut de paiement en cas de non monétisation de la dette américaine ont fait taire les objections.

▪ Trois mois plus tard, les taux longs se sont malgré tout tendus. Le baril de pétrole s’est envolé. Le coût des denrées alimentaires a provoqué une série d’émeutes et de révolutions qui n’ont pas fini de déstabiliser nombre de pays producteurs d’un précieux pétrole qui se raréfie.

La Fed a choisi la fuite en avant. Certains de ses membres n’étaient pas d’accord : ils ont soit démissionné de leur propre initiative pour motifs personnels, soit été poussés vers la sortie par le biais de nouvelles fonctions prestigieuses et grassement rémunérées.

Ben Bernanke se retrouve désormais presque seul aux commandes du Titanic, entouré de sa garde rapprochée. Les dissidents sont priés de garder leurs états d’âme pour eux-mêmes, à moins qu’ils n’aient l’intention de semer la panique parmi les passagers.

▪ Le voici confronté ce jeudi à l’ouverture d’une nouvelle voie d’eau sous la ligne de flottaison avec la cassure potentielle de plusieurs supports majeurs sur les indices américains.
Nous avons bien observé que quelques « grosses mains » bienveillantes tentaient sans grand succès de contenir la vague de dégagements qui a déferlé dès l’ouverture du marché. Nous avons toutefois assisté à la pire entame de séance de l’année 2011 avec l’ouverture de gaps sur les trois principaux indices américains, un fait rarissime.

Le Nasdaq avait chuté de 2% en moins d’une demi-heure, le S&P avait plongé sous le support majeur des 1 300 points (avec un record de 95% de ses composantes en repli), et le Dow Jones lâchait plus de 200 points, avec 29 titres en baisse sur 30. Après une laborieuse remontée de 0,5% sur les planchers initiaux, la proue du Titanic s’est de nouveau enfoncée sous les flots d’ordres de vente à la mi-séance.

Grâce au timide rebond des indices américains, les places européennes se sont épargné une correction de forte ampleur (l’Euro-Stoxx 50 a chuté jusqu’à -1,5% en fin d’après-midi, pour enregistrer seulement -0,85% au final). Cependant, les indices ne sont pas parvenus à sauver des supports essentiels comme les 2 920 pour l’E-Stoxx 50 ou les 3 980 points pour le CAC 40.

Paris reculait de 0,75% dans des volumes relativement modestes (3,5 milliards d’euros). Ils sont loin de traduire une véritable pression à la baisse et une vague de liquidation d’actifs boursiers.

▪ Les investisseurs avaient pourtant de sérieux motifs de gagner au plus vite les issues de secours avec une succession de mauvaises statistiques. Les inscriptions hebdomadaires au chômage ont ainsi augmenté plus que prévu aux Etats-Unis, lors de la semaine du 5 mars, ressortant à 397 000 (+26 000 au lieu d’un score de 380 000 attendu).

Le déficit commercial américain a explosé de 15% sous l’impact de la facture pétrolière en janvier, passant de 40,3 à 46,3 milliards de dollars.

Les motifs d’inquiétude pleuvent également de ce côté de l’Atlantique : Moody’s a encore fait monter la pression après la sévère dégradation de la note de la Grèce lundi dernier en abaissant d’un cran la note de la dette souveraine espagnole — de « Aa1 » à « Aa2 » –, assortie d’une perspective négative.

L’agence de notation met en avant le coût éventuel de restructuration des banques espagnoles, notamment les caisses d’épargne. Elle fait également part de ses inquiétudes sur la capacité de l’Etat à mettre en oeuvre une politique soutenable et structurelle d’amélioration de ses finances publiques.

Pour ne rien arranger, un communiqué provenant de Bruxelles confirme que les gouvernements européens ne trouveront pas d’accord ce week-end sur le renforcement des moyens d’action du FESF. Cela ne fait qu’aviver les craintes de défaut de paiement des PIIGS.

La Grèce semble foncer droit dans le mur avec des taux à 10 ans qui franchissent le cap des 12,7%. L’Irlande doit payer 9,6%, le Portugal offre du 7,6% et l’Espagne, qui est sous les feux de l’actualité, affiche des rendements de 5,5% sur sa dette 2020.

L’euro ne s’en sort pas indemne : il a perdu 0,7% à 1,3810 $. Le soufflé retombe également sur l’or, qui rechute de 1,8% sur le palier des 1 400 $.

▪ La situation au Moyen-Orient, et tout particulièrement en Libye, reste critique — et elle risque même de diviser encore plus les pays européens. La production de pétrole libyen est toujours perturbée, maintenant les cours du brut à des niveaux élevés, même si un net repli est en cours (-2,5% à 101,5 $ sur le baril de WTI américain)… parce que beaucoup d’opérateurs sont en train de solder des positions spéculatives.

Les regards seront braqués aujourd’hui sur l’Arabie Saoudite avec une « journée de la colère » programmée par les opposants au gouvernement en place. Tout incident lors des manifestations serait très négativement ressenti par les marchés… mais des rumeurs de troubles dans des pays comme l’Iran ou le Nigeria pourraient avoir des effets similaires.

Wall Street semble prendre conscience que tout l’argent de la Fed ne pourrait empêcher un basculement de la tendance boursière. Il n’y a pas eu de miracle de dernière minute, comme cela a souvent été le cas au cours des six derniers mois.

Les trois principaux indices subissent une lourde de correction de 1,85% en moyenne… au plus bas du jour. Tous les gains du mois de février se sont évaporés ; nous retiendrons surtout la cassure simultanée de trois supports majeurs : 1 300 sur le S&P, 12 000 sur le Dow Jones, 2 715 points sur le Nasdaq. La messe semble dite.

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Ratio or/argent : et si l’inconcevable devenait réalité ?

Isabelle Mouilleseaux

 

▪ Nous vivons dans un monde étrange…
Si je résume brièvement la situation : en deux ans, les indices actions ont connu une hausse absolument phénoménale. Sur la base de quoi ?

D’injections massives de liquidités dans le système. Du jamais vu dans l’histoire de l’humanité. « L’équivalent de 10 New Deal« , nous dit Philippe Béchade.

Tout ça pour quoi ? Pour accoucher d’une souris : jamais une sortie de crise ne s’est faite avec autant de lenteur et de difficulté. Jamais elle n’aura été aussi fragile et incertaine. Malgré tout, cela n’a pas un instant ralenti les marchés.

▪ Pourtant, il y aurait de quoi s’inquiéter
Et c’est sans compter le cours du brut qui, cerise sur le gâteau, se met à planer à des niveaux stratosphériques. De quoi casser le « soupçon de croissance » que les milliers de milliards de dollars ont à peine réussi à faire « ressusciter ».

Non… cela n’inquiète absolument personne. N’y aurait-il que des inconscients sur les marchés ?

▪ J’ai une autre hypothèse
Il n’y a probablement plus que des capitaux et des investisseurs spéculatifs sur les marchés, qui tradent à court terme. Ou presque… Ces gens-là n’ont que faire des fondamentaux, de savoir si la Bourse monte/baisse atteint des sommets improbables. Ils jouent. Prennent position au quotidien pour un profit rapide.

Et le pire c’est que ça marche : ils font des millions !

▪ Violent découplage
Ne pensez-vous pas que nous assistons à l’émergence d’une dichotomie ? Un violent découplage. Voire carrément à l’émergence d’un monde à deux vitesses.

▪ D’un côté l’angoissant et dur monde du réel et du labeur dans lequel nous vivons, confronté à un monumental mur de dettes qui va nous tirer vers le bas pendant très longtemps ;
▪ De l’autre, une sorte de « monde virtuel » sur lequel le réel n’a plus prise. Un monde béni des dieux, gavé d’argent facile avec lequel chacun peut faire des profits rapides. Peu importe les dégâts collatéraux sur le monde réel…

En sommes-nous là ?

Après ces quelques méditations, de quoi vais-je donc vous parler aujourd’hui ? De l’argent-métal. Parce que finalement, son envolée n’est que le résultat du destructeur découplage qui semble se mettre en place.

▪ Le ratio or/argent vient de casser le seuil symbolique des 40
Je rappelle que ce ratio mesure combien d’onces d’argent il vous faut pour acheter une once d’or.  Pour mémoire, il y a quelques mois encore, il fallait 80 onces d’argent pour acheter une once d’or. Aujourd’hui, il n’en faut plus que 39,63.

Le rattrapage de l’argent sur l’or a été d’une puissance et d’une vitesse phénoménale. Il y a six mois, nous en étions encore à 60…

▪ Du jamais vu depuis le début des années 80
Autre constat : le seuil des 40 a été testé à plusieurs reprises, mais jamais il n’a été cassé, à l’exception d’une « incursion éclair » lors de la bulle Internet. Depuis lundi, c’est chose faite.

La rupture de ce seuil est donc « historique » et lourde de sens. Quelque chose ne va pas dans le monde dans lequel nous vivons, pour provoquer une telle réaction. Le marché nous souffle quelque chose à l’oreille…

En attendant, sachez que le ratio or/argent n’évolue pour ainsi dire jamais en range (à plat). En général, soit il monte, soit il baisse, et ce sont toujours des tendances flagrantes et fracassantes. Pour l’instant, la tendance est baissière.

▪ Allons-nous revivre une violente secousse comme en 2008 ?
Après la déraisonnable euphorie et les sommets atteints, les matières et marchés actions vont-ils à nouveau fortement corriger et les économies mondiales virer dans le rouge ? Qui sait… ce n’est pas impossible. Mais dans ce cas…

▪ Quelque chose pourrait cette fois se passer différemment
Lors du krach 2008, l’or et l’argent ont plongé avec tous les actifs, simultanément.

Et si l’inconcevable il y a quelques mois encore, devenait réalité ? Si cette fois-ci, il y avait découplage ?

Découplage en faveur du réel pour une fois. En faveur des monnaies « sonnantes et trébuchantes » qui résisteraient, par opposition au papier et actifs virtuels qui corrigeraient…

[Isabelle Mouilleseaux rédige chaque jour l’Edito Matières Premières & Devises, une lettre Internet gratuite consacrée au marché des matières premières et au marché des devises. Passionnée depuis toujours par la Bourse et par tous les marchés financiers, Isabelle s’est spécialisée dans les matières premières et veut permettre à l’investisseur particulier de découvrir et de comprendre l’investissement sur ce marché, ainsi que celui du Forex.]

Première parution dans l’Edito Matières Premières & Devises du 10/03/2011.

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(©) Les Publications Agora France, 2002-2011

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