La Chronique Agora

Les ours peuvent me coiffer d'un bonnet d'âne !

** Mea culpa ! Je n’ai rien vu venir ! Je m’exprime aujourd’hui à la première personne du singulier car il n’est pas question d’associer l’ensemble de la rédaction des Publications Agora à mon erreur d’appréciation de la tendance sur les marchés au cours des dernières 48 heures.

La chute de 2% du CAC 40 mercredi aurait dû m’alerter… mais je tentais de me rassurer en observant que Paris avait été victime en solo de mauvais traitements à l’ultime minute de la séance, le repli étant passé de 1,78% à 2% au moment du fixing. Dans le même temps, les places européennes ne cédaient dans leur ensemble que 1,39% au lendemain d’une hausse de 1,55%, ce qui maintenait intacte la tendance haussière du début de la semaine.

Les indicateurs graphiques en données hebdomadaires n’avaient pas bronché mercredi et semblaient en mesure de pouvoir s’accommoder aisément de ce type de correction technique sans intensité. La faiblesse des volumes d’échanges à Paris — avec seulement 4,4 milliards d’euros négociés contre plus de 5,8 milliards d’euros la veille en pleine euphorie — ôtait par ailleurs beaucoup de crédibilité à un scénario baissier après une entame de mois de septembre prometteuse.

Je croyais mon relatif optimisme justifié à la clôture de Wall Street mercredi soir. Les indices américains avaient repris du terrain par rapport aux niveaux affichés lors de la clôture des marchés européens. Alors que, mardi, la chute du S&P 500 avait été attribuée à des inquiétudes relatives à la vigueur de la consommation, Wal-Mart publiait ce jeudi des ventes en hausse de 3% au mois d’août, ce qui était de nature à rassurer les opérateurs.

Le Dow Jones était parvenu à préserver le support des 11 500 points ; le CAC 40 paraissait protégé par un palier de soutien situé vers 4 400 points et par un support ascendant court terme qui transitait vers 4 480 points. Les valeurs françaises ont effectivement réagi à la hausse peu avant la réouverture de Wall Street jeudi : le rebond technique anticipé survenait à temps.

Le dollar progresse de 1%, au-delà des 1,4350/euro — au plus haut depuis mi-janvier et même depuis le 20 décembre dernier. L’euro est quant à lui en repli symétrique de 2% depuis le 1er septembre et le baril de pétrole n’a pas réussi à refranchir les 110 $ 48 heures après avoir testé 105,5 $. Pour toutes ces raisons, je pensais que l’environnement technique protégeait les indices boursiers européens d’une mésaventure telle que nous venons de la vivre.

**Assister à une chute de 5,25% en l’espace de deux petites séances dont 2% en moins d’une heure hier, je pensais un tel scénario franchement très improbable. Le fait que je ne sois pas le seul dans ce cas ne retire rien au sentiment d’échec cuisant (relatif à ma grille d’analyse) qui me taraude au moment où j’écris ces lignes.

Tout a basculé à moins d’une heure de la clôture alors que le CAC 40 venait de ricocher sous 4 400 points. Il faudra moins d’une heure pour perdre une centaine de points supplémentaires dans le sillage de Wall Street. Les investisseurs américains manifestaient une mauvaise humeur largement disproportionnée compte tenu de statistiques économiques équilibrées publiées en début d’après-midi et qui avaient suscité assez peu de réactions en première lecture.

Tout est question d’appréciation, la subjectivité domine les débats. Mais entre un chiffre hebdomadaire concernant l’emploi moins bon que prévu (15 000 chômeurs de plus fin août) et un important indice d’activité économique mensuel qui ressortait supérieur aux prévisions — l’ISM des services se redresse à 50,6 en août, contre 49,5 en juillet –, il n’y avait apparemment pas de quoi se précipiter sur son téléphone pour liquider dans l’urgence son portefeuille. C’est pourtant ce qui s’est produit… Je ne suis cependant guère convaincu par les argumentaires ne retenant que les inquiétudes relatives à la croissance américaine.

Je ne vois en effet pas en quoi les données économiques publiées depuis mardi de part et d’autre de l’Atlantique induisent un sentiment plus négatif sur les marchés alors que le dollar se renforce, ce qui est un signe de confiance dans l’économie américaine. En outre, le pétrole chute, ce qui est de nature à tempérer les inquiétudes relatives au pouvoir d’achat et à l’inflation.

** Les investisseurs peuvent en revanche s’interroger — mais rien de nouveau sous le soleil — au sujet des capacités de jugement de la BCE. Elle continue officiellement de redouter bien davantage une "inflation de second tour" qu’un ralentissement économique avéré, lequel se prolongera, de son propre aveu, au second semestre 2008, puis tout au long de l’année 2009.

Il est tout de même paradoxal d’entendre J.C. Trichet estimer que des taux maintenus à 4,25% sont "adaptés" alors qu’il réduit à seulement 1,2% la croissance attendue en Zone euro en 2009 (contre un médiocre 1,5%) alors que les Etats Unis affichent 3,3% de croissance et une inflation comparable — mais manifestement pas pire qu’en Europe — avec un prime rate maintenu à 2%.

Vous connaissez mon allergie récurrente au discours et à la stratégie poursuivie par la BCE. Je ne suis cependant pas suffisamment vaniteux pour imaginer un seul instant qu’une majorité de gérants se mettrait soudain à la partager aujourd’hui, en constatant que la situation va effectivement en empirant — comme prévu dans nos Chroniques — au sein de la Zone euro.

Je ne crois pas non plus que Wall Street se soit réveillé ce mardi 1er septembre après 72 heures de réflexion en réalisant que les diagnostics économique de Bill Bonner ou Addison Wiggin étaient plus sensés que ceux de la Fed ou des think tanks qui conseillent les grandes banques d’affaires américaines et la Maison-Blanche depuis l’an 2000.

Si j’étais parvenu à convaincre — laissez-moi rêver un peu — quelques investisseurs influents qu’il fallait profiter de tout rebond du CAC 40 vers les 4 500 points ou du Dow Jones vers 11 800 points pour alléger les positions, je n’aurais guère persisté dans cette stratégie s’ils m’avaient rétorqué que la hausse du dollar ne contribuait en rien à aggraver la situation et que, de ce fait, le moment leur paraissait mal choisi pour vendre du papier en mode contrarien.

L’indice enregistre pourtant une chute verticale de 250 points en 48 heures. C’est la plus brutale depuis l’épisode correctif des 9, 10 et 11 juillet dernier… mais dans des circonstances qui n’ont rien à voir car le pétrole battait alors tous ses records et culminait à plus de 148 $ le baril tandis que le dollar était symétriquement en perdition, à son plus-bas historique, sous les 1,6050 euro.

Le CAC 40 pulvérise successivement les supports constitués par le palier des 4 400 points, le support ascendant oblique court terme des 4 380 points. Il revient tester la base d’un canal légèrement haussier en formation depuis la mi-juillet, le seuil des 4 300 points qui se retrouve directement menacé. Notons par ailleurs que la clôture de ce jeudi 4 septembre à 4 304 points est strictement équivalente à celle du 21 août dernier et coïncide également avec le fixing d’ouverture du 5 août. Il avait précédé une belle envolée vers 4 500 points en trois séances puis vers 4 450 points deux jours plus tard.

** Pour en terminer avec l’éclairage que nous apporte l’analyse technique, le dernier support décelable à court terme correspond au seuil des 4 280 points testé le 29 juillet à l’ouverture puis, surtout, le 4 août en clôture. Au moment où j’écrivais ces lignes (jeudi soir vers 20h), ce palier de soutien était virtuellement enfoncé en transactions d’après séance, alors que le Dow Jones affichait -270 points et le Nasdaq -2,75%.

Je n’ai certes rien vu venir ce jeudi entre 9h et 16h35 — et surtout pas anticipé la cassure des 4 375 points– mais je renoncerais sans hésiter à mon scénario de troisième vague de hausse d’ici la mi-septembre si le signal technique baissier qui s’ébauche sous les 4 280 points était confirmé ce vendredi soir.

Si je pense encore ignorer le véritable catalyseur de cette baisse — à moins que je ne sois définitivement aveuglé par la hausse du dollar — je ne désespère pas d’en découvrir la cause dans les prochaines heures. Mais s’il y a déjà une leçon à tirer, c’est que le surgissement de tels contrepieds constitue à lui seul une excellente raison de ne plus être dans le marché !

Philippe Béchade,
Paris

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