La Chronique Agora

Les marchés se réjouissent d’excellentes… mauvaises nouvelles

▪ Nous ne savons pas si la séparation entre les marchés et l’économie réelle est temporaire ou s’il faut redouter un divorce définitif — ce serait une grande première historique. Vendredi, il a en tout cas suffi d’un chiffre déplorable concernant la confiance des ménages avec une chute imprévue et bien plus forte que le mois précédent, selon l’enquête de l’université du Michigan, pour que les indices boursiers reprennent 1% en l’espace de 45 minutes — entre 16h15 et 17h.

Très clairement, il ne s’agissait pas d’une statistique moins pire qu’attendue mais bel et bien négative à tous points de vue. Les marchés ont poussé un gros ouf de soulagement car le moral des consommateurs étant au plus bas, les ventes de Thanksgiving puis de Noël s’annoncent mal.

Un coup de frein potentiel à la croissance (factice) du PIB américain devrait inciter la Fed à rejeter tout projet de stratégie de sortie de crise durant encore de longs mois.

Le dollar devrait donc continuer de se déliter. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est empressé de faire vendredi en rechutant de 1,4840 vers 1,4925 euro, à la plus grande satisfaction de Wall Street. La Bourse américaine a réagit exactement de la même façon euphorique qu’une semaine auparavant, à la lecture d’un taux de chômage qui pulvérise la barre des 10%. L’économie américaine a en effet détruit 190 000 emplois — soit 40 000 de plus que prévu.

Les intervenants qui se succèdent sur les chaînes d’information économique ne prennent même plus la peine de tenter de convaincre les spectateurs que les marchés montent parce qu’ils jouent la reprise. Tout le monde a très bien compris que Wall Street souhaite que la conjoncture demeure morose et incertaine, afin que le dollar continue de baisser et lui permette de maximiser les gains spéculatifs dégagés via le mécanisme pervers du carry trade.

▪ Un consensus haussier trop univoque débouche souvent sur une correction. La fin de la séance de vendredi s’annonçait d’ailleurs assez mal à une heure de la clôture en Europe. Cependant, la situation a été sauvée par le très mauvais indice de confiance des ménages américains au mois de novembre. Il a chuté de pratiquement cinq points à 66 alors qu’il était anticipé au pire stable, voire en légère progression à 72 points.

L’Eurotop 100, qui perdait 0,6% vers 16h15, a terminé la séance en assez nette hausse (+0,35%). Le marché parisien, qui avait d’abord abandonné 1% à 3 764 points, refranchissait les 3 800 points, limitant son repli à 0,05%. Ce scénario est des plus improbables et totalement paradoxal du point de vue d’un épargnant peu familier de la logique tordue des marchés en période d’excès de liquidités.

Le CAC 40 clôturait à 3 806 points, ce qui lui permet d’afficher un gain hebdomadaire de +2,65%. L’Euro Stoxx 50 engrange quant à lui 3% — après un gain de 1,8% la semaine précédente.

Après une réaction épidermique négative vers 16h, Wall Street repartait très brutalement à la hausse. Le Dow Jones gagnait ainsi 1% à la mi-séance vendredi et a effacé avec aisance et dans un climat euphorique (un comble !) ses pertes de la veille pour refranchir la barre des 10 300 points.

▪ D’autres « bonnes » mauvaises nouvelles avaient devancé l’enquête sur la confiance des ménages et notamment le net creusement du déficit du commerce extérieur américain (+18,2%). Il s’est établi à 36,5 milliards de dollars, contre 30,8 milliards au mois d’août.

En Italie, la récession est toujours d’actualité avec un PIB en recul de 4,6% en rythme annuel (contre -4,7% au trimestre précédent) et un recul séquentiel de 0,6% par rapport au deuxième trimestre.

Nous pouvons ranger dans la même catégorie des déceptions le PIB français qui n’a progressé que de 0,3% au troisième trimestre 2009 — au même rythme qu’au trimestre précédent d’après l’Insee. Le consensus tablait sur une hausse de 0,5% : une petite accélération haussière semblait un minimum après les mesures de soutien au secteur automobile.

▪ La seule indication un peu plus favorable, c’est que 5 500 postes – seulement — ont été détruits dans l’Hexagone entre juin et septembre, contre 85 400 au deuxième trimestre et après un pic de 185 900 au premier trimestre.

Entre le deuxième trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009, ce ne sont pas moins de 456 000 emplois qui ont été détruits, ce qui représente une chute de 2,6% par rapport à la fin du troisième trimestre 2008.

Par secteur, les chiffres du troisième trimestre 2009 recèlent quelques surprises puisque 33 900 postes ont été détruits dans l’industrie, soit une baisse de 1,0% — après -1,4% au deuxième trimestre et 157 500 emplois supprimés sur un an.

La construction a également vu disparaître 15 100 emplois (-1% et -48 500 sur un an). Le tertiaire cependant se redresse dans le sillage de l’intérim avec une hausse de 37 700 (+8,6%).

Ce rebond survient à la suite d’une hémorragie de 73 600 emplois au quatrième trimestre 2008, de 87 300 au premier trimestre puis de 19 000 au deuxième trimestre 2009.

Les entreprises se contentent désormais de faire appel à des extras pour faire face à des hausses ponctuelles de la demande, sachant que les mesures de soutien gouvernementales n’ont que des effets bénéfiques limités dans le temps. L’intérim, c’est la certitude de pouvoir demeurer efficace sans redouter de devoir gérer un trop-plein d’effectifs si la croissance rechute.

Alors que le rythme des licenciements semble se contracter cette année, le nombre de salariés victimes de mesures de chômage partiel — ce qui ampute lourdement leur pouvoir d’achat — se retrouve décuplé en 18 mois. C’est une véritable explosion puisque le score est passé de 30 000 début 2008 à 320 000 au deuxième trimestre 2009.

A croire que la courbe des indices boursiers est arrimée à celle de la précarité de l’emploi !

Philippe Béchade,
Paris

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