La Chronique Agora

Les investisseurs jonglent avec des flacons de nitroglycérine

** C’est un explosif au moins aussi instable que les indices boursiers… et si deux fioles viennent à s’entrechoquer — ou si l’une d’entre elles tombe par terre –, cela risque de vaporiser le système financier tel que nous le connaissons depuis octobre 1987 !

S’agissant de la Fed, Ben Bernanke — tel le lieutenant-colonel Bill Kilgore à la tête de son escadron d’hélicoptères dans Apocalypse Now — a survolé Wall Street peu avant son ouverture pour y déverser symboliquement des dizaines de milliards de dollars de liquidités bon marché, les 145 milliards de dollars du « package Bush » ayant été immédiatement jugés inefficaces.

Le plan de relance fiscal de la Maison-Blanche — qui s’apparente pourtant à un largage massif de chèques de 800 $ par contribuable (soit 1 600 $ pour un couple) — est, de l’avis général, voué à l’échec : il ne permettra de désendetter que très partiellement les ménages et ne leur procurera pas un cent supplémentaire pour consommer.

Nous admettons cependant que les banques vont voir affluer mécaniquement plus de 100 milliards de dollars de liquidités dans leurs livres, ce qui ne pourra pas leur faire de mal. Mais cet argent frais risque de s’évaporer presque instantanément au contact d’encours de cartes de crédit chauffées à blanc.

La France — qui dispose d’un grand savoir-faire, hélas trop peu exploité, en termes d’incitations fiscales — s’est souvent montrée mieux inspirée en créant des primes pour des grands travaux d’amélioration de l’habitat individuel, l’achat de véhicules neufs, l’épargne à long terme (PEA, assurance-vie), l’investissement immobilier (Lois Robien, Besson, Pons pour les DOM-TOM, etc.).

Les Etats-Unis pourraient faire d’une pierre deux coups en instituant des « enveloppes » destinées à renforcer l’isolation des maisons puis adopter des systèmes exploitant les énergies renouvelables non-polluantes.

Les ménages pourraient également bénéficier de prêts à taux zéro, alloués par les municipalités, pour acheter ou réhabiliter un logement destiné aux personnes récemment jetées à la rue après saisie de leur maison (et ils sont de plus en plus nombreux). Cela leur ferait une adresse et les maires et shérifs y gagneraient de nouveaux électeurs.

Mais je m’égare. Ma fibre sociale et solidaire — qui sommeillait sous ma casquette de trader, censé laisser son humanité à la porte du temple de la spéculation boursière — est en complet décalage avec la philosophie ultra-libérale revendiquée par l’administration républicaine qui récuse toute mesure pouvant s’apparenter à de l’assistanat.

Voler au secours des banques américaines — qui ont exploité à outrance la naïveté des ménages les plus fragiles financièrement et poussé les autres à surconsommer via des offres de crédit toujours plus alléchantes grâce à un interventionnisme forcené de la Fed et de la Maison-Blanche –, par contre, cela paraît la chose la plus naturelle du monde !

Ben Bernanke et ses collègues auraient décidé d’agir dès lundi soir. Et nous imaginons qu’ils ont dû passer quelques moments au téléphone avec J.C. Trichet, Alaster Darling et quelques homologues chinois ou canadien, afin d’inscrire leur action dans un mouvement généralisé d’assouplissement monétaire et de soutien aux marchés.

La Fed a frappé un grand coup en abaissant son taux directeur de 75 points à 3,5%. Il s’agit du geste le plus massif de son histoire et cela semble fonctionner. L’onde de choc du « krach boursier » (toutes les caractéristiques techniques étaient réunies) qui sévissait en Asie puis en Europe n’a traversé ni le Pacifique mardi matin ni l’Atlantique dans l’après-midi.

** Certains économistes — nous ne prétendons pas à ce qualificatif mais nous partageons parfois leur avis — craignent que l’initiative de la Fed ne donne la pleine mesure de la gravité de la situation : nul ne peut plus nier l’imminence d’une récession aux Etats-Unis, ni l’urgence de restaurer la confiance, qui par définition ne se décrète pas !

Mais dans un premier temps, l’objectif consistant à éviter la matérialisation d’une spirale baissière d’une puissance irréversible a été atteint. Les vendeurs à découvert ont aussitôt commencé à solder leurs positions, ce qu’ils firent d’autant plus volontiers que leurs gains étaient devenus colossaux — le CAC 40 affichait à un moment -20% depuis le 1er janvier.

Il faudra attendre ce mercredi matin pour déterminer si l’effondrement de 15% des places asiatiques en 48 heures constituait une phase de capitulation finale… ou si le doublement des cours en un an sur les indices chinois appelle d’autres épisodes correctifs, sur fond de ralentissement prévisible de la croissance en 2008 malgré la tenue des Jeux olympiques.

Aux niveaux actuels, Hong Kong (-8,65% mardi matin) a effacé la totalité de ses gains depuis le début du mois de février 2007… mais c’est encore loin d’être le cas à Shanghai !

** Un mardi noir a donc été évité en Europe et surtout à Wall Street où les pertes furent largement contenues dès la réouverture. Les indices boursiers américains reprenaient en moyenne 3% sur leurs niveaux d’ouverture à la mi-séance : de -3,5% à 11 635 points, le Dow Jones est repassé au-dessus des 12 000 points (-0,75%), tandis que le Nasdaq Composite réduisait sa perte de 5% à 1,5%, ce qui constitue un écart presque banal.

Ce scénario semble hors norme mais il fallait opérer sur le sol européen — et à Paris en particulier — pour éprouver des sensations telluriques d’une intensité jamais mesurée. La séance de mardi fut vraiment historique à tous points de vue : le CAC 40 a battu un record de volatilité — 8,85% d’écart entre le plus bas du jour inscrit à 4 505 et 4 904, le zénith matérialisé vers 17h10 — mais également d’activité avec 15,5 milliards d’euros de volume sur les 40 vedettes de la cote.

Au final, le CAC 40 affichait 2,07% de hausse, à comparer avec 1,8% sur l’Eurotop 100 et 3,5% sur le SBF 80.

** La volatilité a régné sans partage sur l’ensemble des actifs négociables, à commencer par les devises. L’euro, miné depuis lundi par les dégagements massifs qui s’opéraient sur les places européennes, se redresse (de 1,4480 à 1,4620) avec l’abaissement massif du prime rate survenu à 14h20 aux Etats-Unis.

Le yen corrige symétriquement de -2% à 156,2 euro après une poussée haussière jusque vers 153 euros la veille. Ceci malgré les commentaires du ministère de l’Economie japonais, qui s’attend à une croissance beaucoup moins vigoureuse que prévue à la lumière des derniers développements de la crise du subprime et des turbulences sur les marchés.

Les marchés de taux ont également connu leur heure de gloire avec une chute de 15 points du rendement des bons du Trésor US à 10 ans puis un trou d’air de -30 points sur les T-Notes à deux. La rémunération de ces derniers est tombée à 2,05% — alors que les deux taux directeurs, escomptes et prises en pension sont abaissés à 3,5% et 4,% respectivement, soit -175 points en trois mois.

Le rendement des émissions de maturité en euros est tombé de 3,35% à 3,15%, ce qui induit une anticipation de réduction de 75 points du « repo » par la BCE d’ici fin 2008.

Dopée par la chute des rendements obligataires, l’once d’or, tombée dans la matinée vers 850 $/l’once se redressait spectaculairement mardi soir (de 3%) pour atteindre 890 $. Mais la rechute du dollar après le communiqué de la Fed n’explique pas tout puisque le métal précieux s’était remis à flamber dès 10h30 à Londres…

Philippe Béchade,
Paris

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