La Chronique Agora

Les gros poissons sont bien restés à l'abri le 1er avril !

** La TGC, ou Très Grande Crise, rassemble un nombre de plus en plus important de spectateurs aux Etats-Unis. Ils vont pouvoir jouir sans entrave du spectacle des maîtres du monde réunis à Londres, faisant semblant de gronder les vilains brasseurs d’argent et se jurant de reconfigurer une planète économique… dont chacun ventait les incommensurables mérites deux ans auparavant.

On s’amusait décidément beaucoup dans les soirées au budget no limit des traders gavés de super bonus ou des banquiers vedette de Wall Street. A l’occasion d’un anniversaire privé, ils étaient même capables de faire venir Beyoncé en jet privé pour chanter un happy birthday to you pour 500 000 $. Ils pouvaient aussi inviter Madonna et toute sa suite à Palm Beach pour 1,5 million de dollars afin de clôturer en beauté une soirée prestige destinée à célébrer un gros contrat sur des CDS avec un réassureur ou un LBO à cinq milliards de dollars (remboursables en 2012 ou 2013).

Oui, il y a de plus en plus de spectateurs devant les écrans de télévision. Ils contemplent le spectacle du monde avec la même passion que des voyageurs parqués en file indienne dans un aéroport, condamnés à contempler le direct de CNN en attendant qu’un agent de sécurité zélé leur confisque leur flacon de parfum de 55 millilitres — qui dépasse d’un chouïa les cinq centilitres autorisés — ou leur tube de dentifrice.

** Il va falloir que les publicitaires "s’arrachent" pour concevoir de nouvelles campagnes destinées à séduire la catégorie socioprofessionnelle qui connaît l’expansion la plus rapide dans le monde entier depuis 18 mois : le demandeur d’emploi.

Dans son enquête mensuelle — désormais autant attendue que redoutée –, le cabinet Challenger/ADP a comptabilisé un nombre record de 742 000 destructions de postes dans le secteur privé aux Etats-Unis au mois de mars, au lieu de 665 000 anticipé. Le mois de février avait vu disparaître 706 000 emplois, contre 625 000 en janvier et 577 000 en décembre… un chiffre qui avait provoqué un frisson d’horreur.

Le rythme de progression du nombre de licenciés s’établit à un peu plus de 7,5% par mois depuis octobre 2008. Si une telle cadence se maintenait d’ici la fin de l’année — rassurez-vous, nous sommes prêts à parier un lingot d’or que ce ne sera pas le cas –, la barre du million de chômeurs supplémentaires par mois serait atteinte dès la fin du mois de juillet et le seuil des 1,5 million serait franchi fin janvier 2010.

En imaginant le pire scénario — répétons-le, ce n’est pas le plus probable –, il serait logique d’estimer à 10 millions le nombre d’emplois susceptible d’être perdus d’ici fin décembre 2009. Cela propulserait le taux de chômage bien au-delà des 10%-10,5% prévus cette année — le taux officieux, et donc réel, étant déjà supérieur à 15%.

** Tout comme nous, les marchés n’ont pas cru à ce genre d’extrapolation hier. Ils ont supposé que le pire du pire ne devait pas être très éloigné des chiffres actuels. Il leur a semblé plus pertinent de se concentrer sur les promesses de ventes dans l’immobilier aux Etats-Unis qui ont progressé de 2,1% au mois de février, selon les derniers chiffres de la NAR, l’association des promoteurs immobiliers américains.

Si les dépenses de construction ont baissé — c’est assez paradoxal compte tenu de ce qui précède –, le recul est moins prononcé que prévu en février d’après les chiffres publiés par le département du Commerce.

Le résultat global qui résulte d’un chiffre épouvantable et de deux statistiques passables, c’est une envolée de 1,5% à 2% des indices américains. Le Dow Jones est en effet repassé de -125 points à l’ouverture à +152 points en clôture. Les indices entament donc le second trimestre 2009 sur les chapeaux de roues… et nous vous certifions qu’il ne s’agit pas d’un poisson d’avril.

Les poissons d’avril les plus populaires ont été l’annonce de la grossesse d’Angela Merkel, l’existence d’un huitième manuscrit non publié de la saga Harry Potter ou la prochaine interdiction de fumer dans la rue en France, avec création d’une nouvelle division spéciale au sein de la BAC, la Brigade Anti-Clopes.

** Nicolas Sarkozy, ex-premier flic de France n’a pas perdu certains réflexes datant de son passage au ministère de l’Intérieur. Il a en effet décidé qu’il fallait passer les paradis fiscaux au karcher — surtout ceux qui blanchissent l’argent sale — et tente de convaincre ses collègues du G20 d’adopter des sanctions à l’encontre des "trous noirs de la finance" qui se montreraient non-coopératifs.

Mais de telles mesures coercitives doivent être globales pour rétablir la transparence des marchés. Il faudrait un miracle pour que les 30 pays composant l’OCDE — et qui représentent 85% de la richesse mondiale et une masse équivalente de recettes fiscales encaissées sur la planète — trouvent un terrain d’entente et entraînent toutes les autres nations dans leur sillage.

Comme le rappelle opportunément la juge Eva Joly, le premier paradis fiscal mondial, c’est Londres. Les gains réalisés offshore par des personnes résidant dans la capitale britannique ne sont pas taxés. Et les Etats-Unis ne sont pas en reste avec un de leurs protectorats bien connu… sous le nom de Bahamas.

Il parait même qu’un immeuble situé dans la capitale, Nassau, servirait de siège social à 66 000 sociétés — écran naturellement –, lesquelles pourraient correspondre à autant de riches contribuables (américains ou européens ?) allergiques au fisc.

Les Bermudes, grâce à la franchise sur les bénéfices réalisés par des entreprises étrangères jusqu’en 2016, ont capté en quelques années 50% du marché de la réassurance mondiale. Et devinez qui furent les principaux pourvoyeurs de capitaux de ce confetti perdu au milieu de l’Atlantique qui hébergea jusqu’à 220 milliards de dollars de primes d’assurances collectées auprès des plus grandes multinationales de la planète ? AIG et son principal partenaire dans le secteur des dérivés toxiques de type CDS, Goldman Sachs.

** Allez savoir pourquoi Henry Paulson, l’ex-CEO de la plus influente banque d’affaires des Etats-Unis, a absolument tenu à sauver AIG, le pire brasseur d’argent que la planète ait jamais porté, en recourant aux impôts des citoyens américains qui n’ont, dans leur immense majorité, aucun moyen d’accéder aux paradis fiscaux.
Les 180 milliards de dollars d’argent public accordés à l’assureur AIG — et les garanties apportées par le Trésor US aux émissions obligataires de Goldman Sachs — pourraient bien constituer le plus gigantesque abus de bien social de l’histoire.

Mais il serait politiquement incorrect de se présenter au G20 en demandant aux Etats-Unis d’éclaircir la nature des liens entre les anciens pensionnaires de la Maison Blanche et les groupes privés du secteur du pétrole, de l’armement et du monde des (très grosses) affaires. Nous nous laisserions facilement convaincre que le climat de corruption sous l’administration républicaine — dénoncé par Barack Obama lors de sa campagne — a causé beaucoup plus de dégâts économiques que les super bonus des traders ou les sociétés immatriculées dans des paradis fiscaux comme le… Delaware !

Les gros poissons sont encore restés bien à l’abri des vrais ennuis en ce 1er avril.

Philippe Béchade,
Paris

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