La Chronique Agora

Les Grecs préfèrent une fin douloureuse qu’une douleur sans fin

▪ A l’heure ou j’écris ces lignes, 100 000 Grecs manifestent encore dans le centre d’Athènes contre le nouveau package de mesures, dont même le ministre allemand des Finances estime qu’elles ont peu de chance de redresser la situation. Nous pourrions ajouter qu’elles n’ont aucune chance d’être appliquées par des fonctionnaires ayant subi 20% de baisse de leurs revenus en 2011, sous peine de déclencher une insurrection chez ceux qui gagnent encore 20% de plus en 2012.

Une insurrection dont les émeutes des dernières heures pourraient constituer les prémices. Les cambistes saluaient dimanche le vote du parlement en faveur de l’hyper-austérité — l’euro s’envolait alors vers 1,3240 $. Mais une majorité de Grecs ne comprend pas l’attitude de leurs élus.

Ils sont convaincus qu’ils n’ont plus rien à perdre et qu’il vaut mieux une fin dans la douleur (une bonne tragédie) qu’une douleur sans fin à la mode berlinoise.

▪ Grèce : un choix qui n’en est pas vraiment un
Mais Wolfgang Schäuble va plus loin. Il affirme que la Grèce ne peut demeurer éternellement un puits sans fond et il évoque ouvertement une alternative de type « se soumettre ou se démettre ». En gros, il s’agit soit d’accepter l’enfer de l’austérité sans horizon de sortie par le haut, soit la sortie de l’euro.

Parce que cette éventualité, nous en sommes depuis longtemps convaincus, les élites de Bruxelles nous y préparent depuis des semaines, par petites touches successives et uniquement par allusions.

Le temps qui passe ne doit pas être perdu pour tout le monde. Cela permet aux marchés pilotés par les liquidités de la BCE de se constituer un matelas de gains suffisamment épais pour ne pas revoir les plus bas du mois d’octobre ; et cela permet aussi aux eurocrates de mettre au point un processus de défaut ordonné de la Grèce, prélude à une éviction consentie de l’Eurozone.

Mais dans ce cas, la BCE perdra en effet sa mise et devra être recapitalisée. Il en ira de même dans nombreuses banques — notamment italiennes et françaises — très exposées sur la dette hellénique.

Notons que S&P a dégradé vendredi soir la notation de 34 banques italiennes. Autrement dit, aucun des principaux établissements du pays (comme UniCredit ou Intesa) n’ont été épargnés.

Difficile de pousser les indices boursiers plus haut, à moins de décrédibiliser totalement l’ensemble des acteurs de cette hausse somnambulique des indices tout au long de ces huit dernières semaines.

▪ Les indices européens font grise mine
Le CAC 40 et la plupart des places européennes ont terminé pratiquement au plus bas vendredi.

Signe plutôt défavorable pour nos marchés, la pression à la baisse s’est renforcée en fin de séance, puis au moment du fixing. L’indice parisien a vu son repli s’amplifier à 1,5% (soit -1,6% en hebdomadaire). On a assisté au même scénario  pour l’Euro-Stoxx 50 qui lâche 1,65% (et affiche 1,4% de repli sur la semaine).

Signe d’un moindre appétit pour le risque, l’euro repassait sous les 1,32 $ (à 1,3180) et termine inchangé sur la semaine. La résistance des 1,33 $ n’a été que très brièvement soulevée jeudi.

▪ A Wall Street, les bulls persistent et signent
A Wall Street, l’impression que les haussiers ne veulent rien lâcher persiste. La consolidation de vendredi n’apparaît guère impressionnante, mais derrière un repli limité de 0,7% se cache une soudaine résurgence de la volatilité.

Si nous restons à la surface des graphiques, nous découvrons une nouvelle séance au profil ultra-plat. En effet, après le décrochage initial, Wall Street s’est stabilisé et n’a rien perdu ni repris au cours des six dernières heures précédant la clôture. Sauf le Dow Jones qui bénéficiait d’un redressement assez singulier au cours de la dernière heure — l’indice s’envolant de 12 745 vers 12 801 points.

Malgré ce coup de pouce en fin de parcours, le Dow Jones reculait de 0,7% et de 0,35% sur la semaine. Mais l’essentiel étant apparemment qu’il sauvegarde le palier des 12 800 points.

Le S&P 500 s’est également replié de 0,7% vendredi, mais il affiche toujours une hausse de quelque 7% depuis le 1er janvier. Il s’en est fallu de peu qu’il inscrive une sixième semaine d’affilée dans le vert. Le bilan hebdomadaire se solde par un recul de 0,2%.

Et le fait le plus marquant, c’est qu’un effritement de 0,69% (pour être très précis) constitue la plus forte perte en pourcentage du S&P depuis le début de l’année. Cela démontre, s’il en était encore besoin, que toute ébauche de correction est systématiquement éradiquée par les robots qui veillent à l’écrasement du VIX depuis huit semaines.

▪ Le VIX se réveille à cause du déficit américain
Mais cette période de diminution apparente du stress touche peut-être à sa fin, car la nervosité s’est brutalement réveillée vendredi soir. Le VIX du CBOE a bondi 12% à 20,8 après avoir flirté avec les 22 à une heure de la clôture.

La confiance de Wall Street avait commencé à chanceler dès 14h30 avec la publication la balance commerciale américaine du mois de décembre. Le déficit se creuse de 4% et il enregistre son plus mauvais score depuis six mois pour s’établir à 48,8 milliards de dollars contre 47,1 en novembre (le consensus tablait sur 48 milliards de dollars).

Sur l’ensemble de l’année 2011, le déficit commercial atteint 558 milliards de dollars (soit 3,7% du PIB US), le plus lourd depuis 2008. Les échanges bilatéraux avec la Chine représentent plus de la moitié de ce total (295 milliards de dollars), mais un nouveau record de déficit a été battu en décembre face à… l’Allemagne.

La mauvaise humeur a pris le dessus vers 16h avec la publication du baromètre de l’université du Michigan qui évalue le moral des ménages américains. Il s’inscrit en recul vers 72,5 (contre 75 en janvier et 75,5 attendus).

Vous pourrez toujours compter sur Wall Street pour faire semblant de croire à une embellie sur le front du chômage. Mais les citoyens qui voient s’allonger les files devant les soupes populaires et grossir les effectifs dans les camps de mobil-homes en grande banlieue ne peuvent guère se faire d’illusions.

Pas de quoi se rassurer non plus avec les résultats d’entreprises du quatrième trimestre (et de l’année 2011). Sur 355 sociétés appartenant au S&P 500 qui ont déjà publié leurs bilans, seules 62% ont battu le consensus de Wall Street — dont les spécialistes savent qu’ils sont volontairement minorés pour ménager un effet bonne surprise.

C’est donc le ratio le plus bas depuis le quatrième trimestre 2008. Il signifie en fait que 50% seulement des entreprises ont surpassé les vraies attentes des initiés, alors que la proportion se situait autour de 70% en moyenne (comprendre 60%) ces quatre derniers trimestres.

Cette semaine, une cinquantaine de sociétés du S&P publieront leurs chiffres. Il en restera moins d’une centaine d’ici la mi-mars. Il ne faut pas espérer de miracle car les entreprises qui battent le consensus s’empressent de solliciter les faveurs du marché, les autres se montrent plus discrètes.

▪ Une progression qui triche
En ce qui concerne la croissance des résultats au quatrième trimestre 2011, il ressort à un peu moins de 9% (soit +8,9%, en score honorable). Mais il s’agit là d’une progression en trompe-l’oeil car en excluant Apple (qui ne distribue pas de dividende, donc pas de liquidités au marché), ce taux retombe à 5,8%. Et sans Caterpillar et Intel, il atteint péniblement les 5%.

Si nous retranchons la progression des bénéfices imputable aux rachats de titres (qui augmentent mécaniquement le profit distribuable sans une réelle embellie du business), il ne fait aucun doute que l’économie américaine a marqué le pas au quatrième trimestre.

Mais vu les 7% de progression du S&P depuis le 1er janvier, il est clair que Wall Street ne regarde pas dans le rétroviseur et parie sur une année 2012 aussi profitable que 1998.

Reste maintenant à observer comment les marchés vont gérer le fait accompli d’un vote du Parlement grec qui trahit le sentiment de tout un peuple. Il ne crée même pas les conditions d’un effort équitable entre ceux qui n’ont aucune possibilité d’échapper au FISC et ceux qui le fraudent ou qui bénéficient d’exemptions dans la plus pure tradition du XIXe siècle.

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