La Chronique Agora

Les déboires de Fannie et Freddie

** Freddie Mac et Fannie Mae sont au grand empire américain ce que l’East India Company était à l’empire britannique au 19ème siècle… et la Compagnie de Louisiane était à la France au 18ème siècle. Gigantesque, stupide, et probablement fatal.

* Freddie et Fannie sont d’énormes prêteurs hypothécaires soutenus par le gouvernement américain. Dans la France du 18ème siècle, les spéculateurs pariaient sur les richesses de Louisiane, grâce à la Compagnie de Louisiane, affrétée par le gouvernement. Au 19ème siècle, ils plaçaient leur argent dans les richesses de l’Inde, grâce à la East India Company affrétée par le gouvernement. Et à la fin du 20ème siècle, ils jouaient la hausse des prix de l’immobilier grâce à Fannie et Freddie.

* Cette semaine, les jumeaux ont pris une volée de bois vert. Freddie a perdu 18%. Fannie a dégringolé de 16%. La valeur a chuté à son niveau le plus bas depuis 1995, effaçant chaque centime gagné grâce à la bulle immobilière. Sic transit gloria pecunaria. Ou quelque chose comme ça.

* Le problème immédiat, c’est que les prêteurs hypothécaires se trouvent à court d’argent. Ils doivent lever 75 milliards de dollars. Il y a quelques années, cela n’aurait pas été un problème. Tout le monde était prêt à mettre de l’argent dans le marché fou fou fou de l’immobilier US titrisé. Puis l’immobilier s’est cassé la figure.

* On apprenait lundi que les prix des maisons chutent dans 23 régions urbaines américaines sur 25, selon Case/Shiller. Les saisies grimpent à un rythme de plus en plus rapide, etc., etc.

* (Nous vous épargnons les détails… nous ne voulons pas vous perturber, cher lecteur).

* A présent, Freddie et Fannie ont donc un problème. Ils doivent trouver de l’argent — beaucoup d’argent. Et c’est devenu "très difficile", selon les experts, d’obtenir ce genre de somme. Les investisseurs commencent lentement à faire leurs calculs. Le couple de prêteurs hypothécaires a besoin de plus d’argent. Leur secteur est en chute libre. Leurs capitaux disparaissent. Leurs nantissements perdent de leur valeur chaque mois : "hé, peut-être qu’on devrait vendre l’action !" Résultat de ces délibérations : une très mauvaise journée pour les jumeaux, avec des pertes totales de plusieurs milliards de dollars pour les actionnaires restant, trop lents ou trop benêts pour vendre leurs titres.

** En tout cas, Freddie et Fannie ont désormais besoin d’argent. Et si l’on en croit un rapport provenant de Bridgewater Associates, il en ira de même pour beaucoup d’entreprises… et de gouvernements.

* Le mémo confidentiel de Bridgewater — qui est passé dans la presse suisse avant d’arriver à Ambrose Evans-Pritchard, du Telegraph, à Londres — déclare que les pertes dues au credit crunch pourraient atteindre 1 600 milliards de dollars, soit quatre fois les estimations officielles du FMI.

* 1 600 milliards de dollars, ça fait beaucoup d’argent. Si Bridgewater a raison, le secteur financier tout entier sera vidé de sa substance. Vous vous rappellerez, cher lecteur, qu’après la disparition de l’industrie aux Etats-Unis, il restait la finance. Et la vente au détail. L’immobilier. Les services. Et c’est à peu près tout. Le centre du pouvoir économique est passé de Detroit et Trenton — où l’on fabriquait des choses — à Manhattan, où on les finançait. Les mères cessèrent de rêver un avenir de PDG de General Motors pour leurs enfants ; elles souhaitaient désormais qu’ils aillent à Wall Street. C’est là que se trouvait le véritable argent. La finance était la clé non seulement d’immenses profits en elle-même, mais aussi de la croissance des secteurs de la vente au détail et de l’immobilier. Les gens achetaient des biens durables et des biens de consommation à crédit. Pas de crédit, pas d’achats ; pas d’achats, pas d’économie de consommation.

* Eh bien, à présent, GM a perdu 75% de sa valeur… et le secteur de la finance n’est pas loin derrière.

* Et Bridgewater continue en disant qu’une perte de 1 600 milliards de dollars dans l’industrie financière signifiera une perte de 12 000 milliards de dollars de crédit pour l’économie dans son ensemble. Lorsque les prêteurs n’ont pas de capitaux, ils ne peuvent pas faire de prêts. Donc si un dollar de capital disparaît de leurs comptes, ce sont jusqu’à 10 $ de crédit qui disparaissent de l’économie.

* Dans les bureaux européens de la Chronique Agora, nous sommes habitués aux prix élevés. Un milliard de dollars ? Oh là là, on a dépensé ça rien que pour déjeuner, ou presque. 12 000 milliards, par contre, ça commence à faire une somme. 12 000 milliards soustraits à l’économie de consommation US, voilà qui commence à ressembler à la Grande dépression. Comme le Japon entre 1990-2006… en pire. Un effondrement du prix des actifs. Une hausse du chômage. Des banqueroutes. Des faillites.

* Bien entendu, aucune banque centrale, aucun gouvernement n’entrera sans violence dans cette bonne nuit. La Fed réduira ses taux… assouplira ses critères de réserve… et interviendra probablement directement sur les marchés. Les banques seront nationalisées, dans les faits… comme ce qui s’est déjà produit pour Northern Rock en Grande-Bretagne. Le gouvernement fédéral augmentera l’emprunt et les dépenses pour essayer de compenser l’argent disparaissant des marchés et de l’économie. Un déficit de 1 000 milliards de dollars ? Plutôt 2 000 milliards. Voire plus.

* Et les étrangers ? Les fonds souverains ? Ils ont beaucoup d’argent, eux. Ne pourraient-ils pas aider à la recapitalisation du système de crédit américain ? Hélas, les fonds souverains n’ont que 3 000 milliards de dollars, actuellement. Et les étrangers ? Nous sommes d’avis que lorsqu’ils réaliseront ce qui se passe, ils chercheront désespérément à se débarrasser des dollars et du papier US de toutes sortes. Au lieu de cela, ils voudront de vraies ressources, des usines, des marques, du béton et des terrains. Et ils auront de belles opportunités. A mesure que les prix des actifs chutent, ils pourront acheter plus de propriétés de valeur aux Etats-Unis à des prix plancher. Abu Dhabi a déjà acheté l’Empire State Building. Une brasserie belge, gérée par des Brésiliens, achète Budweiser.

* A suivre…

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