La Chronique Agora

Les cycles haussiers chutent dès que l'on cesse de pédaler

** Au moment où nous rédigeons ces lignes, la Bourse de Paris affiche un score hebdomadaire positif et le CAC 40 progresserait ainsi pour la troisième semaine consécutive. Il en alignerait ainsi une 12ème sur une série historique de 13, pulvérisant le précédent record qui a vu 9 séances gagnantes sur 13 entre la mi-mars et le 1er juin 2007 ; le CAC 40 avait alors pris 16% sur la période, ce qui est loin des 38% engrangés depuis le 9 mars 2009.

Rien à voir non plus avec les 16,5% engrangés entre le 17 mars et le 30 mai 2008, les 19% du 22 mars au 23 mai 2001 ou du 12 mars jusqu’au 12 mai 1995… et un tout petit air de famille avec les 33% de gains accumulés entre le 12 mars et le 18 juin 2003.

Mais même si rien ne se reproduit jamais à l’identique, avouez tout de même que le scénario que nous venons de vivre revient avec une forte récurrence sur cette fameuse période mi-mars/mi-juin — la périodicité est de trois ans en moyenne sur les 15 dernières années écoulées.

Et puisque nous évoquons la cyclicité du marché, voilà que le CAC 40 semble matérialiser une fausse sortie haussière au-delà des 3 312 points (zénith de clôture du 8 mai dernier et retracé à 0,3% près le 20 mai).

Ce n’est certainement pas un hasard si le CAC 40 a testé puis rebondi à trois reprises ce jeudi 4 juin sur le palier des 3 312 points (ce fut très précisément le cours de clôture… Etonnant, non ?) : il s’agissait de préserver le support oblique inauguré le 9 mars dernier à 2 465 points.

La marge de sécurité pour préserver la tendance haussière est nulle depuis 48 heures. Le CAC 40 n’a a priori d’autre choix que de repartir à la conquête de son zénith annuel des 3 400/3 425 points, sinon gare à la rupture en direction des 3 130 puis des 2 980/3 000 points.

Mais la hausse symbolique de 0,07% de jeudi est un véritable trompe-l’oeil : deux tiers des composantes du CAC ont terminé en repli et l’équilibre n’a été préservé que grâce à la contribution décisive de Total (+1,35%) et du très défensif Sanofi-Aventis (+3,4%).

Cela fait trois jours que le marché se cherche ; la Bourse de Paris évolue sans tendance dans des volumes d’échanges atones (2,7 milliards d’euros). Même scénario chez nos voisins de la Zone euro avec des scores s’étageant entre -0,2% à Amsterdam et +0,2% à Francfort, l’Euro-Stoxx 50 reflétant parfaitement cette indétermination avec un score de +0,15% — tandis que le DJ-Stoxx50 s’effritait de 0,1%.

La remontée des cours du milieu de l’après-midi, consécutive à la publication d’une hausse de 1,6% de la productivité aux Etats-Unis au premier trimestre 2009, n’a guère perduré plus d’une heure. Le Dow Jones s’est en effet montré volatil dès les premiers échanges, testant rapidement les 8 640 points à la baisse (vers 16h), puis grimpant vers 8 700 points (vers 17h) avant de revenir à l’équilibre 30 minutes plus tard.

** Au lendemain de la mauvaise surprise causée par l’enquête mensuelle du cabinet ADP, les opérateurs attendaient avec une certaine anxiété le chiffre des inscriptions aux allocations chômage. Pas de mauvaise surprise cette fois-ci puisque les demandes d’indemnité hebdomadaires liées aux pertes d’emplois ont baissé de 4 000 (à 621 000) — mais la moyenne sur quatre semaines continue de grimper symétriquement de 4 000 à 627 000.

Si de tels chiffres étaient parus lundi, ils auraient probablement été salués par une flambée de 3% des indices boursiers. Même un bulletin météo favorable concernant l’Alaska aurait donné le même résultat… et nous exagérons à peine puisque Wall Street s’était envolé dans les mêmes proportions le 18 mai dernier au prétexte qu’une chaîne américaine de magasins de bricolage avait dépassé ses objectifs de vente de laine de verre et de pistolets à clous.

Il est vrai que de part et d’autre de l’Atlantique, le nombre de personnes disposant de temps pour bricoler augmente de façon spectaculaire.

** En France comme chez nos voisins espagnols, allemands ou britanniques, le chômage explose sur le premier trimestre 2009. Le marché du travail continue de se détériorer — et c’est une tendance lourde pour l’ensemble de l’année 2009, nous promettent Christine Lagarde et François Fillon. Dans l’Hexagone, le taux de chômage au sens du BIT s’établit à 9,1% de la population active (incluant les Dom) selon les derniers chiffres publiés par l’INSEE.

Pour la France métropolitaine, le taux de chômage s’établit à 8,7%, ce qui représente près de 2,5 millions de personnes (soit le double en comptant les préretraités, les salariés pauvres à temps partiel et les étudiants "en formation"). Le taux de chômage augmente de 1,1 point par rapport aux données révisées du quatrième trimestre 2008.

Mais principal événement macro-économique du jour ne réside ni dans le maintien — sans surprise — des taux directeurs par les banques centrales européennes, ni dans les chiffres du chômage européen, ni dans les statistiques américaines évoquées plus haut… mais bien dans la forte révision des perspectives de croissance en Zone euro.

La BCE abaisse sa fourchette d’anticipation à -4,1%/-5,1%, soit un score médian de -4,6% pour le PIB de la Zone euro en 2009 (contre -2,2% à -3,2% en mars dernier). Et la situation ne devrait s’améliorer que "graduellement", selon les propres termes de Jean-Claude Trichet. Il estime par ailleurs que le PIB de l’Euroland devrait continuer de baisser de 0,3% en 2010 alors qu’une stabilité était anticipée deux mois auparavant. Par ailleurs, il n’écarte pas formellement la possibilité d’une nouvelle baisse des taux (les marchés n’y croient guère).

** L’autre annonce choc réside dans l’annonce du possible rachat d’un montant de 60 milliards d’euros d’obligations du secteur privé garanties par des créances hypothécaires ou d’émissions de collectivités locales (ne seront éligibles que les titres notés au moins "AA" et d’une maturité minimum de trois à 10 ans).

La Banque centrale d’Angleterre a confirmé que son programme de rachat de dettes détenues par les banques en difficulté porterait sur 126 milliards de livres d’ici juin 2010 — c’est colossal.

Le rendement des bons du Trésor britannique à 10 ans (les gilts) se retend à 3,83%, celui des Bunds allemands rebondit de 0,08% à 3,63%. Le décalage le plus important revient aux T-Bonds US qui affichent +0,12% à 3,655% — à 0,1% de leur plus mauvais niveau de jeudi dernier tandis que le rendement du 30 ans caracole au-dessus des 4,55%.

Alors que le dollar tente de se stabiliser autour de 1,42/euro et 96,5 yens, le pétrole poursuit son envol : le baril grimpait jeudi soir de 3,6% à 68,4 $. Il gagne ainsi 20% depuis la mi-avril et il a plus que doublé de valeur depuis ses planchers de février, vers 34 $.

Une équation que Wall Street a fini par trouver rassurante — le rally de l’or noir s’apparenterait donc à un de ces signes de reprise économique baptisés green shoots, "pousses vertes" ? En tout cas, le Dow Jones tutoyait les 8 750 points à l’heure du café tandis que le Nasdaq prenait 1% à 1 845 points, retraçant son zénith annuel du 2 juin inscrit une demi-heure après l’ouverture.

Mais là encore, le franchissement à l’arraché des sommets annuels et la formation de doubles sommets survenant à l’entame du mois de juin pourraient bien constituer ce genre de coïncidences qui ne vous surprendront guère, maintenant que les cinq plus grandes banques américaines ont bouclé ou mettent la dernière main à leur programme de refinancement…

Philippe Béchade,
Paris

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